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Quelle culture littéraire à l’École ?

Le forum Retz-Le Monde de l’éducation s’adresse aux professionnels de l’éducation (chercheurs, pédagogues, enseignants). Il permet de faire le point sur les questions importantes qui traversent l’École et de confronter, expériences, analyses, interrogations et solutions. Sa cinquième édition organisée avec la collaboration du Monde de l’Éducation et des CEMEA (Centres d’entraînement aux méthodes actives) s’est déroulée dans la salle de la Mutualité à Paris le mercredi 10 mars 2004.

Les huit intervenants qui se sont succédé à la tribune ont mis à mal une idée reçue et erronée selon laquelle les enfants auraient abandonné la lecture. « De Potter à Gavroche » (voir dossier du Monde de l’Éducation du mois de mars), leur culture littéraire est vaste et plurielle. Selon Christine Détrez, sociologue, auteur de Et pourtant ils lisent, l’économie médiatico-publicitaire et ses valeurs (la rapidité, la rotation et le scoop) portent une part de responsabilité dans l’affaiblissement de la légitimité de la littérature. Toutefois, le phénomène Harry Potter démontre qu’elle peut aussi favoriser le livre. Dans ce contexte, il est regrettable d’opposer la lecture savante et la « lecture plaisir ».

D’après Sophie de Mijolla-Mellor, psychanalyste, l’intérêt prêté aux lectures d’énigme et de peur n’est ni indésirable ni passager. Ce type de littérature ne crée pas d’angoisse. Loin de faire naître la peur, il permet de mettre des mots sur celle-ci et n’a pas de répercussions nocives sur le psychisme des enfants.

Pour Clarisse Fabre, professeur des écoles, si on veut que l’école remplisse sa mission intégrative, il faut que les élèves puissent acquérir une culture commune et la littérature peut y contribuer.

Jérôme Bruner, psychologue, professeur à l’Université de New York, estime ainsi qu’il est important d’encourager, chez les jeunes lecteurs, ce va et vient entre réalité fictionnelle et vie quotidienne. « La vie imite la littérature qui imite la vie. » En démêlant les subtilités d’une histoire, ils découvrent tous les mondes possibles et acquièrent les connaissances leur permettant d’élucider la tragédie humaine.

Henriette Zoughebi, chargée de mission au Scéren-CNDP, juge important de mettre les livres entre toutes les mains, car c’est la meilleure introduction à la complexité du monde. Toutefois, l’école doit avoir un rôle prescripteur pour aider les familles à choisir les ouvrages. Les listes indicatives données aux enseignants ne sont pas là pour restreindre le choix mais au contraire pour l’élargir. Face à la culture des marques, de la publicité et de la télévision, la littérature est une véritable porte vers une culture partagée. Il faut que les enfants sentent que la lecture recèle des trésors. La visite d’auteurs dans les écoles peut leur donner envie de les découvrir et l’écrivain Marie-Aude Murail se déclare enchantée de ses échanges avec son jeune public.

Néanmoins, selon Françoise Ballanger (La joie par les livres), si l’introduction de la littérature de jeunesse dans les programmes est intéressante, elle pose deux questions. Face à une production pléthorique, quelle formation allons-nous dispenser aux maîtres pour les aider à s’y retrouver ? Quel temps de lecture entendons-nous aussi leur proposer ?

Christian Bruel, directeur de Être Éditions, déplore que l’album de jeunesse soit encore considéré comme un simple marchepied dans l’apprentissage de la lecture et non comme un outil indispensable dans les apprentissages fondamentaux.

Jérôme Bruner, invité d’honneur du forum, conclut que la littérature pour enfants est décidément un sujet bien trop sérieux pour être laissée entre les mains des universitaires.

Frédéric Sérandour, professeur d’école, Boulogne-Billancourt.