Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Réussite garantie ?

Au risque de se répéter avec une insistance suspecte, l’introduction du BOEN ne mentionne pas moins de sept fois la nécessité de promouvoir l’égalité des chances, la réussite pour chacun, fil rouge affiché de ce texte officiel : « garantir à chaque jeune les moyens de sa réussite ».
Nulle trace ici de réflexion sociologique et pédagogique sur ce qui fait que certains jeunes ne réussissent pas. De même qu’en grammaire tout ira mieux quand on fera « des leçons spécifiques, systématiques et progressives », à l’école, l’échec n’a qu’à bien se tenir face à la salve des moyens ici annoncés.
Vite, lesquels ?
Eh bien : mettre en place le socle, les nouvelles instructions sur la lecture, le calcul et la grammaire, les PPRE, les RAR… et pourquoi pas aussi la note de vie scolaire, qui, on l’apprend en se retenant de rire, « est devenue une composante à part entière de l’évaluation des élèves ». Sans surprise donc, le BOEN réaffirme simplement la nécessité de renforcer toutes les mesures de ces derniers mois.
Plus intéressante à méditer est la mise en place de plus en plus ferme de la Lolf : « […] le souci constant de l’excellence pédagogique, certes, nécessite des moyens. Mais ceux-ci doivent être clairement définis par rapport à des objectifs et en fonction d’indicateurs incontestables. » Et c’est là qu’il faut aller jeter plus qu’un coup d’œil. Car, en annonçant une évaluation interne annuelle, et externe en fin de contrat, le BOEN publie les objectifs et les indicateurs de performance de l’enseignement scolaire retenus par le parlement dans la loi de finances pour 2007 (publication au JO du 27 décembre 2006)[[À consulter ici : www.education.gouv.fr/bo/2007/3/MENE0700047C.htm ]].
Incontestables, disent-ils ? Poursuivons cette aride lecture.
Prenons par exemple l’objectif 2 du premier degré : accroître la réussite scolaire des élèves en zones difficiles et des élèves à besoins éducatifs particuliers. Les indicateurs retenus dans la Lolf sont :
– Écarts réseaux « ambition réussite »/hors réseaux « ambition réussite » des proportions d’élèves maîtrisant les compétences de base en français et en mathématiques.
– Rapports, entre ZEP-REP et hors ZEP-REP et entre réseaux « ambition réussite » et hors réseaux « ambition réussite », des proportions d’élèves entrant en 6e avec au moins un an de retard.
– Écart des taux d’encadrement (nombre d’élèves par classe) entre ZEP-REP et hors ZEP-REP, et entre réseaux « ambition réussite » et hors réseaux « ambition réussite ».
Proportion d’élèves en situation de handicap parmi les élèves de l’école primaire.
Seul, le premier peut être un indicateur de réussite en termes de savoirs ; les trois autres sont quantitatifs, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont négligeables, mais ils ne disent rien de la « réussite » qu’ils prétendent mesurer. Rien sur la créativité des équipes, la pertinence de leurs projets pédagogiques pour le public concerné…Imaginons une équipe d’école en train de rédiger son rapport interne annuel : comment pourront entrer dans ces critères les actions culturelles et pédagogiques entreprises, leur justification, leurs résultats ?
Autre exemple : l’objectif « Disposer d’un potentiel d’enseignants qualitativement adapté ». Indicateurs ?
– Proportion d’enseignants inspectés au cours des cinq dernières années.
– Part du volume de formation consacrée aux priorités nationales.
– Taux de remplacement (des congés pour maladie ou maternité).
– Taux de rendement du remplacement.
– Proportion des personnels qui enseignent dans plusieurs disciplines.
Là, la logique à l’œuvre est encore plus flagrante : où est le qualitatif annoncé dans l’objectif ? La formation même n’est prise en considération que dans la mesure où elle s’inscrit dans les priorités nationales…
Ne perdons pas le fil rouge : vous vous rappelez que tout cela est toujours au service de l’égalité des chances, de la réussite pour tous ? Cette façon de se doter d’indicateurs masque mal l’idée de l’école qui prévaut ici : des maîtres « devant » les élèves, comme on dit (insistance forte sur les remplacements comme indicateurs), et, à côté de cela, aucune proposition d’action collective, ni pour les enseignants, ni pour les élèves.
Dommage, vraiment, que l’idée d’évaluation soit ainsi pervertie, renforçant dans leur méfiance des enseignants français traditionnellement réfractaires aux mesures évaluatives… À l’étranger, pourtant, d’autres « cultures » existent en la matière. Un enseignant de collège-lycée en Nouvelle-Zélande (où les résultats aux épreuves Pisa sont plus qu’honorables) m’expliquait que, chaque année, les élèves remplissent un questionnaire d’évaluation de leurs cours[[ [Pour recevoir ce document (en anglais) :->
florence.castincaud@wanadoo.fr] ]] (et donc… des professeurs !). Les enseignants rendent chaque année aussi un document d’analyse des résultats de leurs élèves (aux évaluations internes ou nationales) avec diagnostic et pistes pour améliorer la situation. Plus largement que d’évaluation, il s’agit ici d’un effort de dialogue, horizontal et vertical, où tout le monde a à gagner.
Nous le voyons bien avec la Lolf : si nous refusons de parler aussi en termes de responsabilité – y compris gestionnaire – ; si nous crions au scandale dès qu’on nous demande de formuler des objectifs, et même, idée saugrenue, de vérifier au bout du compte s’ils sont atteints, nous nous priverons d’arguments pour combattre une idée de la « performance » bien éloignée de ce à quoi nous travaillons.
Sur la Lolf, on lira avec profit l’analyse de nos amis d’Éducation & Devenir n° 1, janvier-février 2007 en ligne à cette adresse : education.devenir.free.fr/editorial.htm

Florence Castincaud