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Quand les élèves philosophent

Qu’est-ce qu’une DVDP ?

La discussion à visée démocratique et philosophique (DVDP) a pour double objectif :

– Un cadre à visée démocratique, inspiré par la pédagogie coopérative, avec une répartition entre les élèves de plusieurs rôles (président de séance, reformulateur, synthétiseur, discutants, observateurs…) ; des règles de prise de parole (tour de parole donné dans l’ordre à celui qui lève la main, priorité à celui qui n’a pas encore parlé ou peu, perche tendue au muet, droit de se taire…) ; et une éthique discussionnelle (on n’intervient pas spontanément mais on lève la main, on ne coupe pas un camarade, on ne se moque pas…).
– Des exigences intellectuelles garantissant la visée philosophique de l’activité portées par le maître, qui accompagne la discussion par des interventions sur la mise en œuvre de processus de pensée.

Il ne suffit pas de vivre une DVDP, c’est-à-dire d’y participer, pour comprendre ce qui s’y joue. Il faut l’analyser. Analyser n’est ni juger, ni conseiller, c’est créer de l’intelligibilité du réel. L’observation est l’une des méthodes d’aide à l’analyse, et il est très formateur d’y impliquer les élèves.

Observer une DVP

Les élèves se répartissent les observations, en se disposant à l’écart des discutants dans la salle, avec un cahier des charges sur ce qu’il faut observer et comment.

Ils peuvent observer :

  • la façon dont la parole circule dans le groupe, en fonction des règles prévues. C’est un bon indicateur de la démocratie dans le groupe. Combien d’élèves dans le groupe-classe ? Combien de discutants ? Combien d’interventions de discutants qui ont parlé au total ? Combien d’interventions de chaque discutant ? Combien de discutants muets ? Combien d’interventions au total de l’animateur ?
  • les différentes fonctions tenues par les élèves, afin de s’y préparer : président de séance; reformulateur ; synthétiseur ; discutants ; éventuellement animateur de la séance, etc. Il s’agit de comparer la façon dont est tenue chaque fonction au cahier des charges de la fonction, pour voir comment elle est assumée, quelles difficultés ont été rencontrées et si elles ont été surmontées.
    Exemple pour le président : introduit-il et clôt-il le temps de la discussion ? Enonce-t-il au départ les règles démocratiques de répartition de la parole (on ne se coupe pas, ne se moque pas, ne s’injurie pas etc.) ? Est-il dépassé par son rôle, n’osant exercer son autorité, ne sachant résister à ceux qui le pressent d’intervenir ? Rappelle-t-il qu’il faut lever la main quand quelqu’un s’exprime sans autorisation ? A qui donne-t-il la parole, et dans quel ordre ? Est-ce à un copain, à un leader ou quelqu’un en face, ou selon la règle aux doigts levés et dans l’ordre où il les inscrit ? Comment s’organise-t-il pour noter qui demande la parole ? Donne-t-il la priorité à ceux qui n’ont pas encore parlé, voire aux moins-disants ? Tend-il au bout d’un moment la perche aux muets, sans pour autant les forcer à parler ? Fait-il faire un tour de table, avec droit de passer son tour ? Gère-t-il le temps (« Il nous reste 5’ de discussion » ?)…
  • les processus de pensée à l’œuvre dans la discussion, avec un tableau à remplir :
    • a) la problématisation, ou état du questionnement dans le groupe : on relève les personnes à qui sont adressées les questions.
    • b) la conceptualisation, état et évolution des définitions des notions dont on a besoin pour penser la question et y répondre, ainsi que les distinctions conceptuelles qui émergent.

Exemple sur « Qu’est-ce qu’un ami ? » (CE2)

Définition par l’exemple Définition par les caractéristiques Distinctions conceptuelles Distinctions conceptuelles Autres notions évoquées
Valérie, c’est mon amie Il est choisi parmi bien d’autres (un ou deux amis seulement) Ami, c’est différent de copain ou camarade Ami, c’est différent de amoureux. amour, aimer, embrasser, être ensemble
On l’aime et ça dure longtemps malgré les disputes On l’aime un peu, mais si on se dispute, c’est plus mon copain On aime tous les deux, mais on embrasse le premier sur la joue, le second sur la bouche jouer, se disputer, durable ou pas
On a confiance en lui et on lui confie ses secrets On joue avec lui, mais on ne lui dit pas mes secrets On n’arrive pas à tout lui dire secrets, confiance

c) l’argumentation : thèses ou anti-thèses, avec pour chacune les arguments proposés, les objections faites, ou les réponses aux objections.

Affirmation (thèse soutenue) Argument pour soutenir la thèse Objection à l’argument Réponse à l’objection
Formuler la thèse Formuler l’argument. Préciser s’il s’agit : – d’un exemple – d’un argument plus abstrait – quel type d’argument (suppose alors une typologie fournie) Formuler l’objection. Préciser s’il s’agit : – D’un contre-exemple – D’un contre argument plus abstrait – De quel type ? Formuler la réponse à l’objection

Aider à l’analyse par l’observation

Une Dvdp est formatrice par son fonctionnement démocratique à l’éthique communicationnelle, et par ses échanges réflexifs. Mais elle l’est aussi par l’analyse que l’on peut faire de ces deux dimensions après la discussion. Il s’agit de comprendre ce qui s’est passé, à la fois démocratiquement et philosophiquement. Les observateurs peuvent aider à cette analyse par les informations qu’ils ont récoltées sur des points précis (telle fonction, telle personne, tel processus de pensée etc.). L’observateur sur un point précis est à l’extérieur du cercle des discutants ; il ne doit pas intervenir pendant la discussion, pour se concentrer sur son objet d’observation. Il intervient à la demande de l’animateur au moment de l’analyse de la discussion, en restituant sans jugement ce qu’il a observé.

Analyser une DVDP à partir d’une observation

Le maître conduit l’analyse méthodiquement, faisant analyser par le groupe plusieurs aspects de la discussion successivement. Par exemple d’abord les fonctions (président de séance, reformulateur, synthétiseur, animateur, discutants…). Sur chacune d’entre elles, il donne en priorité la parole à l’acteur pour qu’il produise de l’autoanalyse de sa fonction, et non de la justification à posteriori si l’on commence par lui renvoyer des observations ; puis à l’observateur qui livre ses observations, en lui demandant de ne pas juger : il régule l’ensemble, et complète par sa propre analyse de chaque fonction. Puis il donne la parole aux observateurs des processus de pensée, qui livrent leurs observations exemplifiées, et complète selon sa propre appréhension des processus de pensée dans la séance.

Michel Tozzi
Professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Montpellier 3