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Questions aux candidats aux élections présidentielles

Pour chacun des trois problèmes évoqués, choisissez les deux propositions qui vous semblent essentielles et les deux avec lesquelles vous êtes le plus en désaccord…

1. À l’école primaire et dans les collèges de l’enseignement public, les parents sont tenus d’inscrire leurs enfants dans l’établissement de la circonscription de leur lieu de résidence.

  • 1 Les parents doivent pouvoir envoyer leurs enfants dans l’école de leur choix.
  • 2 L’école est un service public de la République. L’école ne peut choisir son public ni le public son école.
  • 3 Les options « rares » ou à caractère culturel « noble » doivent être implantées en priorité dans les établissements situés dans les secteurs les moins favorisés.
  • 4 L’obligation de respecter la carte scolaire est une mesure trop timide : La mixité sociale devrait être rendue systématique et obligatoire dans les écoles.
  • 5 L’obligation de respecter la carte scolaire renforce la ségrégation sociale : Seuls ceux qui ont les moyens ont le choix de la meilleure école pour leur enfant.
  • 6 L’obligation de respecter la carte scolaire est une mesure inapplicable et bureaucratique qui encourage toutes sortes de dérogations invérifiables.
  • 7 Défendre l’obligation de respecter la carte scolaire c’est aussi défendre la fonction éducative de l’école.
  • 8 L’obligation de respecter la carte scolaire est inutile : elle ne résoudra pas les inégalités sociales ni les problèmes de la politique urbaine.
  • 9 L’obligation de respecter la carte scolaire fait partie des pesanteurs administratives qui paralysent le système éducatif.
  • 10 La violence naît dans les ghettos. Respecter la carte scolaire c’est œuvrer pour la paix sociale.

2. La réforme Haby sur le « collège unique » a été prolongée par « le collège pour tous » de Jack Lang. Refusant les filières, il prévoit que tous les élèves suivent le même enseignement.

  • 11 Le collège pour tous est une chimère : les options tiennent lieu de sélection.
  • 12 Le collège pour tous est un choix politique fondamental qui permet d’aller vers une réelle démocratisation de l’accès aux savoirs.
  • 13 Le collège pour tous est une mesure qui pousse à mettre en œuvre une pédagogie active où les meilleurs peuvent aider les moins bons.
  • 14 Le collège pour tous comporte un risque grave de nivellement par le bas.
  • 15 Le collège pour tous a permis de lutter contre la confusion entre la sélection scolaire et la discrimination sociale.
  • 16 Le collège pour tous est une mise en actes du postulat qui reconnaît à chacun la capacité d’accéder aux savoirs de base.
  • 17 Le collège pour tous ne tient pas compte des difficultés à gérer l’hétérogénéité.
  • 18 Le collège pour tous prive les élèves en difficulté de filières adaptées, capables de leur permettre de réussir.
  • 19 Le collège pour tous permet de redéfinir les savoirs nécessaires à la constitution de notre culture commune.
  • 20 Le collège pour tous démotive les professeurs privés de toute perspective gratifiante..

3. Faut-il demander aux enseignants d’être des spécialistes dans leur discipline, des pédagogues, des éducateurs… ? Tout dépend de la fonction qu’on leur assigne.

  • 21 L’école a besoin avant tout de professeurs hautement qualifiés dans leurs disciplines.
  • 22 L’école a besoin de professeurs qui soient d’abord des facilitateurs et des médiateurs d’apprentissages.
  • 23 L’école est un lieu où il est évident qu’on apprend ce qu’on ne sait pas. Demander à l’élève d’être autonome est un leurre.
  • 24 L’enseignant doit d’abord savoir exploiter ce que les élèves savent déjà, prendre en compte leurs centres d’intérêt pour pouvoir les motiver et les entraîner dans le travail scolaire.
  • 25 L’école a besoin de professeurs qui soient centrés d’abord sur la transmission des savoirs.
  • 26 L’école a besoin avant tout de professeurs qui connaissent les techniques qui permettent de « faire apprendre », les connaissances disciplinaires ne suffisant pas.
  • 27 Les élèves n’étant pas tous identiques, on doit prévoir des formations spécifiques pour les professeurs destinés à chaque type de public.
  • 28 L’école a besoin d’enseignants capables d’un minimum de polyvalence.
  • 29 L’école a besoin d’enseignants capables d’affirmer leur autorité. C’est d’abord en acceptant cette autorité que les élèves peuvent apprendre.
  • 30 Les enseignants ont comme mission fondamentale de former de futurs citoyens ; ce qui implique de leur donner un certain pouvoir sur leurs études pour qu’ils soient plus responsables.

