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Questions sur l’Islam et l’école laïque

Le dessin de Jean-Marie Olaya

L’islam-religion est enseigné clans le programme de cinquième. Dans les manuels, cet Islam est « figé », « dogmatique », « fixé » vers le tournant des Xe-XIe siècles. Ne faudrait-il pas réactualiser nos « savoirs » sur l’Islam ?

Le vœu de tirer les exposés sur l’Islam de la malveillance ou du moins des stéréotypes où ils sont trop souvent enfermés a été formulé bien des fois. Il procède, à mon sens, de l’évidence même. La civilisation islamique a certes eu son « âge d’or », ses « siècles obscurs » (ou réputés tels), et qui chez elle ont culminé négativement, si je puis dire dans l’Islam colonial. Mais à aucun moment n’ont manqué les valeurs, les expériences originales, les résistances à la dérive et à l’oppression. Dans la période contemporaine, il faudrait mettre l’accent, sans préjugé hostile comme sans complaisance, sur les efforts vers la modernité et la mondialité.

Que pensez-vous d’une plus grande prise en compte du fait religieux ? Serait-ce une « brèche » clans la laïcité à la française ? L’enseignement de l’Islam y contribuerait-il ?

La laïcité qui consisterait dans l’ignorance ou l’élision de la dimension religieuse de l’homme, des sociétés, des civilisations, serait pure mutilation. Elle n’a plus cours, heureusement. Les religions, et les cultures qui en découlent, doivent devenir une occasion de connaissance et d’enrichissement spirituel. L’Islam est naturellement du nombre.

Le dessin de Jean-Marie Olaya

Le dessin de Jean-Marie Olaya

Y a-t-il des « enjeux » particuliers qui devraient conduire à une meilleure prise en compte de l’Islam dans l’École publique ?

L’Islam est notre horizon du Sud. Une « frontière » qui règne maintenant parmi nous-mêmes : un million, pour le moins, de nos concitoyens, trois millions de nos co-résidents. De plus, une antique tradition de rapports franco-islamiques : tout cela devrait privilégier chez nous cette étude.

Selon les réponses à un questionnaire diffusé auprès d’enseignants, chefs d’établissement, documentalistes… des « difficultés » ont été mentionnées concernant les élèves « maghrébins » (« foulards », refus de participation de jeunes filles à des cours d’EPS, refus d’élèves d’entrer dans une église lors d’une « sortie éducative »…) ?

Il va de soi que la laïcité de l’école exclut l’auto-discrimination, surtout lorsqu’elle est provocatrice (foulard dit islamique). Qui n’accepte pas pour soi-même l’idéal de la laïcité ne peut s’en prévaloir.

Que souhaiteriez-vous dire à des enseignants qui ont tendance à présenter l’Islam comme « inconciliable » avec notre tradition laïque ?

Qu’ils confondent Islam et Islamisme, c’est-à-dire font un amalgame abusif. L’Islamisme, d’ailleurs, n’est pas un extrémisme religieux ; comme on le croit à tort. C’est l’utilisation de la religion en politique.

Y a-t-il une « demande d’Islam » dans les familles d’origine maghrébine ? Turque ?…

Oui, naturellement, par besoin de sécurité morale et pour réagir contre certains aspects de laxisme en Occident. C’est la réaction même des « cathos » en France.

Que sait-on de la « culture religieuse » des jeunes de la deuxième génération ?

Apparemment cette demande faiblit par assimilation au milieu.

Une meilleure connaissance de l’Islam par le biais de l’École laïque, pourrait-elle contribuer à effacer clichés et stéréotypes qui nourrissent les clichés racistes ?

Oui, mais où sont les maîtres ?

Encore le foulard… Les enseignants sont-ils suffisamment « armés » sur cette question ? Au nom de la laïcité et des « valeurs » de progrès, ne risquent-ils pas de participer malgré eux, au maintien d’une intolérance dont les élèves les moins bien « intégrés » sont les victimes ?

Il faut savoir que la lutte pour le dévoilement de la femme a commencé dans les pays arabes dès la fin du xixe siècle. Livres célèbres de Gâsim Amin (1863-1908) en Égypte : Libération de la femme et La femme nouvelle. Le statut de la femme constitue en effet, le critère actuel le plus décisif dans les sociétés arabo-islamiques. La France ne doit rien faire qui puisse, de près ou de loin, concourir à la régression de la femme musulmane ou à son enfermement.

Cet entretien est extrait du dossier « Enseigner les religions à l’école laïque » des Cahiers pédagogiques publié en 1994. (n° 323).