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Pourquoi ils s’ennuient ?

Tous les élèves s’ennuient au moins un peu au lycée, du moins tous ceux que nous avons rencontrés. Si un certain consensus s’installe pour attribuer cette absence de motivation aux enseignants[[Avec 24 % des citations, les professeurs sont la première cause d’ennui pour les lycéens. Les résultats présentés dans le cadre de cet article sont issus d’une thèse. Stéphanie Leloup, L’ennui scolaire : du manque de motivation au décalage des attentes, thèse pour le doctorat en sciences de l’éducation, université de Reims Champagne- Ardenne, 2003, 767 p., sous la direction de Gilles Baillat.]], qui « ne sont pas assez enthousiastes[[L’ensemble des citations provient de l’enquête réalisée au cours des années 2001-2002 auprès de lycéens de Champagne-Ardenne.]]  », « qui ne s’intéressent qu’aux meilleurs  », « qui devraient changer leur façon de faire cours  » et plus particulièrement qui devraient « arrêter de faire copier pendant des heures  », tous les élèves ne s’ennuient pas de manière identique. On peut repérer cinq formes d’ennui différentes.

Une typologie de l’ennui

Tout d’abord, certains lycéens font de leur ennui le signe de leur résistance à adhérer au modèle proposé par l’école. Ils estiment que pour s’intégrer au lycée, il leur faut réprimer en eux quelque chose qu’ils ressentent comme étant tout simplement leur vraie personnalité. Devoir se plier aux évaluations, aux horaires de l’institution leur parait hors de portée. Les heures de cours empiètent sur ce précieux temps libre qui leur permet de vivre pleinement, ce qui les amène à proposer comme remède à l’ennui la suppression pure et simple de certains cours : « C’est pour ça que je sèche des cours parfois. Oui, des après-midis entiers parfois. Je me dis “il faut bien profiter de la vie, de la jeunesse. Et puis, à long terme, cela n’aura aucune importance.” »

D’autres élèves constatent amèrement que le lycée ne ressemble en rien à un parc d’attractions. « Où est le baby-foot pour s’amuser à la récréation ?  » se demandent-ils. « Pourquoi on ne repeint pas le lycée ? Le gris, c’est triste. » Ils supportent mal de ne rien faire, il faut absolument en classe que leurs enseignants les « occupent », un peu comme on occupe un pays.

Tous peuvent s’ennuyer

Si les mauvais élèves s’ennuient plus que les élèves brillants[[Les élèves qui obtiennent une moyenne dans une discipline supérieure à 12/20 ont statistiquement moins de chances que les autres de déclarer s’ennuyer dans ladite discipline.]], il ne faut pas croire pour autant que l’ennui épargne totalement les bons élèves. Pour ceux-ci, l’ennui vient du rythme des cours, trop lent, qui leur donne l’impression de stagner dans la matière, de ne pas progresser. Qu’on ne s’y trompe pas : cet ennui n’est pas réservé aux surdoués : un redoublant abordant une deuxième fois le programme d’une discipline qu’il pense maitriser connaitra le même sentiment.

Évidemment, ceux qui ont des difficultés estiment au contraire que les professeurs ne prennent pas assez le temps d’expliquer, qu’ils n’arrivent pas à suivre. Ce qui fait que le plus ennuyeux en fait dans un cours peut être « de ne pas comprendre ce que tout le monde comprend. Le professeur explique, tout le monde a à peu près compris, et moi j’ai rien compris, et ça, ça m’énerve ». L’ennui devient alors une façon de protéger son narcissisme : il est plus facile par exemple de prétendre que l’on s’ennuie dans une discipline où l’on obtient de mauvaises notes. « La philo, j’y ai trouvé un intérêt, j’ai eu une bonne note aussi. Physique : si j’ai une mauvaise note, je ne vais pas aimer. »

