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Quelles conceptions organisent les pratiques de classe ?

Qu’est-ce qui fait qu’un enseignant va décider que le moment est venu de proposer telle tâche plutôt qu’une autre à ses élèves ? Quand on observe ce qui se passe en classe, il y a certes une dimension réflexive dans l’action (on parle souvent de former des « praticiens réflexifs », pour reprendre le concept de Donald A. Schön), mais de nombreuses études montrent qu’une part des pratiques précède la réflexion ou reste difficile à expliciter par les professeurs.

Réflexivité

Plusieurs modèles théoriques ont été construits pour identifier des variables cadres pour l’action des praticiens. On sait par exemple que des stéréotypes sociaux concernant les élèves pèsent sur les enseignants dans des proportions variables : les pratiques pédagogiques peuvent varier en fonction du genre, de l’origine sociale, du parcours scolaire antérieur ou d’autres attributs socioculturels perçus de l’élève.

Des chercheurs ont aussi essayé d’identifier les facteurs de variation qui, au sein de ces caractéristiques générales, seraient susceptibles d’expliquer les pratiques des enseignants à un niveau plus fin. On se rend compte qu’en fonction de l’avancement des élèves dans un exercice, des enseignants vont adopter des stratégies différentes pour la suite. Pourquoi ?

Les pratiques observées ne sont pourtant pas aléatoires, incohérentes et sans lien avec l’expérience de l’enseignant au regard de son contexte d’intervention. La vision charismatique ou artistique de l’enseignant qui improviserait au sein de la classe correspond mal aux régularités constatées. Comment accéder alors aux principes organisateurs de l’action ?

Certaines recherches s’intéressent aux processus de catégorisation des enseignants. Un numéro récent de la revue Recherches en éducation présente ainsi les résultats de plusieurs travaux[[Lara Laflotte et Hélène Vérac, « Approches de la catégorisation en éducation », Recherches en éducation n° 33, juin 2018, p. 3-7, https://m-url.eu/r-1qdn]].

Certains de ceux-ci s’intéressent aux représentations qu’ont les enseignants de leurs élèves, en partant de l’hypothèse selon laquelle ils fondent leur activité sur la connaissance des élèves et sur les typologies qu’ils se construisent en regroupant tels ou tels attributs perçus. Les élèves d’une classe peuvent ainsi être regroupés entre ceux qui participent, ceux qui ne participent jamais ou ceux qui participent de façon épisodique. Dès lors, l’enseignant pourrait modeler ses pratiques (exercices, soutien, différenciation, etc.) en fonction de ces catégories.

Or, les résultats présentés dans ce numéro montrent que la description des catégories relatives aux élèves ne permet pas de prédire simplement les actions associées. La nature ou la définition de ces catégories n’est pas suffisante pour expliquer l’action des enseignants dans la classe.

Selon Roland Goigoux[[Roland Goigoux, « Les schèmes de régulation de l’activité des enseignants », Recherches en éducation n° 33, juin 2018, p. 42-51. Voir note précédente.]], il faudrait plutôt prendre en compte deux ensembles de facteurs qui organisent l’activité enseignante : d’une part, les connaissances générales des professeurs sur leurs élèves, les contenus, les processus d’apprentissage et les techniques pédagogiques ; d’autre part, les informations prélevées durant les interactions avec les élèves. Les enseignants ont une idée des performances potentielles de l’élève moyen de leur classe et conçoivent en amont des tâches d’apprentissage raisonnablement difficiles, à la « bonne distance de la performance attendue »[[Jean-Jacques Maurice et Audrey Murillo, « La distance à la performance attendue : un indicateur des choix de l’enseignant en fonction du potentiel de chaque élève », Revue française de pédagogie n° 162, 2010, p. 67-79.]].

Régulation

Au fur et à mesure du déroulement des activités en classe, les enseignants vérifient si le comportement des élèves est conforme ou s’écarte de celui qui était prévu, et décident d’infléchir leurs projets d’action en conséquence. Des tâches trop faciles ou trop difficiles ont comme point commun de démobiliser les élèves et de poser des problèmes de gestion de classe. On observe que les enseignants débutants ont souvent du mal à proposer des tâches adaptées, alors que les enseignants expérimentés mettent en œuvre des tâches qui garantissent un engagement minimal des élèves.

La régulation de la classe reposerait par conséquent de façon importante sur la planification et le matériel pédagogique, qui traduisent et matérialisent les anticipations des professeurs sur ce que peuvent accomplir leurs élèves durant la séquence d’enseignement.

Quels que soient les concepts de référence convoqués, on peut retenir que nombre de travaux de recherche soulignent donc désormais l’importance de la situation pédagogique et de sa perception par les enseignants pour expliquer l’activité, voire la différenciation mise en œuvre dans l’enseignement. C’est un constat qui peut apparaitre banal, sauf à la confronter à de nombreux discours qui font de l’affiliation présumée et préalable des enseignants à telle ou telle grande méthode pédagogique la clé de compréhension de leurs activités en classe, indépendamment de ce qui se passe réellement en classe par la suite.