Avant toute chose, nous tenons à préciser que la forme du Q. sort correspond à un choix délibéré. Nous en connaissons les limites et les « réponses » doivent être interprétées avec prudence et nuance. Privilégier tel ou tel item ne signifie pas un plein accord avec le contenu, dont la formulation lapidaire est de toute façon réductrice. Cela permet cependant de percevoir une orientation, une tendance ; l’analyse croisée des choix positifs et des choix négatifs fait souvent apparaître des glissements de sens… et révèle par là même toute la complexité des problèmes évoqués.

Refus de la forme du Q. Sort :
Arlette Laguiller de manière explicite : « cadre contraignant ne permettant pas de dire le fond de ma position ». Les questions sont jugées « surtout pédagogiques » et relevant plus de la compétence des pédagogues que de la sienne propre en tant que politique. D’autre part, s’il lui est facile de repérer les positions avec lesquelles elle se juge en plein désaccord, il lui est plus difficile de désigner des positions qui entraînent « pleinement » son accord. Elle recadre nos questions dans une analyse politique globale.
Jean-Pierre Sueur (secrétaire national à l’Éducation du parti socialiste) pour Lionel Jospin : répond aux trois questions, de façon assez développée, mais sans tenir compte des items proposés.
François Bayrou : répond de façon succincte (une ou deux phrases) aux trois questions, les questions ouvertes étant plus développées.

Refus partiel :
Jean-François Périssol pour Jacques Chirac a répondu en partie sur la question de la carte scolaire (items positifs), ainsi que sur un item de la question trois (autorité de l’enseignant). Le reste étant développé de façon libre.

Les quatre autres partis ont accepté de jouer le jeu.
Pour ce qui concerne Noël Mamère, il a tenu à préciser sa méfiance devant la simplification réductrice des choix proposés et souhaite que l’interprétation soit faite de manière nuancée : « En choisissant par exemple l’item 29 comme étant négatif, et les items 25 et 30 comme positifs, nous ne voudrions pas laisser croire que nous rejetons toute forme d’autorité… Ce choix indique simplement que nous préférons aborder la question de la mission de l’enseignant en privilégiant une démarche qui fait de l’élève le constructeur de son savoir plutôt que le sujet passif d’un enseignement autoritaire. Mais il n’est pas question que le professeur abandonne la responsabilité que lui confère son statut. »
Il va de soi que toutes les réponses que nous reproduisons ici devront être comprises dans cet esprit de nuance, comme nous l’avons déjà indiqué plus haut.
Nous demandions des choix d’items. Cependant, lorsque les candidats ont répondu par des développements rédigés, nous avons essayé de prendre en compte le contenu de leurs réponses dans les synthèses.

Le plus en accord
Le plus en désaccord

1. carte
scolaire

2. collège
pour tous
3. fonctions
de l’enseignant
Candidats

1. carte
scolaire

2. collège
pour tous
3. fonctions
de l’enseignant
2 – 4
16 – 19
24 – 29
Robert Hue
1 – 9
14
27
7
16 – 17
25 – 29
J.-P. Chevènement
6 – 9
15 – 19
22-27
2 – 5
16 – 17
25 – 30
Noël Mamère
1 —
14-20
29
1 – 5
17 – 18
27 – 24
Alain Madelin
7 – 10
13-15
23-25
2 – 1
29
Jacques Chirac

Lionel Jospin

François Bayrou
Arlette Laguiller

Les chiffres renvoient aux numéros des items

1. La carte scolaire

Sur la question de l’obligation pour les parents d’inscrire leurs enfants dans l’établissement de la circonscription de leur lieu de résidence (carte scolaire) la majorité des candidats considère que l’école doit rester un service public de la République : « l’école ne peut donc pas choisir son public, ni le public son école » (item 2).

