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Retrouver les chemins de la pensée

Précisons ici : ce billet n’est pas consacré à la politique d’Allègre. Loin de moi l’idée d’atténuer ses responsabilités qui restent écrasantes. Ses nombreuses déclarations à l’emporte-pièce, y compris après son départ, ont été bien entendu désastreuses, ce qui a amené par exemple Ségolène Royal à s‘en désolidariser dans les colonnes du Nouvel Observateur, ce qui est assez rare !

Nos élèves ne pensent pas. Ils préfèrent répéter des clichés entendus ici ou là plutôt que développer une pensée personnelle.

Ils sont souvent incapables de se contrôler et pratiquent vite l’insulte quand ils ne sont pas d’accord, quand, soi-disant « on leur manque de respect ». Difficile de les entraîner dans un débat argumenté quand ils sont en prise avec leurs « passions ».

Ils sont souvent cyniques et envisagent le monde comme une vaste foire d’empoigne où les plus forts survivent.

Ils cultivent le zapping tout en étant très conformistes. La « nouveauté » les dérange et ils ont une vision très conventionnelle de l’école (un ensemble de rites, avec des disciplines très cloisonnées, comme le montrent leurs réactions quand on pratique un peu l’interdisciplinarité : « monsieur, on n’est pas en maths, mais en français ! »)

J’entends souvent ce genre de propos en salle des profs ou ailleurs. Ils contiennent une large part de vérité et décrivent des réalités qui rendent notre travail d’enseignement bien rude. Seulement, voilà, je me demande si les travers que l’on déplore ainsi ne se retrouvent pas parfois chez nombre de ceux qui s’expriment sur l’école ?

Voyons de plus près :
Les clichés ? Les slogans qui remplacent la pensée ? Ne les trouve-t-on pas chez ceux qui, par exemple, n’ont à la bouche que des expressions comme « lycée light » : un exemple typique du procédé publicitaire, répété jusqu’à l’écœurement par de prétendus ennemis jurés de la « pub » et des techniques de « com » ? On peut citer aussi les fleurons de la novlangue actuelle qui évitent toute interrogation sérieuse sur des questions complexes « soumission au marché », « dangers du libéralisme », « mondialisation » (qui ont remplacé « soumission au grand capital », « démocratie bourgeoise », « impérialisme »)…

Lisons et relisons les divers libelles et manifestes parus dans la presse : aucune référence positive à des pratiques concrètes dans les classes, aucune, vraiment ! Et en revanche, des professions de foi où on retrouve les mêmes exemples, presque les mêmes phrases. Une absence d’analyse parfois terrifiante.

L’insulte ? J’ai été très choqué par la reprise du fameux « bouffon » appliqué à un ministre ? Un jeu dangereux, qui légitime ce relâchement du langage et de la pensée qu’on stigmatise à juste titre chez les élèves. Que des gens se prétendant « intellectuels » aient pu inventer un site où il s’agissait de « cliquer sur le bouffon » ne peut qu’attrister ceux qui croient au respect de règles de civilité dans une société démocratique. Et excuser ce type d’attitude en proclamant que « c’est lui qui a commencé ! » me rappelle trop le raisonnement d’élèves justifiant ainsi leur transgression de la loi.

J’ai peur aussi qu’ait des effets désastreux sur nos élèves le comportement cynique de ceux qui marchandent leurs voix aux élections. Le « lobbying » que l’on reproche légitimement aux chasseurs ne me paraît pas davantage tolérable chez des enseignants, bien au contraire. Sans parler du spectacle, heureusement rare, des cartes d’électeurs déchirées qui heurte mes convictions citoyennes !

Ce qui est nouveau provoque la méfiance ? À quoi bon prêcher la rigueur de la pensée, les nécessaires remises en cause des idées toutes faites ou de la prétendue vertu de l’argument d’autorité ou de l’expérience accumulée, si c’est pour brandir le « bon sens » comme réponse aux « élucubrations des pédagogues ». À quoi bon lutter contre le refus chez les élèves de bousculer leurs habitudes de pensée, si c’est pour refuser tout ce qui empêche de « penser en rond » ?

Bien heureusement, ce degré zéro de la pensée pédagogique est plus minoritaire qu’il n’y paraît parfois. Mais sans doute tient-il trop le haut du pavé. Il a ses relais médiatiques et intellectuels, il a ses succès éditoriaux. Ce qui m’ennuie le plus, c’est quand il influence des personnes que j’aime bien, qui me sont proches, qui souvent exercent leur métier de prof avec beaucoup de passion et de savoir-faire.

Suis-je complètement naïf de revendiquer tout au contraire de vrais débats, où les critiques plus d’une fois justifiées des décisions ministérielles se fassent en termes politiques, où puissent émerger de vraies discussions sur les dangers effectifs que court la culture aujourd’hui, où il y ait une interrogation de fond sur la validité des innovations et réformes, sans figer ces débats en affrontement entre deux camps ?

Un rêve qui s’appelle la démocratie…

Jean-Michel Zakhartchouk, Professeur de français en collège