Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Quand une grille de compétences déclenche l’enthousiasme

J’en sors et j’ai envie de le raconter. Je n’en reviens pas encore. C’est bientôt la première évaluation sur table pour ma classe de 6e. Ici, pas de notes, des compétences. Je leur ai distribué une grille en début d’année sans rentrer dans les détails. Dans cette liste, des items tirés du livret de compétences et des compétences transversales choisies par l’équipe. Apparaissent les intitulés généraux et la déclinaison attendue en 6e. Avant l’évaluation, c’est le moment d’éclairer le sens de cette grille, dont certaines formulations paraissent bien rébarbatives. J’ai dans l’idée de les rendre plus explicites et d’en profiter pour réactiver tout ce qui a été fait depuis quelques semaines pendant la séquence sur le conte.

Les modalités de la séance sont peu originales : des élèves devant une liste, munis d’un surligneur, une question initiale posée à l’oral : quelles compétences avons-nous travaillées ou avons-nous mis en œuvre ? Dans quelle activité ? Je m’attends à quelques souffles. Mais voilà mes élèves qui se plongent dans la liste et les doigts levés commencent à fuser.

En ânonnant, Julie lit : « Adapter son mode de lecture à l’objectif suivi. » J’avoue qu’en préparant la séance, je n’avais pas souligné celle-là. C’est Julie qui m’explique : « Mais oui, madame, quand vous nous avez demandé d’enregistrer notre conte sur les MP3 ! ». J’en reste sans voix, je jubile intérieurement, elle a raison. Je rebondis en leur demandant quel était le fameux objectif ou quel était le fameux mode de lecture. Et là tout vient : mettre le ton pour faire vivre son conte. Cela a l’air si évident ! C’est évident aussi pour Hassan que, lorsqu’on a écouté sur le MP3 le conte d’un camarade et qu’on lui a donné des conseils, on a exercé son esprit critique (décliné dans la liste comme « revenir sur ses erreurs et commenter le travail d’un camarade »).

La discussion déborde le cours de français car oui, on participe à un débat quand on est en temps de bilan ; oui, on a manifesté par des moyens divers sa compréhension de textes variés pendant la semaine interdisciplinaire Traductions (les élèves étaient chargés de traduire divers documents dans un autre langage : un récit en BD, une description en dessin, une recette en langage mathématique, un article scientifique à vulgariser). Toute la liste y passe presque. Je recentre la discussion sur les compétences qu’on a travaillées plusieurs fois, pour lesquelles j’ai donné des outils.

Pour « Communiquer  », la déclinaison en 6e indique le minimum attendu : adopter le mode de communication indiqué par l’enseignant. « Madame, vous nous rappelez à chaque fois qu’il faut répondre par des phrases complètes. » L’activité prend tellement bien que certains se lèvent presque pour lever le doigt et attirer l’attention du distributeur de la parole, soufflent quand un camarade donne la réponse avant eux. Un item n’a pas encore été cité : « J’utilise mes capacités de raisonnement, mes connaissances sur la langue pour lire ». Je les guide un peu. On reprend le manuel et on cherche. Ils tâtonnent jusqu’à ce que l’un d’eux se mette à crier : « La question sur les compléments circonstanciels ! » Bon, même si on peut se demander s’il est utile de savoir que c’est un complément circonstanciel pour bien lire le texte. Mais ça, c’est une autre histoire.

Mes élèves prennent ce déchiffrement comme une énigme à résoudre. Leur mémoire me sidère. Leurs réponses sont tellement pertinentes que je n’en reviens pas. Je ne m’explique pas encore le succès de cette séance. J’étais persuadée de son utilité, je savais qu’elle arrivait au bon moment, mais de là à penser qu’ils seraient aussi compétents ! Vert (acquis) pour tout le monde ! D’ailleurs, quelle compétence ont-ils montrée ? Et si, pour le jour du contrôle, plutôt que d’annoncer les compétences évaluées, je leur demandais d’identifier eux-mêmes les compétences que l’évaluation met en œuvre ?

Anne Hiribarren
Professeure de français