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Quelle formation initiale des enseignants ? Entretien avec Michel Develay

À l’heure où l’actuel ministre de l’Éducation nationale envisage des changements dans la formation initiale, que pensez-vous de la façon dont sont définis les IUFM ?

Les IUFM ne sont pas assimilés à des instituts universitaires notamment sur le plan de leur structure : nomination du directeur par le Ministre et non par ses pairs ; sur le plan de leurs missions : pas de possibilités de recherche en propre ; et sur le plan de leurs modes de recrutement : fréquemment par des commissions de spécialistes réellement indépendantes des universités proches. Ainsi, ces instituts ne sont-ils pas réellement autonomes, et les formations dispensées ne sont pas irriguées par la recherche. Comme de surcroît les contenus de formation sont définis par des normes nationales, l’émulation entre IUFM existe peu.
Dans la plupart des pays européens et au Québec, la formation ne relève pas d’écoles professionnelles comme les IUFM, mais de l’université (cf. le Québec et Genève entre autres). On peut pourtant reconnaître quelques avantages à une formation placée sous la totale responsabilité de l’université :
– pour l’instance de formation : une autonomie des formations dispensées en relation avec les exigences de l’employeur, des liens plus étroits avec la recherche ;
– pour l’université : une meilleure connaissance du terrain qui pourrait ainsi être davantage irrigué qu’il ne l’est actuellement par la réflexion ;
– pour le ministère : des possibilités de comparaison des formations et de leurs impacts.

Que répondriez-vous aux stagiaires IUFM qui revendiquent davantage de « concret » dans les formations ?

Il existe me semble-t-il trois manières d’envisager la formation :
– 1) une formation construite à partir de l’épistémologie des disciplines de référence et de leurs didactiques ;
– 2) une formation conçue à partir des compétences professionnelles à maîtriser (être capable de monter une séquence différenciée, être capable d’évaluer de manière formative, parvenir à dialoguer avec les parents…) ;
– 3) une formation qui propose un mixte entre les deux et qui nécessiterait que les formateurs didacticiens et généralistes puissent, en fonction des besoins locaux, occuper la position 1 ou la position 2.

Allonger le temps du stage en responsabilité et supprimer l’écriture d’un mémoire professionnel vous paraissent-ils deux mesures efficientes ? Comment voyez-vous la liaison théorie – pratique en formation ?

Allonger le temps du stage en responsabilité mérite d’être considéré comme une voie de formation possible, à condition qu’un accompagnement par des formateurs ait lieu. Les étudiants d’IUFM ont le sentiment qu’ils construisent à cette occasion leur identité professionnelle, ce qui est vrai puisqu’à l’IUFM ils sont encore sous un régime d’étudiants.
Les modalités de cet allongement du temps pourraient prendre des formes diverses et les modalités de l’implication des stagiaires à ce propos pourraient être contractualisées (aller en stage pour…).
Le mémoire professionnel constitue sans doute une des avancées fortes de la formation en direction de la liaison plus étroite entre théorie et pratique. Il serait vraiment dommage de le supprimer.
Quant à la question de la symbiose théorie-pratique, celle-ci me paraît relever d’une alternance intégrative entre temps de stage et temps à l’IUFM à travers, entre autres, la construction du mémoire professionnel, la tenue d’un journal de bord, la contractualisation et l’auto-évaluation des compétences professionnelles à maîtriser. Cette symbiose peut être présente à chaque occasion de formation disciplinaire par les réflexions valorisées, l’usage d’une filmographie aboutie, l’analyse de productions ou de comportements d’élèves, l’analyse de scripts de classes… Enfin, les groupes d’analyse de la pratique peuvent la développer, à condition qu’ils ne soient pas sous la responsabilité de personnes non formées.

L’interdisciplinarité représente-elle un enjeu dans un dispositif de formation d’enseignants ? Dans quelle mesure ?

Le terme « interdisciplinarité » recouvre des réalités très diverses. Il peut s’agir d’activités d’enseignement-apprentissage à partir de thématiques non disciplinaires (type travaux croisés), d’un travail en commun entre enseignants de diverses disciplines sur une question pédagogique commune (la question de la lecture en 6e entre profs de diverses matières), d’une réflexion intercatégorielle forcément interdisciplinaire entre CPE et prof ou infirmière et prof, etc. Sans doute faut-il l’encourager pour aider les stagiaires à relativiser leurs certitudes et à s’ouvrir à d’autres visions du métier.

Comment verriez-vous l’introduction de la dimension professionnelle dans les concours de recrutement (Capes-Cerpe-Caplp) ?

Cette dimension existe à travers l’évaluation de la pratique de classe par les formateurs et les personnels d’inspection. Elle n’a donc pas à être introduite. On peut s’interroger pour savoir s’il convient de la renforcer, et de quelle manière. L’analyse de productions d’élèves et de documents utilisés par des enseignants, l’analyse d’une séquence filmée en classe peuvent permettre de la renforcer. Je pense que la dimension professionnelle implique l’analyse de la conduite de classe d’un stagiaire par lui-même (pour identifier ses compétences d’auto-analyse) et par une personne extérieure.

Quelles idées-forces traduisent votre opinion lorsque vous dites que la formation doit aider à la fois à la construction d’une compétence professionnelle et à l’émergence d’une identité professionnelle (cf. « Peut-on former les enseignants » ESF 1994) ?

On peut être compétent (savoir faire classe à l’école primaire ou au collège), sans posséder le sentiment d’appartenir à une catégorie professionnelle déterminée (prof d’école ou PCL). Les écoles normales construisaient simultanément ces deux réalités : compétence professionnelle et identité. Les IUFM me paraissent participer davantage à la construction de compétences qu’à la construction d’identités professionnelles (celles du CPE, du PCL, du PLP2, du professeur d’école sont toutes différentes).
L’identité professionnelle se définit par quatre attributs : une qualification (le diplôme), une compétence, une culture d’appartenance (des objets, des valeurs, des actions, des symboles) et une déontologie. L’identité professionnelle des instituteurs hussards noirs de la quatrième République allait de soi (alphabétiser, faire exister le sentiment de république…). Je n’ai pas l’impression que l’on se préoccupe beaucoup de faire exister une identité professionnelle chez les étudiants d’IUFM aujourd’hui. Cela relève sans doute de décisions nationales (mieux définir les missions des enseignants) mais aussi d’initiatives locales. Pourtant, le contact avec la culture artistique et scientifique, avec la recherche, avec les zones sensibles, avec le nouveau peuple scolaire peut y participer si on considère que ces lieux et ces réalités constituent aujourd’hui des éléments forts d’une identité d’enseignant.