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Répondre à la violence

La violence que l’enfant s’inflige à lui-même

Nous sommes au début du mois de décembre, et pourtant, nous n’avons toujours pas entendu le son de la voix d’Antony. Sollicité ou encouragé, pour toute réponse, il hoche la tête.
Le matin, il aime arriver parmi les premiers, car il peut choisir sa place. Mais, qu’arrive un des leaders, s’il désigne cette chaise comme la sienne, Antony se lèvera…
Pendant la récréation, Chloé ne se joint à aucun groupe : elle s’isole plutôt sur un banc. Elle suit avec attention ce qui se déroule, mais lorsque je l’encourage à se joindre aux autres, elle se referme et se tait : on dit de ces élèves : « Ils ne dérangent pas la classe… »
Nicolas et Sylvia sont absents. À leur retour, une mauvaise surprise les attend : le groupe d’amis dont ils faisaient partie s’est reformé : d’autres ont pris leur place… David manque de confiance en soi : il craint de se voir exclu des autres groupes de la classe : pour s’en faire accepter, il couvre ses camarades de menus cadeaux, de friandises, de petits jouets, et se montre omniprésent, ce qui aboutit au résultat inverse de ce qu’il espérait : le rejet.
Comment aider ces élèves trop soumis à se révéler au sein du groupe ?
Aucune force, aucune contrainte ne viendront à bout de cette soumission extrême.
Or, la classe est un champ d’action, dont les premiers acteurs sont les enfants eux-mêmes.
C’est donc à eux que je vais faire appel, afin de susciter des actions concrètes.

La petite équipe
Je confie à des enfants timides et effacés de petites missions, lorsque je suis sûre qu’ils seront capables de s’en acquitter : « Peux-tu remplir ces pots de colle, et au besoin, demande à Antony de t’aider. »En effet, il est bon de créer des liens en partageant ces petites tâches. Au cours des premières semaines de classe, tous les élèves doivent affronter des difficultés d’ordre strictement pratique : le simple habillage, le boutonnage précis de leur blouse, le laçage de leurs chaussures…présentent des obstacles considérables à l’autonomie qu’ils doivent acquérir. Puisque je ne peux assister chacun de ces jeunes enfants dont j’ai la charge, je vais proposer à ces enfants très inhibés l’occasion de participer à la vie de leur classe sans avoir besoin de parler.

Le jeu des fils invisibles
Je demande à mes élèves de s’asseoir en demi-cercle. Au centre, j’en appelle trois, qui vont à leur tour former un petit cercle. L’un d’entre eux a pris avec lui son dernier dessin, qu’il va décrire à haute voix à ses camarades, afin de se faire entendre de tous.
Pendant ce temps, sans l’interrompre, je me suis munie d’une petite cordelette rouge ; en silence, je suis le jeu, et je réunis peu à peu les interlocuteurs. « Vous ne voyez pas ces fils, et la même chose se passe si vous pensez à une personne que vous connaissez, mais qui n’est pas à côté de vous. » De ce jeu, ils doivent retenir l’existence du lien qui se crée entre des camarades, ou entre les membres d’une même famille.

La violence que l’enfant inflige aux autres

Beaucoup plus fréquentes, et visibles, sont les manifestations de violence dans les relations entre les élèves. Elles surviennent pour la plupart au cours des jeux, à l’extérieur de la classe, et leurs origines sont donc plus difficiles à surprendre pour l’enseignant. Certaines manifestations sont imprévisibles, et brutales : quelques enfants sont occupés à construire un château de sable : digues, ponts, tunnels… C’est alors que survient un camarade : sans rien dire, il suit un instant l’évolution du jeu, et puis, sans le moindre avertissement, il détruit l’édifice longuement assemblé.
Ce matin-là, le printemps a fait fleurir les robes de mes petites : c’est Sarah qui vient d’arriver, toute fière de sa nouvelle tenue. Elle s’arrête sur le seuil de la classe, en attendant les compliments. Mais c’est la voix de Nicolas que l’on entend, et il ne s’agit pas du compliment attendu : « Elle est moche, ta robe ! »
Certains ne parviennent pas à se mettre d’accord : « On veut bien jouer avec toi, mais tu veux toujours jouer aux princesses, et en plus tu veux toujours être la reine ! »
De telles manifestations de violence trouvent leur source dans des causes diverses comme la peur, le besoin de dominer, la toute puissance, le manque de confiance en soi, la jalousie…

Comment prévenir et réparer ces violences ?

