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Rythmes scolaires: sur l’air d’un pas en avant, trois pas en arrière

Monsieur le ministre de l’Éducation nationale déclare dans le Monde du 20 mai 2017 : « Sur les rythmes, je crois qu’il faut se garder des certitudes. Entre la semaine d’école sur les 4 jours et celle sur les 4 jours et demi, aucune étude tranche quant à l’impact sur les résultats. » Effectivement, il ne peut pas y avoir de certitudes tant sont nombreux les facteurs susceptibles d’influer sur les comportements des enfants et leurs rythmes.

En revanche, monsieur le ministre se trompe quand il déclare qu’il n’existe aucune étude sur l’impact sur les résultats. Des rapports, des recherches en chronobiologie et en chronopsychologie existent. Leurs résultats, publiés dans des ouvrages et des revues scientifiques, constituent un corpus de connaissances sur lequel il est possible de s’appuyer pour appréhender le problème des « rythmes scolaires » et plus particulièrement proposer des aménagements des temps scolaires plus respectueux des rythmes de l’enfant (voir la bibliographie, références 1, 2, 3 et 4).

Avant d’indiquer quels rythmes doivent être respectés prioritairement, il convient de lever l’ambiguïté liée à l’expression « rythmes scolaires » .

  • Soit les « rythmes scolaires » correspondent aux emplois du temps et calendriers scolaires.
  • Soit les « rythmes scolaires » sont compris comme les variations périodiques biologiques, physiques et psychologiques propres à l’enfant en situation scolaire.

Traiter le problème des rythmes scolaires revient alors à satisfaire pragmatiquement deux pôles d’intérêt : celui des adultes et celui des enfants dont les rythmes de vie doivent être impérativement respectés. Il s’agit de parvenir à un compromis qui s’appuie notamment sur des données relevant de deux disciplines, la chronobiologie et la chronopsychologie. La chronobiologie a pour domaine de recherche les rythmes biologiques; la chronopsychologie a pour objet l’étude scientifique des variations périodiques des comportements humains. Il semble nécessaire de rappeler les principales données.

Les rythmes à respecter en priorité

Trois principaux rythmes biologiques et psychologiques doivent être respectés : le sommeil, les variations journalières de certains indicateurs physiologiques, de la vigilance, de l’activité intellectuelle, des comportements, et les fluctuations annuelles de la résistance à l’environnement.

De la durée et de la qualité du sommeil dépendent l’adaptation des comportements à la situation scolaire et, par voie de conséquence, la vigilance et les performances intellectuelles.

Il est par ailleurs établi que la vigilance et l’activité intellectuelle de l’enfant évoluent généralement au cours de la journée de la façon suivante: progression au cours de la matinée, creux autour de midi, nouvelle progression plus ou moins importante l’après-midi selon l’âge. J’ai qualifié de « classique  » cette évolution dans la mesure où nous l’observons indépendamment du type d’emploi du temps hebdomadaire, excepté dans le cas de la semaine de quatre jours (voir la bibliographie, référence 4). Cette rythmicité journalière a également été mise en évidence lorsque l’on observe systématiquement les comportements d’agitation, d’inattention, ou le degré d’activité de l’enfant en classe (voir la bibliographie, référence 1).

Il est à souligner que les moments reconnus comme « difficiles » au plan chronopsychologique (les débuts de matinée et d’après-midi) sont les mêmes que ceux mis en évidence au plan chronobiologique.

Notons aussi que cette rythmicité classique disparaît chez certains enfants le lundi, voire le mardi lorsque le week-end est prolongé. Enfin, il faut préciser que cette rythmicité se met progressivement en place jusqu’à l’adolescence. Ceci conduit à préconiser des journées scolaires moins denses pour les plus jeunes.

