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Quand la classe devient salle de rédaction

Avec Globe Reporters, la classe devient une salle de rédaction dont les envoyés spéciaux sont des journalistes de métiers, qui enquêtent et interviewent selon les demandes formulées par les élèves devenus pour l’opération leurs rédacteurs en chef. Du Laos à la Tunisie, en passant par Haïti ou le Sénégal, l’espace francophone est visité. Plusieurs matières sont investies : histoire-géographie, français, éducation au développement durable, notamment. Classes du primaire, du secondaire, Segpa, lycée général ou professionnel, tous peuvent participer. L’association porteuse du projet, « Le retour de Zalumée », regroupe au sein de son conseil d’administration des journalistes, des enseignants et des acteurs du numérique qui puisent dans les retours enthousiastes des participants, l’envie d’aller plus loin encore. « Je tenais à vous envoyer un mail pour vous dire le plaisir que j’ai à voir la curiosité des élèves s’affiner, l’attention qu’ils portent à l’écoute des interviews, le plaisir qu’ils ont à retrouver leurs questions et à découvrir les questions des autres élèves », écrit par exemple une enseignante de CM1.
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L’idée des « Journalistes en herbe » est née d’une correspondance entre Alain Devalpo, alors en reportage au Chili, et les élèves d’Erick Bureau pour la radio scolaire dont il était le responsable. Nous sommes en 1998, le numérique en est à ses prémices, les échanges se font sur des cassettes audio envoyées par courrier. Les outils rudimentaires n’empêchent pas l’intérêt de l’initiative d’apparaitre rapidement. L’expérience se poursuit en ajoutant des enregistrements d’échanges téléphoniques.
En 2004, Alain Devalpo rentre en France. Les deux amis décident de structurer le projet et d’y associer d’autres enseignants et d’autres journalistes puis, à mesure de l’émergence des possibilités de l’Internet, des acteurs du numérique. L’initiative rencontre aussi l’adhésion des mondes professionnels associés, le signe qu’elle s’inscrit dans les préoccupations partagées, celles de mettre en œuvre une éducation numérique et de l’information où les élèves agissent pour comprendre.
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« Il existe de nombreuses initiatives sur l’éducation aux médias avec le CLEMI par exemple » souligne Alain Devalpo. L’analyse des informations, la création de journaux scolaires, l’investigation sur les médias est présente dans les classes. Là, il s’agit pour les élèves d’être producteurs de contenus, loin de leur univers, par le biais d’un reporter sur le terrain. « Alain a le don de trouver des témoins pertinents » témoigne Erick Bureau.
Le club média de son collège avait choisi de s’intéresser aux éléphants lors de la campagne au Laos. Les élèves ont pu dialoguer par l’intermédiaire d’Alain Devalpo avec des français qui avaient fondé une association de défense des éléphants. En Colombie, il avait permis un dialogue avec un ethnolinguisque basque, au Sénégal avec un fermier éleveur de crocodiles. L’an passé, avec l’opération « il était une fois la révolution en Tunisie », les élèves ont déniché une légende erronée qui court dans les manuels scolaires au sujet de l’oasis de Tozeur et qui dénonce les effets du tourisme sur la pénurie en eau. Ils se sont questionnés sur les conséquences de l’agriculture et ont interrogé Alain Devalpo qui à son tour a rencontré un témoin. Pour chauffer ses serres, ce témoin puise au plus profond de la nappe phréatique l’eau qui, une fois recyclée, lui servira aussi à arroser ses végétaux. D’une confrontation entre image et témoignages sont ainsi nés de multiples apprentissages liés à la géographie, au français, aux sciences et vie de la terre et au développement durable.
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« Globe reporters n’est pas une chose à faire en plus mais s’intègre dans la classe » souligne le journaliste. Le projet s’inscrit dans les programmes et chaque enseignant l’insère à sa guise pédagogique dans le déroulement de ses cours. C’est lui qui se l’accapare, l’adapte à la matière qu’il enseigne, au niveau à qui il le destine, l’intègre dans une logique pédagogique. La base est la même pour tous : un pays de la Francophonie et un journaliste sur place pour trouver le bon interlocuteur apte à répondre à la curiosité de la classe. L’envoyé spécial prend soin aussi de préciser en début d’interview qu’il est le relais d’enfants ou d’adolescents. Et en échange, il recueille bien souvent de l’intérêt.
« Zéro refus à ce jour », note Alain Devalpo. Du matériel collecté, la classe crée ses propres usages. Une école primaire parisienne a étendu son travail sur Haïti vers une collecte pour aider les familles victimes du grand séisme, vers des conteurs pour mieux connaitre la culture du pays.
Une enseignante de collège témoigne de la richesse des matériaux collectés : « Merci pour tout ce que vous nous envoyez. C’est précieux de rapprocher les mondes et de faire toucher d’un peu plus près les réalités haïtiennes ». « Merci beaucoup pour tout le travail accompli, c’est vraiment très intéressant, nous (adultes et enfants) apprenons énormément ! », écrit une enseignante de CE2. Selon les niveaux, selon les matières, l’interprétation pédagogique revêt une gamme étendue et variée, la mise en forme peut être sonore, textuelle ou graphique, artistique ou factuelle.

