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Réussir à l’école : responsabilité de l’école maternelle

L’école maternelle française, historiquement créée comme lieu d’accueil de la petite enfance, a progressivement acquis une fonction propédeutique particulièrement bien explicitée par les orientations de janvier 1986[[Circulaire n°86-046 du 30/01/1986.]]. Vingt ans après, ce texte mérite une relecture attentive afin de comprendre l’évolution de cette institution. Il prescrit trois objectifs hiérarchisés : scolariser, socialiser, faire apprendre et exercer. Le premier devrait permettre à tout enfant issu de n’importe quel milieu, de comprendre les enjeux de l’école. Le deuxième est de socialiser, d’entrer dans une culture à travers des usages collectifs. Le troisième est de faire apprendre et d’exercer, en développant des activités définies autant en termes de démarche que de contenu.
Ces objectifs se sont transformés au fil des programmes successifs, rendant moins lisible pour les maîtres la nature des apprentissages nécessaires à une première scolarisation réussie. C’est dans ce manque de clarté cognitive que se développe une fonction différenciatrice de l’école maternelle qui touche les enfants issus des familles les plus éloignées de la culture scolaire.
Dès la première année, nous constatons qu’un petit nombre d’enfants ne tire pas partie autant que les autres des activités qui leur sont proposées, sans que pour cela ils soient atteints de retards ou de handicaps particuliers. Notre hypothèse en travail actuellement est que les situations scolaires mises en place sont potentiellement différenciatrices tant par les objets et les usages cognitifs et langagiers qu’elles supposent que par les buts qu’elles visent.
L’analyse des pratiques professionnelles et des activités des élèves de petite section nous conduisent à quelques propositions susceptibles de réduire ces inégalités en germe.

Ce que doivent apprendre les jeunes maîtres

L’expérience de la maternelle en particulier de la petite section est souvent déroutante pour les professeurs des écoles stagiaires. De nombreux ratages dans la mise en œuvre ont pour origine la méconnaissance de ce qui pose problème aux jeunes enfants entrant dans l’institution scolaire. Les objectifs de scolarisation et de socialisation, pour être atteints par tous les élèves, nécessitent d’être opérationnalisés dans chaque situation d’apprentissage.
En petite section, tous les enfants de trois ans ne s’intéressent pas spontanément à ce que dit ou montre le maître. En effet, il n’est pas naturel d’écouter un adulte qui ne s’adresse pas qu’à vous seul. Il s’agit pour les maîtres d’apprendre à susciter sans relâche l’attention conjointe[[L’attention conjointe est une notion développée par J-S Bruner dans « comment les enfants apprennent à parler », RETZ.]] collective de tous et de chacun par des gestes professionnels sollicitant l’activité cognitive grâce à des moyens verbaux et non verbaux : montrer, désigner par un geste, par des mots, redire ou reformuler la parole d’un enfant pour la faire partager par tous…
Les actions du maître, de nature sémiotique, ont une fonction contenante, permettant à tous les élèves de se sentir concernés par l’activité en cours, une fonction étayante permettant à tous de participer à l’activité. Elles organisent cette « médiation fondamentale pour le développement et l’apprentissage des élèves »[[Les pratiques langagières des enseignants : des savoirs professionnels inédits en formation , Bucheton, Bronner, Broussal, Jorrro, Larguier, LIRDEF-ERT IUFM Montpellier, Revue Repères n°30 2004, pp 13 à 33, INRP]].
Les maîtres débutants réduisent souvent la taille des groupes d’enfants pour tenter de maîtriser la situation d’apprentissage, mais le risque est grand d’entrer dans une relation duelle maître élève, centrée sur la tâche et non sur l’activité cognitive source d’apprentissages.
La conception même des situations d’apprentissage est délicate. Soit elle emprunte implicitement des formes scolaires intériorisées par les maîtres (exercice papier crayon par exemple pour répondre à l’impérieuse nécessité de la « trace écrite » ) mais que tous les enfants ne connaissent pas et ne comprennent pas, soit elle ne vise que la forme scolaire elle-même.

