Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
,

REP+ : construire un réseau pour la réussite éducative

Elle est arrivée sur ce poste il y a plus d’un an après près de vingt-cinq ans de cheminement dans l’éducation. Elle a grandi dans un milieu très modeste, première de sa famille à obtenir le bac. « Très tôt, j’ai su que j’allais devenir institutrice, consciente déjà petite que ce serait une revanche sociale. » De cette revanche, elle a fait un défi, à la limite d’un conflit de loyauté familial, choisissant vite l’autonomie pour poursuivre des études en histoire. Une bourse lui permet de passer le CAPES. Elle échoue à la première tentative, un échec qui la conduira vers ce qu’elle souhaitait faire depuis longtemps, vers le concours de professeur des écoles.

Son premier poste est à Grigny, là où elle reviendra un quart de siècle plus tard. Elle intègre ensuite dans l’Essonne une brigade de remplacement. « J’avais envie de voir plein de choses avant d’avoir ma classe à moi. » Elle participe aux activités du groupe Freinet départemental, s’intéresse à la pédagogie coopérative. Elle découvre encore d’autres horizons en suivant son mari muté à Papeete en Polynésie française: la formation pour adultes ou encore le métier de libraire qu’elle exerce en lien toujours avec l’éducation. Elle conseille et forme des enseignants sur la littérature jeunesse.

De retour en métropole, elle reprend ses activités de professeure des écoles pendant trois ans puis intègre le Centre départemental de documentation pédagogique en tant que libraire. La mue de la structure en Canopée charrie quelques désillusions. La coordination d’un REP+ à Grigny lui est proposée au bon moment, celui du souhait de l’ouverture d’une nouvelle page professionnelle.

Puiser dans ses expériences

Dans ce poste où l’accompagnement et la mise en réseau pour viser la réussite des élèves issus de milieux modestes voire pauvres est le maître mot, elle amène son goût de la coopération, son attrait pour la culture et notamment pour la littérature jeunesse. Elle puise aussi dans son passé d’animatrice et de directrice de centre de loisirs, l’expérience de l’animation ; dans ses activités au sein d’une association autour du conte, la connaissance des liens tissés avec et entre les enseignants en dehors du cadre scolaire, sur des thèmes explorés ensemble.

Car dans la coordination d’un REP +, il n’est pas question de gommer les différences, de hiérarchiser les compétences entre enseignants et professeurs des écoles. « On les fait travailler sur des objets communs. Ce n’est pas simple car les problématiques ne sont pas forcément communes entre enseignants du collège et du primaire. On choisit des compétences transversales pour sortir du disciplinaire. L’objectif est de travailler ensemble en apprenant les uns des autres. » Son rôle, elle le conçoit dans la mise en relation, la valorisation des initiatives. Elle bâtit au quotidien un centre de ressources dans une approche collective. À Grigny, dit-elle, « la ville entière est un réseau d’éducation prioritaire » avec trois REP+ et une ambition municipale traduite dans un projet de cité éducative.

Ne pas cloisonner

Repris dans le plan Borloo, destiné à être reproduit dans une soixantaine de sites en France, le plan associe les différents intervenants de l’éducation en intégrant notamment l’académie de sport, le conservatoire, des résidences d’artistes. Il comprend aussi un grand médiapôle accueillant des classes et des activités en périscolaire. Il correspond à un « souci de ne pas cloisonner la place du gamin et de l’intégrer dans son parcours dans la ville avec tous les intervenants éducatifs. »

Les deux grands quartiers de la ville, la Grande Borne et Grigny2, là où les salaires médians frôlent à peine les 12000 euros par an, donnent le ton d’un niveau de pauvreté auquel seule une éducation concertée peut offrir une échappatoire constructive comme réponse. Certains enfants vivent dans un quotidien sans certitude, passant d’hôtel en hôtel faute de logement et de situation stable. Quatre-vingt-douze langues ont été répertoriées dans la ville. L’école n’est pas alors la première préoccupation.

« Impliquer les parents est un levier important. Il faut les mettre en confiance. » Le rôle de la commune est primordial avec la mise à disposition de traducteurs pour les rendez-vous avec les enseignants, les réunions parents-profs. Des cafés des parents sont aussi organisés pour échanger, comprendre ce qu’il se passe à l’école et développer une véritable co-. Le Musée d’art moderne de la ville de Paris est partenaire du REP+. Des visites sont organisées pour les élèves, mais aussi pour les parents.

-31.jpg

Partager, mettre en relation

« À Grigny, il y a beaucoup d’émulation, de travail en équipe, en particulier entre les trois REP+. » Le travail sur l’interdegrés s’avère primordial et, là aussi, la mise en relation joue son rôle. Les échanges de pratiques sont de mise avec des observations de classe. Parfois, il suffit de traverser la rue entre le collège et l’école pour aller voir, partager, mieux se connaître et envisager une véritable continuité sur le cycle 3. La principale a laissé des plages libres à des enseignants, tandis que l’inspectrice a assuré côté école des remplacements. Des groupes mixtes vont travailler ensemble sur des outils communs comme les ceintures de compétences en orthographe.

Des pratiques trouvent écho dans les deux niveaux, celles d’une enseignante du secondaire en coopération et en classe inversée trouvent une correspondance dans des gestions de classe en élémentaire. « Le but est que des outils soient construits ensemble afin de fluidifier les parcours des élèves. »

Dans leurs missions, les coordonnateurs Rep+ voient inscrits le mot innovation. Valérie Hermant a participé, aux tout débuts des ordinateurs en classe à un village interactif où les élèves dialoguaient avec des personnages du XIXe siècle, le projet ANVIE la Corbeline. Depuis, elle voit le numérique comme un moyen différent de faire passer des connaissances. Elle sait aussi que les projets s’impulsent en prenant des risques, en dialoguant au jour le jour, en utilisant l’empathie plus que la directivité.

Elle regarde du côté de Claire Héber-Suffren et des réseaux réciproques d’échanges de savoirs pour y puiser des idées qui suscitent une émulation, un partage et une construction coopérative de solutions propices aux apprentissages. « L’idée de réseau ne doit pas rester qu’un mot sur le papier. Il faut créer, impulser le réseau sans être là pour convaincre. Le coordonnateur doit s’effacer car il est là pour permettre aux gens de se rencontrer, de travailler ensemble. »

Son travail comporte son lot de tâches administratives fait de bilans, de rédaction de projets, de compte-rendus de réunions. Elle contribue aussi à l’élaboration du plan de formation pour les enseignants, alimente en ouvrages la bibliothèque pédagogique de la circonscription. Elle diffuse une newsletter pour les enseignants du primaire en recensant pour chaque thématique des ressources et des innovations. Elle participe à des séminaires, des conférences, avec des collègues d’autres Rep+ pour réfléchir ensemble aux actions à mettre en œuvre.

Elle apprécie la variété de son activité professionnelle, mais ce qu’elle aime par dessus tout c’est la mise en lien et son rôle de facilitateur, de passeur. « Ce n’est pas toi qui fais mais tu vas donner aux autres les moyens de faire en faisant le lien avec la problématique rencontrée, en les dirigeant vers ce qui va les aider dans leur démarche. Tu sais que cela a marché quand tu as un retour positif et c’est le plus important. » Là encore se croisent et se mêlent le goût de la coopération et l’idée d’un centre de ressources sans cesse en construction. « Il faut veiller à ne pas mettre en danger les gens. La relation humaine est la pierre angulaire de mon travail. »

Monique Royer