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Quelle culture scientifique pour les enseignants en formation ?

Les professeurs du secondaire mettent en avant les obstacles liés à l’organisation disciplinaire des enseignements et un manque de formation pendant leurs années universitaires sur les dimensions les moins scientifiques. Ceux du primaire ne se sentent pas toujours à l’aise avec l’actualité scientifique et, de surcroît, ils sont souvent bien en mal de pointer les questions qui peuvent faire l’objet d’un débat avec de jeunes élèves.
Conscients de ces difficultés, les IUFM ont peu à peu intégré la composante « culture scientifique » dans leurs plans de formation. Nous présentons ici deux orientations choisies par l’IUFM de Grenoble et prises en charge par deux dispositifs innovants.

Un café des sciences

On peut en premier lieu appréhender la culture scientifique par le filtre du rapport « sciences et société », donc aborder les nouvelles connaissances du point de vue de leurs applications en les situant dans leurs implications sociales, économiques, politiques et éthiques. L’objectif est de donner à tous les élèves, futurs citoyens, des outils intellectuels permettant d’appréhender avec un peu de recul les informations scientifiques dispensées par les médias et de prendre part aux débats de société sur les sciences[[Voir R. Demounem , J.P. Astolfi, 1997, Didactique des sciences de la vie et de la terre, Paris, Nathan.]].
Le dispositif mis en place et qui semble gagner l’intérêt des élèves[[Comme semble le confirmer les expériences de Cafés Juniors menées dans les académies de Grenoble et de Lyon.]] est le « Café des sciences ». Le principe est simple. Il s’agit de réunir, dans un lieu convivial, autour de ce qu’il est convenu d’appeler une « question vive », plusieurs spécialistes venus d’horizons différents. Point de long monologue ici mais des réponses courtes à des questions posées par un auditoire constitué de citoyen ou de futurs citoyens. Car le café des sciences est avant tout confrontation de points de vue, échange d’idées, discussion.
Aussi nous est-il apparu intéressant de proposer à nos futurs enseignants de tenter l’aventure, avec deux objectifs : s’initier à la mise en place de telles opérations ; vivre une expérience de débats citoyen sur une question scientifique.
En plus du traditionnel thème des OGM[[Faut-il avoir peur des organismes génétiquement modifiés ?]], celui du dopage a été proposé, associant des futurs enseignants de SVT et d’EPS. Il a permis d’engager une discussion sur la notion de performance et sur les dérives de la compétition et du sport « bisness » puis de réfléchir au rôle des enseignants dans la prévention et la sensibilisation de ce type de conduites à risque.

Théâtre scientifique

Le savoir ne se construit pas par simple accumulation ni de façon linaire. Son élaboration emprunte une multitude de pistes dont la plupart conduiront à des impasses et, comme se plaisent à le souligner les historiens, elle donne lieu à de très nombreuses controverses. Aussi, pour Françoise Balibar[[Françoise Balibar (1994). L’histoire des sciences, une école de pensée critique. In : Andries et Beigbeder Coord. La culture scientifique pour les professeurs des écoles, CNDP, Hachette Education, pp. 37-42. Balibar Lévy-Leblond, (1986), Mettre la science en culture, Nice : Anaïs.]], développer une approche historique des sciences et techniques en formation permet « de faire que par l’intermédiaire des jeunes enseignants les futurs adultes que sont les élèves d’aujourd’hui adoptent vis à vis des questions scientifiques une attitude critique évitant les écueils à la fois de la servilité et de l’opposition systématique ».
À l’IUFM de Grenoble, c’est – notamment – au moyen du théâtre scientifique que nous avons choisi d’aborder l’histoire des sciences. Ce mode d’expression s’est révélé un langage extrêmement riche, ce qui n’est pas pour étonner un scientifique comme Daniel Raichvarg[[Daniel Raichvarg, (1993). Science et Spectacle, figure d’une rencontre. Nice : Z’Edition.]] qui, depuis plusieurs années, met en scène avec les bateleurs de la science de grands personnages scientifiques. La science, fait-il remarquer, porte sa propre théâtralité. Les grandes controverses présentent des caractéristiques dramatiques évidentes. Les savants, passés ou actuels, et les objets scientifiques eux-mêmes sont des personnages théâtraux : ils évoluent, se déplacent, sont des sources de disputes, de convoitises. Et de conclure que grâce aux caractéristiques qui lui sont propres le théâtre est susceptible de proposer, à l’éducation et à la culture scientifiques et techniques, des objectifs originaux par rapport aux autres formes qu’elles peuvent prendre.
Le Cabaret Pasteur[[Écrit et réalisé par Daniel Raichvarg.]], présenté à l’IUFM de Grenoble, fut une occasion forte d’interroger la genèse des savoirs dans un domaine où science et médecine interfèrent, mais aussi, les conditions de diffusion de ces savoirs dans la société, le poids des éléments contextuels, la figure du scientifique découvreur. Sur un autre plan, la pièce fut l’occasion d’un échange très riche sur la rencontre entre science et spectacle, et plus largement entre Arts et sciences[[Réflexion qui a pris pour cadre la « dominante » de formation « A la croisée des pratiques théâtrales et des apprentissages scientifiques » proposée cette année là aux professeurs d’école. (Formateurs : Marie Bernanoce, Hélène Gondrand, Eric Triquet).]].

Le bagage culturel indispensable

L’exigence posée en amont d’une « culture scientifique pour tous » pose, on le voit, la question du bagage culturel aujourd’hui indispensable dans ce domaine. Si, en formation, des opérations ponctuelles comme les « cafés des sciences » ou « le théâtre scientifique » ont montré tout leur intérêt, elles ne sauraient suffire. Il importe d’une part de les relier à d’autres pans de la formation dans lesquels des disciplines issues des sciences humaines et sociales sont représentées, d’autre part, de mener un travail plus en profondeur à l’intérieur même des disciplines scientifiques (pour l’histoire des sciences par exemple) pour garantir le développement d’une culture scientifique intégrée et opérationnelle.

Éric Triquet, IUFM de Grenoble, Crcmd-Université de Bourgogne.