Alain Madelin avance que les parents doivent pouvoir envoyer leurs enfants dans l’école de leur choix (item 1) où « les enseignants auront une liberté de moyens pour faire une meilleure école ». Le choix de l’item 5 conforte cet engagement, en lui donnant une justification démocratique (donner les moyens d’un vrai choix à tout le monde).

Jacques Chirac semble en accord avec l’obligation de respecter la carte scolaire (item 2) mais paradoxalement, retient dans le même temps l’item 1 : par un glissement de sens, la liberté de choix s’opère entre enseignement public ou privé (où la sectorisation n’a pas force de loi).

Le principe de la mixité sociale est réaffirmé par tous : la carte scolaire en est un moyen mais doit être repensée pour être réellement démocratique et plus égalitaire, en évitant la constitution d’établissements « repoussoirs » et en maintenant la qualité de l’offre éducative dans tous les secteurs (socle commun de savoirs fondamentaux, diversification des pratiques pédagogiques). Les divergences de point de vue interviennent sur le plan des démarches pour parvenir à cette école de la réussite :
– Pour Jacques Chirac : engagement des établissements sur des résultats et non sur les seuls moyens.
– Pour Noël Mamère : développement des moyens pour les ZEP ainsi que des aides aux études ; accompagnement et soutien auprès des élèves ; groupements et approches pédagogiques variés et diversifiés.
– Pour Lionel Jospin : élargissement du périmètre de recrutement pour une mixité scolaire plus réelle, accompagné d’une restructuration sociale des « aires urbaines ».
– Pour Robert Hue : dépassement des « logiques de soutien/rattrapage » pour travailler sur la mise en activité des élèves et sur leurs rapports au savoir afin d’en faciliter l’appropriation.
– Pour Arlette Laguiller : diminution des inégalités des chances en aidant prioritairement les publics des quartiers populaires et des familles les plus modestes.
– Pour François Bayrou : expérimentation systématique avant toute réforme.
– Pour Jean-Pierre Chevènement : respect de la carte scolaire tout en revoyant la dimension des secteurs en fonction des réalités locales.

2. Le collège pour tous

Sur les quatre réponses au Q. Sort, l’item 16 et l’item 17 sont choisis respectivement trois fois.
Robert Hue : 16 et 19
Jean-Pierre Chevènement : 16 et 17
Noël Mamère : 16 et 17
Alain Madelin : 17 et 18