Désynchronisation

Les spécialistes considèrent la présence de cette variation journalière classique comme le signe d’une adéquation entre les emplois du temps scolaires journaliers et hebdomadaires et les rythmes de vie des enfants. Et cette rythmicité journalière classique disparaît lorsque la vie scolaire ne comprend que quatre jours sans accompagnement péri et extrascolaire, à savoir les lundi, mardi, jeudi et vendredi. Elle laisse alors place à une rythmicité inversée où les creux remplacent les pics de vigilance, reflet d’un phénomène de désynchronisation, accompagnée d’une baisse du niveau de performances, de l’ordre de près de 13 % dans une de nos expériences (voir la bibliographie, référence 1).

Enfin, concernant les périodes de faible résistance, il est montré que les êtres humains sont plus vulnérables physiquement en hiver qu’en été. Si la période de fin février-début mars est plus particulièrement difficile à vivre pour tous, celle de la Toussaint est également à risques pour les enfants les plus jeunes.

On peut encore citer trois principaux enseignements des recherches évaluatives de terrain. Les évaluations des différents aménagements « expérimentaux » du temps scolaire français indiquent que :

  • Les variations journalières des performances intellectuelles sont plus présentes chez les élèves qui ne maîtrisent pas la tâche proposée ou qui sont en début d’apprentissage. Ainsi, lorsque des élèves en début d’apprentissage présentent un taux de réussite de l’ordre de 28 %, les fluctuations sont bien présentes, en revanche lorsque les mêmes élèves, en fin d’apprentissage, ont un taux de réussite de l’ordre de 77 %, les fluctuations journalières disparaissent (voir la bibliographie, référence 4).
  • Les activités éducatives périscolaires et extrascolaires contribuent à l’épanouissement physique et psychique des jeunes. Le fait de proposer à des enfants en REP des activités éducatives socioculturelles et sportives périscolaires et extrascolaires favorise leur développement physique et psychique, facilite leurs apprentissages et contribue à une meilleure intégration dans la cité (voir la bibliographie, référence 6).
  • La semaine dite de quatre jours désynchronise la rythmicité journalière et génère un affaiblissement de la vigilance.

Comment réussir les aménagements en France ?

En respectant les heures et les jours de meilleures performances : si nous voulons que l’élève soit efficient, les heures et les jours de « meilleure performance » doivent être préservés judicieusement. Le lundi, jour de faibles performances et de resynchronisation, où l’élève renoue avec l’école, doit être réservé à des activités sollicitant les efforts intellectuels et physiques les moins soutenus. De même, au cours de la journée, les moments où apparaissent les creux : début de matinée et d’après-midi, doivent être reconnus et ne plus être occupés par des apprentissages nouveaux et poussés.

En tenant compte de l’âge, car les profils journaliers évoluent avec l’âge. Chez les plus jeunes enfants, les performances restent faibles l’après-midi alors que l’inverse est observé chez les plus âgés. Pourquoi ne pas aménager la journée scolaire en conséquence ? Pourquoi les enfants de six ans et de onze ans sont-ils aussi longtemps présents à l’école ?

En maintenant des « petites vacances » scolaires de deux semaines : il est urgent de proposer un calendrier annuel équilibré, où les périodes de classe de sept à huit semaines alterneraient avec deux semaines de vacances. Cela implique que le premier et le troisième trimestre scolaires soient remaniés, quitte à réduire les grandes vacances.

En respectant le sommeil de l’enfant : il est primordial que les parents comme les enseignants, interviennent pour que les enfants dorment leur compte. De leur côté, les décideurs doivent proposer le matin des heures de rentrée en classe plus tardives afin d’éviter des réveils provoqués. Le sommeil doit être respecté la nuit mais aussi le jour, notamment pour les plus jeunes. Ceci suppose que des espaces soient aménagés à cet effet à l’école, comme en centre de loisirs.

En allégeant le temps scolaire journalier, notamment pour les plus jeunes : il est aberrant que des enfants de quatre-cinq ans soient autant présents à l’école que des jeunes de dix-onze ans ! Des structures « sas » doivent pouvoir accueillir les élèves avant et après la classe, structures où les activités non scolaires seraient encadrées par des animateurs qui interviendraient également à la pause de midi. Quel que soit l’aménagement du temps scolaire choisi, celui-ci doit obligatoirement être accompagné d’activités péri et extrascolaires.

