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Quelle « revalorisation » sans formation ?

Pour prendre du recul sur les bouleversements qui affectent la formation des enseignants en France et saisir les ressorts de sa « masterisation », il est toujours utile de relier la réforme à des enjeux qui dépassent les seuls débats nationaux.
Le dossier Former des enseignants, au sommaire d’un récent numéro de la Revue internationale d’éducation de Sèvres (décembre 2010), offre l’occasion de ce détour international, en présentant les grandes options qui inspirent les dispositifs de formation d’enseignants en Angleterre, aux États-Unis, au Québec, en Argentine, en Grèce et, bien sûr, en France.
En écho à son contenu et sur invitation des Cahiers pédagogiques, saisissons donc l’occasion de la cette parution pour dresser un bref bilan de la masterisation des enseignants en France, en consentant ce détour comparatiste propre à éclairer les ressorts des politiques nationales de formation.
Soulignons d’abord ce que le dossier de la Ries laisse transparaitre dans plusieurs contributions : la masterisation de la formation des enseignants est emblématique des mutations des politiques contemporaines d’éducation. Elle concentre les indices d’une convergence internationale de politiques d’inspiration libérale ; elle révèle des phénomènes d’hybridation, mais aussi de contretemps voire de contresens dans la mise en œuvre nationale de ces politiques ; enfin, elle consacre le saisissement croissant des politiques d’éducation par la seule raison économique.

Convergence d’agenda politique et contrecourant de la mise en œuvre

La « revalorisation de la profession d’enseignant », que Nicolas Sarkozy avait annoncée comme une priorité dès 2007, passait par un recrutement au niveau master et non plus licence. Le chef de l’État épousait alors le programme de travail convenu en 2002 par les États membres de l’Union Européenne qui prolongeait le traité de Lisbonne, en fixant des principes européens communs pour les compétences et certification des enseignants, avec notamment l’harmonisation de la qualification des enseignants au niveau master et l’établissement d’un cadre de référence pour les compétences-clés en matière de formation tout au long de la vie.
Pour que la réforme de la masterisation ait eu quelque chance de contribuer à une revalorisation du métier d’enseignant, c’est-à-dire pour qu’elle traduise à la fois une reconnaissance de la dignité et de la complexité du métier, l’adoption d’une formation plus intégrative à l’égard de la pratique professionnelle, et enfin une volonté de favoriser la réalisation d’un espace éducatif européen, il aurait été opportun de créer les conditions d’une réflexion nationale et d’un débat constructif sur les enjeux propres à une formation universitaire et professionnelle des enseignants, capitalisant l’expérience des IUFM en la matière sans négliger ce que les expériences étrangères peuvent nous enseigner.
Il aurait été prudent, ensuite, d’éviter de créer les conditions d’une foire d’empoigne entre les acteurs et opérateurs institutionnels locaux de la formation des maitres dans le contrôle de celle-ci, et d’opérer de façon à la fois mesurée et pragmatique, comme le pratiquent de longue date des pays d’Europe du Nord comme la Suède ou la Finlande, dans lesquels, au lieu de renvoyer de façon unilatéralement aux acteurs locaux le soin d’inventer leur destin ou de lutter pour leur survie, on met en œuvre des expériences pilotes qui sont accompagnées et dont les enseignements servent un élargissement raisonné des dispositifs et des innovations.
Il aurait sans doute été pertinent, enfin, d’éviter la dissociation fâcheuse entre formation disciplinaire et formation professionnelle, pour s’orienter vers un « modèle simultané », combinant une formation disciplinaire robuste et une formation professionnelle progressive, comme c’est désormais le cas dans la très grande majorité des pays européens.
À contrecourant des évolutions observables en Europe et dans l’ensemble des pays de l’OCDE, la formation des enseignants demeure cantonnée en France, piégée est-on tenté de dire, dans un « modèle consécutif » qui n’a non seulement pas été dépassé par la masterisation, mais qui a même été renforcé, la formation professionnelle des enseignants étant désormais réduite et promise à un encadrement de type compagnonnique, au cours de l’épreuve du feu de la première année d’enseignement.
Sans doute les promesses de « revalorisation de la profession d’enseignant » passait-elle dans l’esprit de qui la posait comme une priorité par une concentration des moyens sur les enseignants actifs plutôt que sur les enseignants en formation et en devenir. Ces options, qui traduisent des choix en matière de gestion des finances publiques, aboutissent à une régression patente en matière de professionnalisation des enseignants. Les enseignants français étaient déjà les enfants pauvres de l’Europe en matière de formation professionnelle. Désormais, la situation est critique.
Dans un contexte de préservation des concours de recrutement par l’État recruteur, les « masters » construits à l’occasion de la réforme, pour beaucoup d’âpre lutte, ne peuvent et ne pourront en l’état, compte tenu de la persistance et de la place des concours notamment, articuler formation disciplinaire, apprentissage professionnel, initiation à la recherche, connaissance des enjeux scolaires et d’éducation.
La formation continue n’a pas été mieux lotie dans le déploiement de la réforme. Celle-ci demeure en France tout à fait déconnectée de la formation initiale et d’une approche globale du développement professionnel des enseignants. En parfaite cohérence avec la conception consécutive de la formation des enseignants qui demeure à l’œuvre. Penser l’articulation des formations initiale et continue des enseignants est pourtant un facteur de mobilisation et de mobilité professionnelle active, en cours de carrière ; elle est aussi un moyen de faire vivre des collectifs professionnels, comme les déjà lointaines expériences européennes et nord-américaines, fondatrices d’un « professionnalisme collégial » (Hargreaves), l’ont montré. Dans nombre de pays européens, aux Pays-Bas, en Finlande, en Angleterre, en Irlande, en Espagne, la formation continue sert aujourd’hui des carrières pensées de façon beaucoup plus ouvertes et moins horizontales. La France fait là encore figure d’exception.