Derrière cette apparente convergence de vues, se cachent d’importants clivages idéologiques.
En effet, l’item 17 formule un constat : l’échec du collège unique institué en 1975 par Haby. Faute d’avoir su affronter l’hétérogénéité des élèves qui en a découlé, le collège est devenu une machine à creuser les écarts, à fabriquer de l’échec. La prise de conscience semble bien commune de la gauche à la droite. Les commentaires de Lionel Jospin et de Jacques Chirac l’attestent également.
L’item associé à ce choix devient alors révélateur des valeurs sous-jacentes : alors que l’item 16 (Rober Hue + Noël Mamère + Jean-Pierre Chevènement) met en avant le postulat d’éducabilité, l’item 18 (Alain Madelin) met en avant la nécessité de recréer des filières « adaptées ».
Le refus concomitant de l’item13 qui prône les valeurs de coopération semble cohérent. (Il ne s’agit pas ici de retomber dans une opposition manichéenne droite/gauche : nous savons bien qu’une partie de la gauche est tentée par cette solution qui aurait le mérite de la clarté et permettrait un parcours scolaire moins douloureux aux élèves « prédestinés » à une sélection précoce. Il est néanmoins intéressant de voir réaffirmé le refus de ce que d’aucuns voudraient faire passer pour une fatalité.)
On peut noter également le cas de l’item 19. Alors qu’un relatif consensus se dégage des choix positifs entre Robert Hue, Noël Mamère et Jean-Pierre Chevènement, (items 16 +17), l’item 19 apparaît en négatif pour Jean-Pierre Chevènement et en positif pour Robert Hue : la question de la « culture commune », de la redéfinition des savoirs révèle des oppositions de fond. En filigrane nous pouvons y lire d’un côté l’attachement à l’élitisme républicain pour qui le maintien d’un haut niveau d’exigence pour tous se satisferait de la forme scolaire héritée de la tradition des lycées ; de l’autre côté, la nécessité de repenser les savoirs et leurs modes de transmission en prenant mieux en compte les élèves.
Jacques Chirac quant à lui, critique le collège unique revu et corrigé par Jack Lang, en ce qu’il serait « uniformisant » même dans sa volonté de diversifier les parcours et les options, dès lors que cette volonté s’applique « de la même façon uniforme pour tous ». Tout en conservant « un but unique », le collège doit donc « offrir des modalités pédagogiques adaptées et personnalisées ».
On avoue ne pas saisir clairement ce qui différencie lesdites modalités de celles préconisées par Lionel Jospin : « enseignement plus individualisé, travaux par petits groupes », ou « palette d’enseignements plus large, intégrant en particulier une ouverture à la culture technologique »… sauf que les dernières sont plus précisément déclinées que les premières…

3. Fonctions de l’enseignant

La troisième série d’items concernant le métier d’enseignant fait apparaître des réponses assez disparates et parfois déconcertantes.
L’item 25 « L’école a besoin de professeurs centrés sur la transmission des savoirs » rallie les voix conjuguées de Jean-Pierre Chevènement et de Noël Mamère et est au contraire refusé par Alain Madelin, lequel en accord pour le coup avec Robert Hue qui privilégie l’item 24 nous montre un enseignant dont la pédagogie est centré sur l’élève, « entraîneur », « motivateur »…
L’item 29 qui désigne l’autorité du professeur comme fondement même des possibilités d’apprentissage des élèves recueille l’approbation de Jean-Pierre Chevènement, de Robert Hue et de Jacques Chirac (un des seuls items que Jacques Chirac a pris en compte, ce qui lui donne un poids particulier).
Les lignes de frontière sont floues et illustrent bien la situation incertaine de l’enseignant, pris entre de multiples injonctions, de multiples images, parfois trompeuses.
Les qualités attendues du professeur « libéral » (dynamisme, esprit d’initiative, autonomie, attention à l’élève considéré dans sa singularité) ne seraient pas reniées par le professeur « crapiste ».
Les valeurs sous-jacentes qui donnent sens à leurs pratiques ne sont perceptibles que dans le projet global de société qu’ils défendent.


Quelles mesures urgentes ? Quel chantier prioritaire ?

Dans un second temps nous avons posé deux questions ouvertes :
« Si le suffrage universel vous confie la charge présidentielle :
– Quelles seraient les deux ou trois mesures les plus urgentes à prendre dans le domaine de l’Éducation nationale ?
– Quel serait le chantier le plus important que vous entreprendriez ? »

Les développementsontété très inégaux : entreles six pages de Jean-Pierre Chevènement et la demi-page des Verts ou de François Bayrou, les candidats s’en sont tenus pour la plupart à des déclarations générales dans lesquelles on reconnaît, comme des répliques fidèles et trop attendues, les mots d’ordre caractéristiques.

