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Prof, un métier qui rend heureux

Les prémices de son désir d’enseigner remontent au CP lorsque sa réponse « maîtresse de maîtresse » à la rituelle question « que veux tu faire quand tu seras grande » rencontre les sourcils froncés de son institutrice. Un souhait a contrario qui, au fil des ans, se consolidera auprès d’enseignants qui lui feront découvrir la richesse de la littérature et qu’elle considérera comme des modèles . Elle choisit des études de lettres, passe le CAPES, commence sa carrière dans trois collèges différents de l’Aube, le premier rural, le deuxième dans un chic centre ville et le dernier en zone d’éducation prioritaire. « Ça m’a donné une bonne image de ce que pouvait être l’enseignement en France dans toute sa diversité. » Fille d’agriculteurs, enfant des champs plus que de la ville, la vie la mène vers la région parisienne, loin de sa province, avec un peu de crainte. Mais sa « vocation idéaliste » avec au coeur à son tour « l’envie de faire découvrir aux autres » lui font ouvrir les yeux sur ces adolescents d’Alfortville qui ont un air de ressemblance avec ce qu’elle a été, elle la première de sa famille à obtenir le bac et faire des études. Elle pose son sac, ses livres et ses projets dans le tout nouveau lycée Maximilien Perret que, depuis, elle n’a pas quitté.

Elle vit là son métier avec bonheur, dans une banlieue proche de Paris aux populations mélangées. L’établissement est un lycée des métiers, polyvalent. « Il incarne ce que devrait être l’éducation en France, un lieu de mixité sociale ». Il est aussi fragile sur ses sections générales alors l’équipe se mobilise sans cesse en faisant vivre des projets pour le rendre attractif. Parmi eux, un prix littéraire des classes de seconde, créé il y a quinze ans, qui récompense chaque année un livre de poche. D’autres investissent le numérique. Avec une classe, elle a créé des profils d’auteurs classiques sur Facebook qui débattaient, se répondaient en utilisant la langue du XVIIe siècle. L’apprentissage de la controverse se mêlait à la sensibilisation aux bons usages des réseaux sociaux. Françoise Cahen a envisagé les possibilités multiples du numérique en préparant l’Agrégation interne au sein d’un collectif utilisant le travail collaboratif. A la même époque, elle découvre le groupe de recherche sur les Tice de l’Académie de Créteil, apprécie les échanges d’idées, de ressources. « Je me suis passionnée pour un art pédagogique du cours. On n’envisage pas assez le métier de prof sur cet angle là. C’est une invention presque poétique que l’on peut faire avec les scénarios pédagogiques. Parfois ce sont les élèves qui nous donnent des idées ». Aujourd’hui, elle s’est lancée dans une recherche universitaire en entreprenant un thèse sur les réseaux romanesques à l’ère des réseaux sociaux. Elle souligne l’influence de ses élèves dans le choix de poursuivre ses investigations sur la piste d’une littérature qui se partage, s’explore dans toutes ses dimensions, y compris les plus modernes avec les œuvres numériques. Elle est aussi formatrice académique, se réjouit de côtoyer là aussi des publics variés, des contractuels, des néo-titulaires ou des chevronnés. « J’adore être formatrice car cela me permet de rencontrer des collègues et de connaître la diversité des établissements même si les inégalités frappantes entre eux m’apparaissent révoltantes »

Son métier, elle le raconte dans un blog, le plus souvent pour exprimer le bonheur qu’elle a d’enseigner. «L’expression du bonheur n’est pas un exercice facile, y compris dans la littérature » constate celle qui a choisi de s’exprimer pour montrer la face positive d’une profession pas toujours bien perçue. Dans un dernier billet elle reprend les poncifs du « niveau qui baisse » en montrant leur récurrence. « Les élèves ne savent pas écrire ? Mais les élèves sont tout le temps en train d’écrire. Ils ont la capacité de faire des choses simultanées, ils ont de la vivacité, le sens de l’humour ». Ce sont les clichés qu’elle chasse sans naïveté. Elle voit bien que les enquêtes montrent que l’éducation doit évoluer pour que les résultats soient meilleurs, que les inégalités diminuent. Et dans son quotidien professionnel, elle s’y emploie avec douceur, en prônant la bienveillance. Dans ses formations, elle apprécie ces moments où elle perçoit « cette relation heureuse avec les jeunes, c’est d’une beauté incroyable ». Elle rajoute « ça me rend triste que de moins en moins de gens veulent faire ce métier. Il faudrait le revaloriser, par le salaire mais pas seulement ». Elle puise son énergie dans les projets communs, dans les rencontres avec d’autres enseignants comme au forum des enseignants innovants.

« Je n’aime pas le côté ronchon, je suis là pour voir ce qu’il y a de beau chez les profs et les élèves. C’est comme cela qu’on avance ». Pourtant en mai elle s’est mise dans une saine colère sur la misogynie, l’a écrite et l’a partagée au-delà de ses espérances. L’an passé, elle avait déjà constaté cet absence de femmes de lettres dans les programmes de L. Elle en avait discuté avec ses collègues dans la salle des profs et affirmé haut effort que si cela se poursuivait l’année suivante, elle ferait quelque chose. Elle lance une pétition sur Internet, pensant que ce n’était qu’une initiative mineure qui remporterait peu d’écho. Or, le sujet est repris par les médias qui s’en emparent, les interviews se succèdent pour la télé, la radio, les journaux. « C’était impressionnant car ce n’est pas ma vocation de faire le buzz. ». Elle ne réfléchit pas, elle fonce pour une cause qui remporte un écho dans la société. La Ministre elle-même réagit positivement dans la journée. « C’était sans doute le bon moment, tout le monde était réceptif ». Elle fait connaissance avec des féministes très engagées qui se battent pour ce thème depuis des années auprès de qui elle ne se sent pas légitime. Elle rencontre là aussi des regards bienveillants. La pétition recueille 19 889 signatures. « Je n’ai pas prévu que cela allait fonctionner. Je l’ai fait pour me décharger du sentiment de révolte, pour lancer une alarme, pour faire ce que je pouvais ». Les quelques messages haineux reçus n’entachent pas son impression de vivre un conte de fées. Sa parole qu’elle estimait modeste a porté loin par le vecteur du numérique. Elle a eu un effet, celui de faire changer le programme de littérature en incluant des femmes de lettres. Elle restera vigilante pour observer la mise en pratique de ce changement. « On fait quelque chose et les choses changent vraiment. C’est une belle aventure, je m’en souviendrai toute ma vie ». Dans cette aventure, une fois encore le numérique a été le vecteur, l’amplificateur, le support d’un partage, d’un débat. « Les réseaux nous rendent un peu magiciens. » conclut t-elle.

Monique Royer

Le blog de Françoise Cahen : http://fcahen.neowordpress.fr/blogs-pedagogiques/