Éviter la semaine de quatre jours

En évitant la semaine dite de quatre jours : contrairement à ce que l’on laisse entendre, des travaux scientifiques ont bien été conduits, travaux qui ont permis de mettre en évidence que la semaine de quatre jours « secs » sans politique d’accompagnement péri et extrascolaire, accentue et allonge les effets perturbateurs du week-end. Habituellement ressentis par les enfants le lundi, ces effets perdurent chez certains jusqu’au mardi midi avec la semaine de quatre jours.

Il faut également souligner que si le volume horaire d’enseignement hebdomadaire demeure le même, la répartition de l’enseignement sur quatre jours engendre soit l’alourdissement de la journée scolaire, soit l’allongement d’un premier trimestre qui déjà n’en finit pas !

De plus, toujours à propos de la semaine de quatre jours, accorder une demi-journée supplémentaire de congé n’est pas profitable à tous les enfants. La libération du temps n’est pas forcément synonyme d’épanouissement, d’éveil et d’intégration. Au contraire ! Elle peut accentuer les différences. Certains profitent pleinement de la libération du temps parce que le milieu culturel les environnant le permet. D’autres, faute d’encadrement familial, faute d’une politique socioculturelle accessible à tous, subissent le temps libéré et ont plus de mal à rentrer dans la logique scolaire lorsqu’ils reviennent en classe (voir bibliographie référence 4).

Et comme dit plus haut, les recherches ont montré que l’application de la semaine de quatre jours « secs » non seulement génère une inversion de la rythmicité classique, signe de désynchronisation, mais qu’en plus, elle est accompagnée d’une réduction de la durée du sommeil nocturne et d’une baisse du niveau de performance (voir bibliographie référence 4).

Ainsi, par exemple, dans une étude conduite à Rennes en 2003 et 2004, j’ai pu déterminer et comparer les effets des aménagements en quatre jours et quatre jours et demis. Concernant les durées de sommeil, et les niveaux et variations journalières et hebdomadaires de la vigilance d’une manière générale, l’aménagement en quatre jours et demi est plus bénéfique aux enfants, notamment ceux du cycle élémentaire, que celui sur quatre jours. Ce bénéfice est visible sur les deux années d’évaluation et s’accentue avec l’âge. Il se traduit par des durées moyennes de sommeil régulières et supérieures, notamment au CM2 : en semaine de quatre jours ils dorment en moyenne 608 minutes par nuit et 646 en semaine de quatre jours et demi. Par ailleurs, si les niveaux de performance sont sensiblement les mêmes, en revanche les fluctuations sont plus classiques (ce qui signifie que les enfants fatiguent moins) lorsqu’ils sont en quatre jours et demi.

C’est seulement en tenant compte prioritairement des préconisations énumérées précédemment que les aménagements des temps scolaires, péri et extra scolaires pourraient être reconsidérés dans la concertation.

François Testu
Professeur émérite en Psychologie, Université de Tours, président de l’ORTEJ→http://www.ortej.org/

Bibliographie :
1 – Expertise collective de l’INSERM, Rythmes de l’enfant : De l’horloge biologique aux rythmes scolaires, Paris, 2001
2 – Hubert Montagner, Les rythmes de l’enfant et de l’adolescent, ces jeunes en mal de temps et d’espace, Stock-Laurence Pernoud, 1983
3 – Alain Reinberg, Les rythmes biologiques : mode d’emploi, Flammarion, 1994
4 – François Testu, Rythmes de vie et rythmes scolaires, Masson, 2008
5 – Yvan Touitou et Pierre Bégué, Rapport de l’Académie nationale de médecine, Aménagement du temps scolaire et santé de l’enfant, publié dans le Bulletin de l’Académie nationale de médecine, tome 194, janvier 2010, pages 107-122.
6 – François Testu, Rythmes scolaires : de l’enfant à l’élève, Paris, Canopé, 2015

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