L’École : une priorité
Pour tous, l’École apparaît comme une priorité nationale, supposant un investissement important. Maintenir la cohésion sociale, développer la citoyenneté, dégager les élites nécessaires pour l’avenir, faire reculer les injustices et les inégalités sociales : toutes ces missions font de l’École l’affaire de tous : son organisation comme ses missions doivent faire l’objet d’un véritable débat national, sanctionné par un vote à l’Assemblée.
Cette nécessité est explicitement énoncée par trois candidats : Jacques Chirac, François Bayrou et Robert Hue.

« L’égalité des chances » : un leitmotiv de la droite
Revendiquée explicitement par Alain Madelin, François Bayrou et Jacques Chirac, l’égalité des chances apparaît comme la pierre d’angle de leurs projets.
Alain Madelin en est le promoteur le plus affirmé. Cette idée lui permet de dessiner clairement le projet de société libérale sous-jacent à ses propositions, tout en insistant sur leur caractère démocratique :
« Plus que jamais l’école doit favoriser l’égalité des chances et l’ascension sociale […]. À la formidable mutation de notre société doit correspondre une mutation profonde de notre système éducatif. Pour donner leur chance à tous les enfants de France il faut faire place à la diversité, libérer l’initiative et l’énergie, responsabiliser et faire confiance aux enseignants. »
« Mettre en place avec les entreprises pour ceux qui quittent plus tôt le système éducatif un capital formation « deuxième chance » dont ils peuvent disposer tout au long de leur vie. »
Jacques Chirac fait reposer la réorganisation du système éducatif « sur la confiance placée dans l’ensemble des acteurs éducatifs » afin de déterminer les contenus du socle fondamental commun, de fixer les objectifs, de veiller au progrès de l’égalité des chances… Un cadrage administratif strict et hiérarchisé organise l’ensemble du système dans ce but :
« À l’État et à la représentation nationale la responsabilité de garantir la cohésion du système éducatif, de déterminer les contenus du socle fondamental commun, de fixer les objectifs, de veiller au progrès de l’égalité des chances ; d’établir le niveau des diplômes, et le niveau des concours de recrutement des enseignants ; de répartir les moyens financiers entre les académies selon les critères approuvés par le Parlement ;
À l’Académie, la responsabilité de négocier les contrats avec chaque établissement de sa région ; de contrôler les résultats de l’établissement, et d’évaluer les personnels.
À l’établissement, la responsabilité de choisir et d’organiser les modalités pédagogiques de son enseignement, d’administrer ses moyens.
Aux enseignants et à l’équipe éducative, coordonnés par le chef d’établissement, la responsabilité d’élaborer les termes du Contrat d’Éducation Personnalisée, de l’appliquer et de conduire 100 % des élèves sur le terrain de la réussite.
Au ministre, enfin, et à son administration, la responsabilité, au nom de la Nation, de définir clairement les objectifs, et non les modalités. Celui-ci s’interdira de signer des circulaires pédagogiques. »

François Bayrou s’engage prioritairement dans « la lutte contre l’illettrisme » avec promesse de moyens sans limite « quel qu’en soit le prix ». Cette finalité est posée comme une évidence.
« Ma priorité sera d’engager la lutte contre l’illettrisme […] C’est la condition absolue pour rétablir l’égalité des chances dans notre pays. Continuer d’admettre que 10 à 15 % de notre jeunesse soit illettrée, c’est finalement pousser ces jeunes à l’inaction et à la révolte et c’est se priver des moyens de lutter contre l’insécurité et l’exclusion.»

