Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Quand la différenciation pédagogique redevient à la mode

Le Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire) et l’IFÉ (Institut français de l’éducation) organisent une nouvelle conférence de consensus, les 7 et 8 mars prochains, à Paris, sur la pédagogie différenciée[[Cette conférence est pilotée scientifiquement par Jean- Marie De Ketele (université de Louvain), et le jury (composé d’enseignants, inspecteurs, parents, etc.) sera présidé par Marie Toullec-Théry (université de Nantes). Plus d’informations en ligne : https://miniurl.be/r-19×9]]. Pourquoi la pédagogie différenciée (ou la différenciation pédagogique) est-elle susceptible d’un intérêt renouvelé ? La pédagogie différenciée a fait l’objet d’une vague de travaux de recherche dans les années 1990 et d’une mise en lumière dans le cadre de la réforme éducative québécoise « le renouveau pédagogique » (2000). Depuis, si quelques auteurs ont refait le point sur cette approche éducative ou ont revisité ses tenants et aboutissants, ce sont aussi de futurs enseignants qui ont souhaité observer ou enquêter sur les pratiques de différenciation des enseignants, dans des mémoires professionnels ou des thèses.

Que peut donc apporter une revue de la littérature de recherche sur les dix dernières années ? D’une part, une confirmation de la nécessité de gérer l’hétérogénéité des élèves, qui motivait déjà les recherches précédentes, mais semble s’être compliquée au fil des années du fait de l’évolution des difficultés scolaires et de la diversité des contextes scolaires. Et, d’autre part, une affirmation de l’intrication des problématiques pédagogiques, par exemple l’évidence qu’on ne peut dissocier la nécessité d’une différenciation pédagogique de la nécessité d’une évaluation dévolue aux apprentissages et non au « rendre compte ».

Plus globalement, tout travail de réflexion sur les pratiques enseignantes et leurs impacts sur la réussite des élèves, indéniables, s’interroge inévitablement sur les relations entre pédagogie et didactique, entre didactique et sociologie, entre curriculum, compétences, savoirs, travail enseignant, travail personnel de l’élève.

Travaux de recherche

Or, les travaux de recherche sur la différenciation pédagogique croisent chacun des éléments cités : pédagogie différenciée ou didactique différenciée, s’interrogent les didacticiens, pour quelle implication dans la triade enseignant-élève-savoir ? La différenciation permet-elle de réduire les risques de malentendus cognitifs ou de les amplifier, s’interrogent les sociologues ? Etc.

Les travaux de recherche sur la différenciation pédagogique démontrent tous, à des degrés divers, que celle-ci pourrait avoir un impact favorable sur le traitement des inégalités d’ordre scolaire. Cependant, cette démarche ne peut s’entendre qu’associée à des éléments qui lui semblent consubstantiels : une préoccupation des progressions et rythmes d’apprentissage des élèves, une diversification des pratiques, des processus, des exercices et des tâches proposés, une organisation des espaces et des temps modulable. Parmi tous les principes déclinés, apparait en filigrane l’importance des stratégies à mettre en place. L’enseignant devient un stratège et doit lui-même apprendre à ses élèves à devenir des stratèges, mais des stratèges à petits pas, au quotidien, en utilisant une multiplicité de processus, ressources, produits, mode d’évaluations, de restitutions.

Les travaux de recherche déclinent quatre dispositifs de différenciation, portant sur les contenus, les productions d’élèves, les structures et les processus, avec une mise en œuvre qui intervient dans des temps différents, selon des modalités qui, toujours, doivent s’adapter aux besoins des élèves.

La différenciation curriculaire (contenus d’enseignement) ne consiste pas à adapter à la baisse les contenus d’enseignements. L’idée proposée aussi bien par des chercheurs francophones qu’anglophones est de s’assurer d’un programme-noyau ou programme-cadre qui sera complété par des compétences, des habiletés, des notions qui peuvent être différentes d’un élève à l’autre.

La différenciation des processus d’apprentissage s’entend comme l’utilisation d’une palette d’approches, d’aides méthodologiques, pour mettre à disposition des élèves les moyens de s’approprier des connaissances ou des habiletés. Ces moyens suggérés par la recherche ou les pratiques vont du tutorat entre pairs à l’enseignement explicite, en passant par le travail en ilot. À l’hétérogénéité des élèves, on répond par une hétérogénéité des stratégies d’enseignement : stratégies socioconstructivistes, stratégies interactives, stratégies de travail individuel ou stratégies magistrales, et ces choix pédagogiques s’inscrivent dans une organisation différenciée du temps et des espaces.

Parmi les pratiques suggérées, on retrouve la nécessité de varier les ressources, les outils méthodologiques, les moyens de réaliser une tâche, les productions des élèves ; d’utiliser le numérique ; de maintenir l’intérêt des élèves ; de favoriser le travail en équipe ; de diversifier les offres de soutien. Et pour cela, l’enseignant n’est pas seul, il travaille en équipe ; il ne travaille pas dans l’optique d’un niveau particulier, mais dans un esprit de cycle, voire d’un continuum curriculaire.

Il reste un petit bémol, que l’on retrouve dans bon nombre d’articles de recherches, la défaillance d’une formation et d’un accompagnement des enseignants et l’insuffisance des travaux axés sur les effets des pratiques enseignantes sur une réelle amélioration des apprentissages.

Annie Feyfant
Chargée d’études et de recherche, service Veille et analyse de l’Institut français de l’éducation (ENS de Lyon)