Erick Bureau utilise Globe Reporter comme un projet structurant pour son club audiovisuel qui rassemble une douzaine d’élèves, et une bibliothèque de ressources qu’il utilise en travaux pratiques dans sa classe. Des groupes sont constitués en fonction de thématiques. Ils restituent leur travail sous forme d’exposés en utilisant le son et l’image par le biais du tableau numérique interactif. Dans le groupe, chaque élève a une mission particulière permettant ainsi à chacun de mettre en œuvre des compétences, quel que soit sa maitrise de l’écrit ou des champs théoriques du sujet abordé. « Tous ont une partie du travail sous leur responsabilité. Tous sont intégrés dans les travaux de groupe y compris ceux qui ont des soucis de dyslexie. Nous utilisons les compétences de chacun. », témoigne l’enseignant. Cette année, le club audiovisuel accueille beaucoup de nouveaux élèves de 6e et de 5e. L’heure est à la découverte et à la maitrise des outils et de l’écriture radiophonique qui permettront ensuite à partir des riches matériaux récoltés de construire des séquences sonores postées sur le site du collège. Et les sources seront variées, avec Alain qui sera envoyé spécial en Turquie et Tatiana au Congo.
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Depuis 2006, ce sont près de 350 journalistes en herbe qui découvrent chaque année des horizons lointains et explorent l’actualité, la retranscrivent et la partagent. Dix à quinze classes par an sont ainsi impliquées. L’objectif de Globe Reporters est qu’elles soient cinquante puis cent d’ici trois ans. Les classes de CLIS et de Segpa sont prioritaires et ce n’est pas un hasard, car avant d’être journaliste pour France Culture, Le Monde Diplomatique ou RFI, Alain Devalpo a travaillé dans le secteur socioculturel, dans des centres de loisirs ou des classes transplantées. Il a contribué à la création de la Cité des Enfants à la Cité des Sciences de la Villette et milité au sein des Céméa, association d’éducation populaire.
Il y a découvert la pédagogie active et, en liant ses répertoires professionnels, a laissé émerger le projet d’un journalisme participatif où des classes composent une salle de rédaction. Il apprécie de venir dans les écoles présenter les contours de l’aventure avant de devenir un intermédiaire entre les élèves et les témoins puis de revenir les rencontrer pour constater ce que les matériaux bruts sont devenus une fois façonnés par la pédagogie. Le projet rencontre des échos favorables dans les pays visités. En Tunisie, le passage d’une information muselée à un flot débridé a souligné la nécessité d’une éducation aux médias, un regard critique face au foisonnement des nouvelles mises à portée de tout un chacun.

Alors, sous l’effet des multiples possibles interprétations, « Journalistes en herbe » est devenu « Globe reporters » pour offrir encore de plus larges explorations. Aux campagnes longues où un journaliste en reportage se fait envoyé spécial pour les classes, répond par effet-miroir l’accueil dans la classe d’un journaliste étranger qui profite d’un séjour professionnel en France pour venir poser aux élèves des questions de jeunes compatriotes. Les premiers seront sans doute tunisiens au vu du soutien rencontré là-bas auprès des autorités locales. Des missions plus brèves sont également proposées sur un évènement ou une thématique précis. Les projets d’étoffent et les besoins de partenariats aussi.

Les campagnes mobilisent des journalistes, l’utilisation du numérique nécessite des moyens et les soutiens institutionnels ne pourront à eux seuls répondre aux constantes évolutions d’un projet prometteur. Pour financer les initiatives se déroulant dans leur établissement, les enseignants recherchent des subventions notamment au travers des classes à PAC (Projets Artistiques et Culturels). « C’est un bon moyen de mesurer leur motivation et de les impliquer dans le projet », souligne Alain Devalpo. Mais l’ambition de Globe Reporters implique de trouver d’autres fonds, à hauteur des volontés qui affluent, séduites par ce journalisme participatif en version scolaire.
Etre citoyen du monde, cela s’apprend.

Découvrir d’autres univers et retranscrire cette découverte pour la partager, est une compétence qui se construit au fil d’une expérience vécue, d’une implication active. Erick Bureau et Alain Devalpo l’ont depuis longtemps compris et regardent avec surprise et enthousiasme leur projet né de l’amitié, grandir et grandir encore.

Monique Royer