Arlette Laguiller dénonce l’injustice sociale
À noter la position spécifique d’Arlette Laguiller sur ce point : sans nier l’importance de l’École dans le débat politique, cette dernière n’est qu’un élément secondaire dans un système qu’il faut bouleverser dans sa globalité. Elle n’est pas un terrain privilégié de la transformation sociale. L’École peut certes, sur son terrain propre, contribuer à « diminuer les injustices » essentiellement par l’attribution de moyens massifs en direction des populations les plus défavorisées mais sans illusion quant au recul des inégalités sociales.
Arlette Laguiller dénonce donc d’abord l’injustice dont sont victimes les écoliers des classes populaires.
« Parce que l’école est un service public, elle devrait, au moins partiellement, diminuer les inégalités des chances. […]
Les dirigeants politiques ont par exemple le cynisme de se plaindre de la non-intégration de nombre de jeunes des quartiers populaires, sans même parler des crapules qui font de cette non- intégration un argument pour toutes sortes de démagogies anti-immigrés et xénophobes. Mais, comment donc la famille d’un ouvrier travaillant sur chaîne et dont l’épouse, lorsqu’elle ne travaille pas elle-même, parle et comprend souvent mal le français, peut-elle s’occuper de son enfant de 5, 6, 7 ou 8 ans, surtout lorsqu’il y a beaucoup d’enfants ? Or, c’est à cet âge-là que les enfants apprennent d’abord à parler correctement, puis à lire et à écrire en partie avant même d’entamer leur scolarité obligatoire. »

Dans la gauche « classique » : lutte contre l’échec scolaire
Les partis de gauche manifestent leur volonté égalitaire en d’autres termes : cette volonté s’exprime plus en termes de « lutte contre l’échec scolaire ».
Lionel Jospin valorise particulièrement ces objectifs :
< « Donner les moyens de lutter dès l’école élémentaire, contre l’échec précoce. C’est dès les premières années de l’école qu’il faut éviter que les écarts ne se creusent. »
Par ailleurs, Lionel Jospin rappelle que les capacités d’initiative des enseignants, sont un facteur de réussite du système éducatif :
« Un service public moderne n’est pas un service public hypercentralisé, mais un service public qui s’appuie sur les capacités d’initiative de ceux qui le servent. »
… et n’oublie pas le premier cycle de l’enseignement supérieur dont il appelle à « améliorer les taux d’encadrement ».
Enfin pour Lionel Jospin, le chantier prioritaire est « le droit à la formation tout au long de la vie », « qui doit permettre d’en finir avec les grandes inégalités qui existent en matière de formation continue (aujourd’hui, la formation continue bénéficie en priorité à ceux qui ont eu une scolarité initiale longue). Ce sera un nouveau droit fondamental de chaque citoyen. »
Robert Hue met lui aussi en avant la nécessité d’une formation tout au long de la vie mais souligne avant tout son objectif prioritaire en ces termes : « Faire reculer les inégalités sociales dans l’appropriation des savoirs ». À noter la position qu’il est seul à développer : l’importance de mettre en place « un programme national de recherches contre l’échec » et de « dépasser les logiques de « soutien/rattrapage »>br />
« Ce chantier du recul des inégalités n’est en rien “technique”. Il implique une réflexion de fond sur les finalités de l’École, une refondation de la culture scolaire, une modification profonde du regard porté sur les milieux populaires.
Il a un coût en terme de mesures sociales et d’extension de la gratuité, d’accompagnement scolaire, de renforcement de la professionnalité enseignante, d’élargissement des équipes éducatives, de statut des délégués élus des différents conseils. »

