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Rencontrer à l’école les questions du monde d’aujourd’hui

Y a-t-il de l’eau sur Mars ? La catastrophe due au raz-de-marée dans l’océan Indien était-elle évitable ? Faut-il encore envoyer des journalistes en Irak alors que leur sécurité n’est pas assurée ? Qui est responsable du 11 septembre 2001 ? À quoi sert le traité pour la constitution européenne ? Peut-on laisser se développer les essais de culture transgénique en plein champ ? Pourquoi le ministre de l’Éducation a-t-il supprimé les TPE en terminale ? Qu’est-ce qui permettrait d’éradiquer le paludisme ? Un nouveau pape, ça change quoi pour le monde ? Est-ce vrai ce qu’on nous montre aux infos à la télé ?

Il n’est guère confortable d’accueillir en classe des questions qui n’ont pas de réponses déjà construites, déjà constituées en savoirs estampillés. Pourtant les réalités du monde envahissent nos salles de classe, que cela nous plaise ou non, et elles sont peut-être notre chance de retrouver le sens des savoirs que nous enseignons. Car ces réalités, lorsqu’elles surgissent, sont rarement formulées en questionnements, mais plus souvent grimées en certitudes, en colères, en provocations. Elles sont le point de départ d’un savoir qui reste à construire. Il faudra patiemment dégager les véritables questions des fortes charges émotionnelles – inévitables parce qu’il s’agit de la vie réelle, présente – largement alimentées par les médias, leurs propos assourdissants, leurs images opacifiantes et leurs non moins bruyants silences, et pourtant notre seul moyen d’accès à bien des savoirs sur le monde.

L’objet de ce dossier est de mettre à l’étude la place qui peut être donnée à l’actualité dans les pratiques enseignantes d’une école qui se veut formatrice de citoyens à la fois curieux de s’informer, instruits pour ne pas gober sans questionner, capables de faire le lien entre les savoirs appris à l’école et les informations reçues par les médias, et habiles à devenir eux-mêmes acteurs du dialogue social en participant à des médias.

Même si, comme le dit Michel Tozzi, les réponses de l’école doivent résolument s’ancrer dans « l’inactuel », même s’il faut « lire le monde actuel avec notre culture d’hier », on ne peut, sans faillir à la mission de l’école (Jacques Gonnet), laisser à la porte des classes les interrogations des élèves sur le monde. Il importe même, selon Serge Tisseron, d’écouter ce que les enfants ressentent et imaginent devant les images qui les bouleversent.
S’il semble reconnu qu’il ne peut s’agir, en classe, d’apporter une réponse définitive à des questions scientifiquement et socialement vives, leur mise en débat reste terriblement délicate du fait de leur brutal surgissement dans la vie sociale. Laurence Simonneaux nous montrera comment se pense et se prépare la mise en place d’un travail d’argumentation.
Une large place a été donnée aux propos des enseignants qui prennent en compte l’actualité dans leur enseignement. Ils montrent que lorsque l’actualité est critique : guerres, attentats, catastrophes naturelles, l’ignorer à l’école devient impossible et vain. Mais la seule manière de pouvoir réagir à l’événement du monde qui fait irruption en classe sans qu’on l’invite (deuxième partie du dossier), est de côtoyer au quotidien cette actualité, son bruit dans les médias, et de prendre l’habitude de le questionner (troisième partie du dossier). On verra que « le point d’actualité » peut devenir un rituel du cours d’histoire, le kiosque de presse un lieu privilégié du CDI, ou qu’un journaliste peut intervenir en classe sans remplacer le professeur.

On verra également comment, dès l’école primaire, on peut analyser une image d’actualité et comprendre qu’elle n’est qu’une représentation du réel dont le sens appartient aussi à celui qui la lit (François Malliet), et comment s’y prennent les enseignants qui veulent aider leurs élèves à décrypter les messages des médias, à en comprendre le sens, la construction.

L’enjeu éducatif est d’importance : le citoyen d’aujourd’hui doit être capable de faire le lien entre les apprentissages de l’école et les connaissances qui lui viennent des médias. Afin que ceux-ci deviennent aussi des savoirs construits, discutés, confrontés. Et afin que l’exercice de l’esprit critique et du doute ne soit pas qu’une méfiance simpliste et systématique mais une conscience éclairée de tout ce qui structure le monde et notre rapport au monde.

Odile Chenevez, coordinatrice Clemi[[Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information]], académie d’Aix-Marseille.