De nouvelles étapes dans la liquidation de la formation des enseignants ?

Nicolas Sarkozy annonçait en janvier que le ministre Luc Chatel s’attelait à réfléchir aux conditions d’une amélioration de la formation des enseignants, identifiant deux chantiers de réflexion et de travail à développer : d’une part, le développement d’une alternance appuyée sur un accompagnement de type compagnonnique ; d’autre part, l’autonomisation des établissements scolaires, ce que le chef de l’État formule sous l’angle d’une plus grande autonomie pédagogique des enseignants, laquelle est cependant déjà inscrite dans la loi.
Le programme Clair, initié par Luc Chatel, prévoit de conférer aux chefs d’établissements le pouvoir de recruter les enseignants et des équipes pédagogiques sur profil : c’est là une manière de concevoir l’accroissement de l’autonomie des enseignants qui peut être interrogée, au regard des expériences étrangères. Là encore, celles-ci appellent à la prudence. Les plaidoyers en faveur du school-based management participent des politiques de responsabilisation qu’on a d’abord vu se développer au Canada, aux États-Unis, en Australie, en Grande-Bretagne, en Suède, etc. Ces politiques traduisent des ruptures avec une situation de confiance à priori dans l’institution et signalent des tentatives de rendre plus transparent le travail des acteurs scolaires, invités à faire la preuve de leurs compétences. L’autonomisation des établissements est alors souvent porteuse, s’agissant de l’autonomie des enseignants, d’une fragilisation statutaire des enseignants et d’une mise en faillite des solidarités professionnelles sur lesquelles la profession a cependant conquis son autonomie, au profit d’une allégeance de fait à « l’organisation scolaire », dont les enseignants, dévolus à sa promotion et coresponsables de ses « performances », deviennent individuellement imputables à ce titre.
S’agissant de la formation, les récentes annonces laissent non moins perplexes. Présenté sous les atours avantageux de l’innovation et de la professionnalisation de la formation, le tutorat est une modalité de formation dont le monde enseignant est familier depuis des lustres. On sait, grâce à la recherche, combien la réduction de la formation professionnelle à une formation de terrain de type compagnonnique accentue le divorce entre les espaces académiques et professionnels de formation. Elle traduit une conception implicite de la formation et de l’action professionnelles extrêmement pauvre et expose plus au conservatisme professionnel qu’elle ne promet de placer les néo-enseignants en capacité réflexive et critique sur sa pratique : bref, en formation.
Il n’est pas interdit d’espérer de ces annonces le déclenchement de réflexions et d’actions concertées, associant l’État employeur, les associations de spécialistes et les syndicats, pour construire une formation universitaire et professionnelle fondée sur l’alternance. Il est toutefois peu probable qu’elles traduisent plus une préoccupation de panser les plaies ouvertes par les effets de la masterisation qu’un quelconque souci de créer les conditions d’une alternance intégrative entre les terrains professionnels et les universités.
Plus probablement, c’est le renforcement d’un dualisme, classique en formation d’enseignants, qui parait se dessiner avec ces orientations : le dualisme entre empirisme et formalisme, dont toute formation universitaire et professionnelle doit œuvrer au dépassement, à la condition qu’on espère en elle dans le cadre d’un projet pour l’école…
La promotion soudaine et concomitante du tutorat sur le terrain professionnel et l’appel à l’autonomie des (chefs d’)établissements ne permet guère, à priori, d’espérer en un tel dépassement. Dans un contexte d’effritement d’un cadre national de la formation des enseignants et, simultanément, de promotion de l’établissement scolaire comme lieu pertinent de formation et de recrutement des enseignants, le déplacement d’une partie de la formation vers le terrain professionnel ne peut surprendre. Rien ne permet guère d’espérer, donc. Et cependant, on le doit.

Régis Malet
Université de Lille 3, centre interuniversitaire de recherche en éducation de Lille (ÉA 4354), rédacteur en chef de la revue Éducation comparée