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Quel choix pour mieux articuler le lycée à l’enseignement supérieur ?

Après un rappel de l’importance de l’enjeu lié au déficit de compétences relevé dans le monde du travail et aux profondes inégalités dans l’accès et la réussite dans l’enseignement supérieur des jeunes français, la note de France Stratégie reprend le constat connu que « 20 % des étudiants ayant commencé des études supérieures en sortent sans avoir obtenu de diplôme », et le cout important de ces réorientations, qui sont considérées en France comme des échecs. Elle confirme aussi la centration des difficultés sur les étudiants issus de la filière professionnelle.

La note évoque plusieurs causes qui se cumulent : d’abord une orientation défaillante, qui amène par exemple, à fermer la porte de certains enseignements supérieurs courts aux bacheliers professionnels par la sélection qui donne priorité aux bacheliers généraux. Le passage du lycée au supérieur, sans accompagnement suffisant, est aussi une double rupture : les programmes et formes de travail du lycée sont axés uniquement sur le bac, et pas sur l’acquisition des compétences nécessaires pour l’enseignement supérieur, d’où le « risque de décrochage pour les étudiants les moins autonomes dans leur travail et pour ceux dont les bases méthodologiques sont les moins assurées. »

Enfin, la note pointe la hiérarchie excessive des filières, aussi bien au lycée que dans l’enseignement supérieur, entre filière sélectives et non sélectives, qui limite les passerelles et la mobilité des étudiants.

Quelles réponses ?

Tout d’abord, dans tous les cas, le texte affirme qu’il est indispensable de repenser l’information et l’aide à la décision : la transparence et l’exhaustivité des informations (parcours, prérequis, chances de réussite, perspectives de débouchés) sont essentielles pour limiter les inégalités entre les initiés et les autres. Le document développe alors « deux stratégies de transformation de l’architecture du système éducatif pour une meilleure articulation du lycée et du supérieur. »

La première, sans remettre en cause l’architecture actuelle du système, mais en s’inspirant de ce qui existe en partie entre lycée et sections de techniciens supérieurs, « propose de construire ou de développer des parcours de formation intégrés, à cheval sur les deux cycles ». Pour cela elle suggère de développer les formations professionnelles de niveau bac +2 ou bac +3, en renforçant les garanties d’accès prioritaires pour les bacheliers technologiques ou professionnels et en développant les licences professionnelles. Elle propose aussi d’instaurer en classe de terminale des tests de positionnement qui permettraient aux lycéens de préparer leur choix d’études (mise à niveau, modification du choix.).

Le document lui même semble peu convaincu par l’intérêt de cette proposition puisqu’il relève « le caractère limité du changement introduit, en raison du maintien de la logique des filières hiérarchisées. »

La deuxième stratégie est un changement plus profond du système qui « consisterait à rompre avec la logique des filières segmentées en sections, qui domine le système actuel, pour permettre aux élèves et aux étudiants de construire leur propre parcours à partir d’une pluralité de modules de formation, au terme desquels les compétences acquises par l’étudiant seraient clairement identifiées ».

Un lycée modulaire

Elle comprendrait donc l’organisation des enseignements du lycée sous forme de modules, validant chacun des blocs de compétences clairement identifiées, non compensables, et qui resteraient acquis et capitalisables. Ils comprendraient des modules généraux communs et l’introduction progressive de modules de spécialisation.

Plus particulièrement pour les lycéens professionnels, la place respective des modules généraux et de modules plus professionnels (et de stage) devrait pouvoir être différente selon les projets de poursuite d’études des jeunes.

La proposition va plus loin, évoquant le fait que les lycées des trois types devraient se rapprocher, allant jusqu’à dire qu’à terme « la notion de filière pourrait même laisser la place à celle de parcours de formation, sans distinction entre baccalauréats. »
A l’université, on pourrait organiser les formations au départ en seulement quatre grands champs disciplinaires ; la structure poursuivrait la logique modulaire, avec une première année qui serait « une année de préparation aux études supérieures », qui mènerait à un choix progressif des spécialités.

L’analyse n’oublie pas de mentionner l’accompagnement indispensable des étudiants, la possibilité de conditionner l’accès à certaines formations à l’acquisition de certains modules, l’attention qui devrait être portée à la lisibilité des parcours pour les futurs employeurs des étudiants.

Mais en même temps, elle ose poser des questions un peu taboues : celle du baccalauréat, qui « ne disparaitrait pas » car il est « indispensable pour ceux qui quittent le système éducatif juste après le lycée », mais qui pourrait évoluer vers une évaluation en contrôle continu, avec ou sans maintien d’épreuves finales. Celle aussi des filières sélectives de l’enseignement supérieur, auxquelles « il serait envisageable d’élargir, à terme, cette approche », et de l’enseignement privé, qu’on pourrait y associer. Enfin, il pointe que « la création d’un corps enseignant commun au lycée et aux établissements d’enseignement supérieur serait essentielle pour assurer la continuité. »

Même si la note ne mentionne pour conclure que « le risque […] que les modalités d’enseignement des premières années du supérieur deviennent trop proches de celles du lycée et leurs contenus trop généralistes, alors que de nombreux étudiants souhaitent aborder dès le début de leurs études des savoirs plus pointus », gageons que le vrai danger d’échec de cette stratégie réside surtout dans les révolutions des conceptions qu’elle suppose, bien qu’elle soit nettement plus convaincante à mes yeux que la première.

Françoise Colsaet
Directrice des publications des Cahiers pédagogiques

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