Il s’agit, pour Robert Hue, de « travailler vraiment les énigmes des rapports au savoir et de la mise en activité réelle de tous les élèves ». Il est intéressant de voir ce mot « énigme » qui suppose une attitude de curiosité scientifique, une problématique ouverte dépassant les habituelles prises de positions idéologiques.
Noël Mamère insiste sur la construction d’« une école pour tous » en ciblant les moyens prioritairement vers les publics en difficultés (ZEP, « réduction de la fracture scolaire ») « Démocratie, innovation, évaluation » sont les maîtres-mots de son projet (présenté assez succinctement). À noter une dimension qu’il est le seul à mettre en valeur : le temps, le long et moyen terme dans les programmations. « L’annualité budgétaire ne permet pas toujours de projeter à long terme. » Ne pas gaspiller les moyens, prendre en compte la durée, expérimenter : posture qui reflète bien le rapport au monde qu’il défend.
« Favoriser l’autonomie des établissements pour gérer l’hétérogénéité des élèves. Les équipes pédagogiques des collèges et des lycées doivent mettre en place des groupements d’élèves variés et des approches pédagogiques diversifiées, fondés sur une analyse de la situation spécifique. »
Pour Jean-Pierre Chevènement : l’égalité républicaine forme le socle en granit d’un programme qu’il développe en trois points :
« 1. Recentrer l’École sur sa mission première : l’instruction, c’est-à-dire la transmission du savoir et de la culture. Il faut en finir avec l’évacuation de l’apprentissage méthodique et systématique des règles de grammaire et de calcul. Une priorité toute particulière doit être donnée à la maîtrise de la langue française car elle conditionne tout le reste. Le projet de programme scolaire pour 2002 ne fait qu’accentuer ces dérives et doit donc être combattu.
2. Donner aux élèves le sens de l’effort grâce à une école plus exigeante. Ainsi, ce n’est pas rendre service aux élèves que d’abaisser les niveaux d’exigence pour, en apparence, « améliorer » les performances de l’École.
3. Donner à l’École les moyens de former les élèves à la citoyenneté. La permissivité et la démagogie doivent être bannies de l’École républicaine, qui est le lieu où l’élève doit apprendre la loi – ensemble de droits et de devoirs – comme fondement de la vie en société. »

« Lire-écrire- compter », découpages disciplinaires clairement réaffirmés, recentrage sur le noyau dur des disciplines. Clarté, rigueur, effort.
Le chantier prioritaire est la formation des maîtres qu’il conviendra de « refonder ». Peu de place pour l’initiative « à la base », contrairement à l’ensemble des autres candidats qui peu ou prou en reconnaissent la nécessité.

L’équilibre entre l’éducatif et le politique

Chaque candidat propose sa représentation de l’équilibre qui doit s’instaurer entre le monde éducatif et le projet politique et social.

Arlette Laguiller ne voit de réelle solution que dans la transformation radicale de la société. Solution provisoire : donner beaucoup plus de moyens au service public. L’éducation est seconde par rapport à la lutte politique
Jean-Pierre Chevènement : autorité, effort et exigence, redonnent sens à la vie en société dans le respect des valeurs républicaines. L’éducation est première. Tout repose sur elle.
Alain Madelin : la libération des énergies, des initiatives, donnent sens à la vie en société. Le mérite individuel est reconnu et contribue au bien commun. L’éducation est première. Tout repose sur elle.

Les cinq autres formations proposent des programmes où des forces contradictoires sont en tension : autorité mais libération des initiatives ; socle commun de connaissances mais diversification des contenus et des modalités. Les équilibres ne se situent pas tous au même point.

Jacques Chirac fait pencher la balance du côté du sécuritaire en plaçant la lutte contre la violence scolaire en priorité. Le projet de créer « un Conseil national de sécurité scolaire » et des « Comités locaux de sécurité de l’école » fait bizarrement écho au « Conseil national de l’innovation pour la réussite scolaire » mis en place par les socialistes et révèle un positionnement idéologique clair. (La réciproque étant vraie.)
François Bayrou, dans une forme euphémisée (« retour de la paix au collège ») s’inscrit dans une logique proche. Le choix de « pour la paix » en lieu et place de « contre la violence » est néanmoins révélateur d’une approche humaniste et conciliatrice. Esprit œcuménique qui est présent dans la première mesure urgente à laquelle il s‘engage : « Je commencerai par rendre hommage à la communauté scolaire. »
Lionel Jospin met l’accent sur la réussite de tous par la diversification, l’individualisation, les capacités d’initiative des acteurs.
Noël Mamère insiste un peu plus sur cet axe en se référant explicitement à l’innovation, aux expériences pédagogiques, à l’autogestion.
Robert Hue insiste sur le recul des inégalités sociales et privilégie une position réflexive « réflexion de fond sur les finalités de l’École, une refondation de la culture scolaire, une modification profonde du regard porté sur les milieux populaires ».

Questionnaires, analyses et synthèses réalisés par Marie-Christine Chycki et Pierre Madiot