À l’âge de nos élèves, le retour au calme durable ne peut s’imposer par l’autorité : là encore, je devrai donc donner aux élèves un rôle essentiel. Nous allons découvrir quelques exercices inspirés par la nécessité de vivre ensemble : dans les premières semaines, je vais animer ces séances destinées à mieux s’accepter. Puis, au fil des mois, je laisserai mes élèves les vivre de façon plus autonome, non sans surveiller attentivement cette évolution, qui reste très fragile : de nouveaux conflits pourront resurgir en toute occasion entre nos élèves, quels que soient les désirs de mieux vivre ensemble : une simple bousculade, un geste maladroit, une manifestation de jalousie, une attente déçue qui m’échappe…

Contre les malentendus : les petits débats
Les élèves qui assistent à ces débats comprennent vite qu’un jour prochain, ils seront eux-mêmes impliqués dans des conflits semblables, et qu’à leur tour, ils pourront consulter la classe. Ils découvrent les notions d’universalité, et de solidarité. Nous avons ouvert la voie à une meilleure communication, ce qui n’empêche pas d’autres heurts de se produire dans l’avenir. En évitant la culpabilisation, ils dépassent leurs rancunes individuelles, et s’en libèrent.

Contre le pouvoir, ou la sollicitude excessive : l’entraide
Un enfant trop avide d’assurer sa domination sur son entourage peut trouver dans la classe d’autres moyens de se rendre important sans écraser l’autre : « Peux-tu aider Anita à retirer son manteau ou Vincent à nettoyer les pinceaux de colle ? » Bien vite, ces petites missions vont obliger ces élèves à se montrer plus discrets, et à laisser plus de place aux autres élèves.

Contre les tensions : les marionnettes
Deux fois par mois, les enfants assistent à un spectacle mettant en scène un conte classique du répertoire, ou illustrant un évènement survenu dans leur vie scolaire, qui permet de transmettre plus facilement un message éducatif…Ces saynètes sont par la suite commentées en classe, et suscitent parfois la tenue de petits débats : « Que pensez-vous de ces animaux qui ont décidés de punir le canard qui n’arrêtait pas de les arroser ? »

Contre les tensions encore : le chant
De lui-même, Michel apporta un matin une cassette de ses chansons préférées, et n’eut de cesse de la faire entendre à tout le monde. Le chant occupe une place privilégiée dans les journées de ces élèves si jeunes. Il permet de s’exprimer, et de se détendre. C’est aussi le véhicule d’un effort collectif.

Contre le ressentiment : le ballon magique
Un enfant lance un ballon à l’un de ses camarades, en lui disant un mot bienveillant « Tu dessines très bien. » L’autre n’est plus simplement le concurrent à éliminer.

Pour un sentiment d’appartenance : créer un élan, un projet
S’impliquer dans un élan collectif permet d’oublier les inimitiés personnelles et les tensions au sein du groupe : la rédaction et l’illustration d’un ouvrage, quelques plantations…

Pour resserrer les liens : des fêtes
Chaque étape de l’apprentissage, de l’intégration d’un camarade étranger, sera
« fêtée » par de la musique, une danse, une distribution de friandises, etc.

Pour apprendre à s’émerveiller : les bonnes nouvelles

Quatre ans : l’autonomie passe par l’habillage, le rangement de ses vêtements, et, pour de nombreux élèves, cela représente une année d’épreuves importantes.Et, un matin, on entend une voix joyeuse : « Bonne nouvelle ! Oscar arrive à mettre son anorak tout seul ! »

Avide de relations, le tout jeune enfant a besoin de l’adulte pour diriger ses contacts vers une plus grande harmonie. Je dois rester vigilante sur les dangers qui menacent chaque jour les progrès amorcés :
-Donner du temps aux enfants soucieux de rester invisibles.
-Accepter que certains élèves ne se sentent pas prêts à affronter cette ouverture aux autres.
Je remercie mes élèves de m’inspirer ces actions, et de me tendre leurs petits miroirs, en m’entraînant avec eux dans ces démarches qui tissent un véritable mode de vie ensemble.
Pour lutter contre les effets de la violence, certains préconisent le »suivi disciplinaire »des supports médicamenteux… N’est-il pas plus souhaitable de travailler avec ces enfants au sein de la classe, afin de les rendre plus conscients, et plus responsables? »

Colette Vassieux, Professeur des écoles, Paris 15.