Prenons l’exemple du « graphisme » : s’exercer à faire des ronds quand on a trois ans c’est enthousiasmant quand on a l’intuition que ce savoir faire ouvre sur des potentialités graphiques accrues. L’expérience graphique du rond, c’est en effet un processus d’appropriation au cours duquel les significations sont investies d’un sens personnel au cours d’activités sociales[[Selon la conception présentée par Jean-Yves Rochex dans « le sens de l’expérience scolaire », PUF 1995.]]. Par exemple si avec l’enfant, des adultes ont montré qu’avec un rond on fait une tête, un ventre, une balle, le cœur d’une fleur, dans une situation psycho-affective positive, l’objectif de savoir dessiner un rond pourra prendre sens dans la tête de l’enfant.
Nous abordons là une variable extrêmement sensible de la situation d’apprentissage c’est-à-dire l’hétérogénéité des expériences culturelles des jeunes enfants qui arrivent à l’école. Sans vouloir « retarder » les quelques têtes blondes qui ont déjà fait la plupart des expériences culturelles développées par les apprentissages scolaires telles que raconter ce qu’on a fait, raconter l’histoire qui a été lue, dessiner, reformuler un livre en le feuilletant, jouer avec les sonorités d’un mot…, il est essentiel de faire avec tous, ces expériences capitales sans les dépouiller de leur potentiel affectif : l’adulte donne sens à la situation en les explicitant, en mettant du lien entre les situations, (c’est pareil ou c’est différent) en verbalisant les émotions, les sensations éventuellement ressenties par les enfants (c’est difficile ce que nous faisons là, c’est rigolo…). Il peut le faire en s’appuyant sur la parole des enfants plus avancés sans pour cela laisser s’installer des hiérarchies préjudiciables. C’est bien cela scolariser et socialiser, développer des expériences culturelles dans le cadre scolaire sur lesquelles les apprentissages scolaires s’appuieront.
Or nos jeunes professeurs des écoles investis de leur rôle d’enseignant veulent souvent aller vite en besogne et aborder sans préambule les savoirs à acquérir sans avoir installé solidement l’expérience culturelle qui les sous tend. Dans d’autres cas, soucieux de rendre les apprentissages visés plus accessibles, ils démultiplient les tâches les dépouillant de leur sens.

Les professeurs des écoles ont pour consigne de partir des compétences à construire pour organiser les apprentissages. Leur plus grande difficulté est d’imaginer des situations propices au développement de la compétence en jeu. Naturellement ils s’appuient sur le corpus de pratiques qu’ils ont observé ou qu’ils ont découvert dans la littérature pédagogique. Concevoir des situations d’apprentissage en anticipant au plus près les actions de ses élèves relève d’une dimension du processus de professionnalisation, amorcé à l’IUFM[[Le temps de formation à l’IUFM consacré aux pratiques d’enseignement en maternelle est très court : un module de 15h, 1 stage de 3 semaines ou un stage filé et quelques heures par les formateurs disciplinaires qui doivent aussi traiter les contenus des autres cycles.]] ; il demande du temps et un accompagnement associant échanges de pratiques et réflexion sur sa pratique.

Ce que ne voient pas toujours les maîtres plus expérimentés

Nos observations dans les classes ordinaires en petite section nous ont conduit à identifier des types de situations potentiellement plus différenciatrices que d’autres, celles pour lesquelles apparemment tous les élèves sont occupés mais selon des niveaux d’activité cognitive très différents.
Dans le domaine des arts visuels, les jeunes enfants ont utilisé brosses à dents, éponges et autres outils non conventionnels pour faire des traces. Ce jour-là (fin octobre) la maîtresse leur propose de peindre un carton pour mettre leurs doudous en réutilisant ces outils
Tous les élèves (une douzaine) ont peu ou prou peint leur carton . L’un d’entre eux s’est trouvé en difficulté quand il s’est aperçu que son interprétation de l’activité (réessayer systématiquement tous les outils mis à sa disposition) ne convenait pas, vu le temps qui lui était imparti et l’ampleur de la tâche. Quant aux autres, et malgré l’intervention attentive du maître demandant des verbalisations de l’action en cours, la tâche et les attentes qui étaient liées les submergeaient. Deux sources de difficultés se conjuguent :

