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Que peut la didactique ?

Yves Reuter, après un temps de présentation où il a effectué un bref retour sur la genèse de l’ouvrage, sur son organisation et sur la redéfinition du champ des didactiques, a pris le temps de l’échange avec les participants.

Le travail d’une équipe

Dans la recension faite de la première édition pour la Revue française de pédagogie, Jean-Pierre Astolfi[[Revue française de pédagogie, 163, avril-juin 2008.]] saluait le travail du laboratoire de recherche Théodile. Interrogé sur la genèse de l’ouvrage, Yves Reuter a confirmé la dimension collective de ce travail de recherche et de la publication qui a suivi : « Pour élaborer ce dictionnaire, nous avons travaillé en équipe, à partir de nos cours auxquels nous assistions mutuellement pour en discuter ensuite. Nous avons ensuite soumis notre travail au fur et à mesure de son élaboration à nos propres étudiants. C’était d’ailleurs très instructif. » Une démarche sans doute peu fréquente et qui vaut d’être soulignée.
Que propose cette deuxième édition par rapport à la précédente ? « La deuxième édition a gardé la même structure que la première : présentation des concepts fondamentaux des didactiques en précisant leur définition, les questions auxquelles ils répondent, leurs intérêts ainsi que les problèmes qu’ils soulèvent ou les débats qu’ils suscitent. Il s’agit pour chacun des quarante concepts retenus de proposer une définition initiale, un approfondissement, une mise en discussion avec le souci constant de laisser des portes ouvertes aux débats, internes à chaque didactique, entre didactiques ou entre didactiques et autres disciplines de recherche.
Toutefois, si la structure est la même, il ne s’agit pas d’un simple toilettage. Tous les chapitres ont été réécrits en fonction de l’évolution des connaissances, mais aussi pour introduire plus de clarté là où on avait le sentiment de ne pas avoir été suffisamment clairs dans la première édition. La nouvelle édition propose également une réactualisation de la bibliographie générale et de la bibliographie de chaque chapitre. »

Travailler sur les implicites

Une deuxième édition, trois ans après la première : est-ce le signe que la didactique se porte bien ? « Nous avons été heureusement surpris de devoir faire une seconde édition aussi rapidement. La didactique s’est construite dans les années 70 au moment où la question de l’échec est devenue quelque chose de crucial et où un certain nombre de commissions de travail pensaient des réformes possibles. Les sociologues de l’éducation – des auteurs comme Bourdieu et Passeron par exemple – ont beaucoup insisté sur le fait qu’une part importante de l’échec scolaire pouvait s’expliquer par les implicites. Les didactiques peuvent permettre de préciser ces implicites selon les disciplines. Il y a ainsi une catégorisation des savoirs mathématiques que j’aime bien qui est celle de Chevallard : nous reprenons (et transformons quelque peu) cela en parlant de contenus disciplinaires, paradisciplinaires et protodisciplinaires. Qu’est-ce que cela veut dire ? Dans chaque discipline il y a certes des contenus qui sont explicitement enseignés et évalués, mais les accompagnent d’autres contenus que l’on n’explique pas forcément et que les élèves vont apprendre en voyant cela se répéter, en voyant le prof faire : c’est ce que Chevallard appelle le “para” et la dernière strate c’est le « proto » : le protodisciplinaire dont on ne s’aperçoit que lorsqu’il y a rupture. L’enseignant ne soupçonne pas qu’il peut y avoir problème tellement c’est pour lui du côté de l’évidence : ce serait le cas face à un élève qui, en mathématiques, ne saurait pas distinguer des figures, par exemple. Ces trois strates sont des outils précieux pour comprendre où peuvent se loger les difficultés des élèves.
La préoccupation centrale de la didactique est bien de travailler à éclairer les problèmes et les situations rencontrés par les élèves et de penser des pistes pour des solutions possibles à partir des contenus et des disciplines.
Ce nouveau champ de recherche s’est construit difficilement entre, d’une part, les tenants des disciplines « académiques », peu centrés sur les questions d’enseignement et d’apprentissages, ou pensant qu’en changeant les contenus on résoudrait les problèmes, et, d’autre part, les spécialistes des apprentissages qui avaient des discours généraux et ne spécifiaient pas les problèmes en fonction des disciplines. Le pari des didactiques est que des réflexions pointues sur l’enseignement et les apprentissages à partir des contenus et des disciplines peuvent aider à un meilleur diagnostic quant aux difficultés des élèves, condition première pour tenter de les résoudre.
La mise en place puis le développement des IUFM dans les années 90 ont favorisé le développement des didactiques en créant des postes de didacticiens. Le mouvement actuel (modifications des concours, difficultés croissantes du métier, recul de la formation continue qui a été progressivement bradée, redéfinition de la formation initiale) ne va pas, hélas, dans ce sens.
D’autre part, il n’y a pas de solution miracle ni en didactique, ni ailleurs. Les didactiques apportent une contribution, ouvrent des pistes et les éclairages qu’elles fournissent passent ensuite par la médiation des structures de formation, des contenus de concours, des conditions de travail, etc.
De plus, une des particularités de la France est la difficulté à débattre d’éducation en mettant de côté des positionnements idéologiques rigides : ça ne permet pas de réfléchir sereinement et d’expérimenter tranquillement. »

Cette rencontre au Café de pédagogie vivante est loin d’avoir épuisé toutes les pistes ouvertes dans le dictionnaire proposé par Yves Reuter et son équipe. Nous ne pouvons qu’encourager ceux qui n’auraient pas vu passer la première édition du Dictionnaire des concepts fondamentaux de se procurer sans tarder cette seconde édition.

Nicole Priou