Plus préoccupant est le dernier type d’ennui, celui qui prend la forme d’une distance entre les élèves et le lycée, et plus particulièrement d’une distance entre les lycéens et les savoirs enseignés. Non seulement les savoirs scolaires ne semblent pas désirables en eux-mêmes pour les lycéens, mais ils n’aident pas, d’après eux, à être autonome et adulte. Ils doivent être appris et assimilés, puisqu’ils donnent lieu à une évaluation, mais ils ne font pas sens pour l’élève. Ils ne sont pas concrets. Le concret est le thème phare de ces élèves. Est concret tout ce qui est directement utile soit dans la vie personnelle, soit dans la vie active. Ces lycéens sont dès lors les premiers à dénoncer le caractère abstrait de l’enseignement qui leur est proposé, abstrait étant alors à entendre comme gratuit, ne servant à rien. À la limite, l’école n’est utile qu’à former les futurs enseignants, et à sélectionner les bons et les mauvais élèves. La relation au professeur devient ainsi le seul critère qui sépare les cours ennuyeux des cours intéressants.

Ennui et matières scolaires

Est-ce à dire que la matière en elle-même ne joue aucun rôle dans l’ennui ? Si l’on admet que le caractère ennuyeux n’est pas la caractéristique d’un objet, par exemple une discipline scolaire, mais d’une relation entre un objet (la discipline) et un sujet (l’élève), il ne peut donc exister des matières plus ennuyeuses que d’autres. Néanmoins, toutes les matières n’apparaissent pas comme égales face à l’ennui. Certaines disciplines ont été plus souvent citées que d’autres comme inutiles et sans intérêt : il en va ainsi, par exemple et de manière statistiquement significative, pour les mathématiques et la physique. Si certaines causes d’ennui sont communes à toutes les disciplines (difficulté de la matière, manque d’intérêt personnel de l’élève pour les sujets proposés), certaines sont propres aux disciplines scientifiques (manque d’expression personnelle, trop d’abstraction, etc.). Cependant, il n’est pas indispensable de rechercher de multiples causes à cet ennui, car dans cette affaire, le lien entre ennui et performance scolaire apparait comme crucial. Certes, les élèves ne disent pas clairement « si je m’ennuie dans telle discipline, c’est parce que j’ai de mauvaises notes  ». Au contraire, ils commencent souvent par essayer de prouver l’inutilité de la matière en question. Ce n’est qu’en dernier ressort que l’élève avoue (le terme n’est pas trop fort) que, finalement, il ne réussit pas dans la discipline qu’il a dénigrée : « Les maths. J’ai toujours détesté les maths. Premièrement parce que je n’en vois pas l’utilité, deuxièmement parce que j’ai la confirmation que cela ne me servira pas, et troisièmement parce que je ne comprends pas ! Cela ne sert pas, je ne comprends pas et je m’ennuie. » L’utilité ou l’inutilité d’une discipline semble en fait être plus un prétexte pour justifier un manque de compétence que le reflet d’une réalité.

Un bon alibi ?

Les élèves ne sont pas les seuls à utiliser l’ennui pour sauver la face. L’enseignant qui peine à transmettre le savoir préfèrera lui aussi accuser les élèves de ne pas s’intéresser à son cours. L’institution scolaire elle-même, dont l’une des fonctions est de classer les élèves sur une échelle de réussite, peut elle aussi instrumentaliser l’ennui : il permet de sélectionner ceux qui sont capables de sacrifier leurs penchants immédiats pour telle matière à leurs intérêts futurs, et de déterminer les meilleurs stratèges, ceux qui choisiront la meilleure filière. On peut donc penser que le véritable engouement pour le thème de l’ennui ne s’explique certainement pas uniquement par le seul changement des conduites des élèves, qui seraient de moins en moins motivés, mais également par le rôle de cohésion du monde scolaire que remplit cet ennui. En définitive, la plupart des acteurs du système éducatif n’auraient-ils pas beaucoup à perdre si l’ennui à l’école disparaissait ?

Stéphanie Leloup
Professeure en économie-gestion au lycée Bazin de Charleville-Mézières, docteure en sciences de l’éducation