  • L’usage technique de l’outil choisi par rapport au support en volume pose problème ; la liberté de choix non raisonné accroît la difficulté.
  • Il y a nécessité pour les élèves de modifier le contrat didactique précédent, c’est-à-dire le système d’attentes induit par le rappel des expériences effectuées avec les outils, pour réussir la tâche demandée « peindre son carton ».

De nombreuses situations proposées en petite section présentent en effet une tâche apparemment simple. Mais là où ce type de situations devient différenciateur, c’est lorsque aucune médiation didactique n’est prévue pour développer les activités cognitives et langagières efficaces : aides à la représentation de l’activité, au choix de la stratégie, au choix de l’outil. Les jeunes enfants apprennent à parler et à penser parce que des adultes s’occupent d’eux en leur explicitant ce qui se passe en contexte, en les sollicitant pour anticiper ou se rappeler d’un événement. En classe, les enfants n’ont pas tous le même type de relation à l’adulte. Certains sont déjà dans le type de relation requise par l’école, ils s’intéressent à ce que propose l’adulte, réajustent leur action en fonction d’indications langagières, alors que d’autres attendent que l’adulte prenne les décisions et leur indique la micro-tâche à effectuer ; d’autres encore ne sont pas sensibles à l’action langagière susceptible de guider toute action pour exécuter une tâche ou résoudre un problème.
C’est là où l’école maternelle a un rôle à jouer : permettre aux jeunes enfants d’apprendre à penser et à utiliser le langage (oral puis écrit) pour apprendre et se construire comme sujet.

La responsabilité de l’école maternelle dans la réussite scolaire

La première ligne des programmes 2002 affirme que l’objectif majeur de l’école maternelle est de « permettre à chaque enfant une première expérience scolaire réussie ». On peut le comprendre à plusieurs niveaux, celui de l’accueil des jeunes enfants et de leurs familles, en termes d’organisation et d’adaptation à l’âge et aux besoins des enfants.
Mais l’expérience scolaire[[Rochex (ibid.)]] comprend un versant objectif, ce que l’enfant comprend et construit sur le plan des savoirs, des attitudes, des capacités et un versant subjectif, la conscience qu’il en a, la valeur intellectuelle, esthétique, pragmatique qu’il leur attribue. Elle se nourrit de l’expérience familiale, elle est parfois aussi en conflit avec les valeurs éducatives et les modes de socialisation familiaux. L’école maternelle peut aider tous les enfants, quelle que soit leur origine, à intégrer la culture scolaire en participant pleinement à l’activité d’apprentissage si et seulement si :

  • les situations s’appuient sur des expériences culturelles
  • les situations s’inscrivent dans une progressivité[[Nous reprenons à notre compte la notion de progressivité définie par Mireille Brigaudiot dans Apprentissages progressifs de l’écrit à l’école maternelle : « c’est une progression qui tient compte des visées d’apprentissages ET qui prend en compte ce que les enfants nous apprennent de leur manière à eux de comprendre et de construire leurs compétences et leurs représentations », Hachette 2000 p28.]]
  • les situations prévoient une médiation prenant en compte ce que les élèves comprennent de la tâche et du contexte.

Pour repérer et développer les gestes professionnels efficaces, il reste à souhaiter que se poursuivent et se multiplient les recherches en didactique et sur la formation des maîtres, centrées sur les premières années de l’école maternelle.

Marie-Claude Javerzat, Formatrice IUFM Aquitaine, Coordonnatrice REP.