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Pour une réorganisation radicale des programmes de mathématiques

Les programmes actuels de mathématiques ont l’avantage d’être plus précis qu’auparavant, assortis de compétences exigibles, et accompagnés de nombreux documents officiels à vocation didactique. Mais pour l’essentiel, si l’on exclut les introductions, ils sont présentés et structurés en fonction des notions et outils mathématiques à enseigner (domaine numérique, domaine géométrique, etc.).

Cette structuration ne met pas assez en valeur, à mon sens, les grands enjeux sous-jacents, et contribue ainsi à rendre l’enseignement des mathématiques trop « techniciste ». Cela peut expliquer (du moins en partie) le déficit de sens que ressentent beaucoup trop d’élèves… ; élèves qui, hormis quelques téméraires, n’osent pas (ou plus) poser la fameuse question : « mais à quoi ça sert, ce qu’on fait, là ? », ou « à quoi elles servent, vos maths ? »…

Je plaide donc pour une réorganisation des programmes, non plus par notions, mais par « grands objectifs », et pour la diffusion d’une version résumée qui présente clairement aux élèves (et à leurs parents) les enjeux de l’apprentissage des mathématiques.

Les programmes de la scolarité obligatoire (école, collège, début du lycée) pourraient par exemple être articulés autour de quatre pôles : « les connaissances et compétences de base », des éléments complémentaires de « culture mathématique », « le raisonnement », et « la résolution de problèmes ». Un cinquième pôle, de « spécialisation », se grefferait ensuite au lycée, de façon différenciée selon la voie (générale, technologique, professionnelle) et ses filières.

  • Acquérir les bases nécessaires à la vie courante

Compter, calculer, utiliser des pourcentages, interpréter des données statistiques, manier des probabilités, tracer des formes géométriques, mesurer ou déterminer des longueurs, des aires, des volumes, des angles ou des vitesses, utiliser une calculatrice et certains logiciels (tableur, par exemple), sont quelques-unes des compétences indispensables de la vie personnelle ou professionnelle… Elles ont été récemment rassemblées dans le « socle commun de connaissances et de compétences ».

  • Acquérir des éléments de culture mathématique

Quand on parle de culture, de transmission du patrimoine, on néglige trop souvent la « culture scientifique »… Il y a pourtant de nombreux sujets intéressants à aborder, concernant l’histoire des mathématiques, les « grands théorèmes », les spécificités de la démonstration mathématique…, sans oublier les liens entre les mathématiques et les autres disciplines (sciences physiques, philosophie, arts plastiques, etc.). Cela suppose bien sûr de faire des choix, aussi bien au niveau national (qu’est-ce qui est « incontournable » ?) qu’au niveau des professeurs (qui, dans le cadre des programmes, devraient avoir une marge de liberté suffisante) ; cela nécessite aussi une formation des enseignants plus consistante dans ce domaine !

  • Apprendre à raisonner et à argumenter

Je crois nécessaire d’enseigner à tous les bases de la logique (en évitant l’aspect trop formaliste qu’on a pu connaître naguère) et de travailler davantage la qualité et la précision de l’expression orale ou écrite (notamment l’emploi des « petits mots » comme « et », « ou », « car », « donc », « si »…), et ce dès l’école primaire.

Me semblent également indispensables des connaissances et compétences sur les différents types de raisonnement, sur la différence entre induction et déduction, et sur les « techniques » de l’argumentation, ses pièges, etc. (on touche là une composante essentielle de l’éducation à la citoyenneté…).

Toutes les disciplines concourent bien entendu à ces apprentissages, mais si les programmes mettaient plus nettement en avant ce pôle, il serait, on peut l’espérer, moins négligé.

  • Apprendre à résoudre des problèmes

Le mot « problème » est pris ici au sens large de situation, en général assez complexe, qui « pose problème », et dont on n’a pas immédiatement de solution simple. C’est en résolvant des problèmes qu’on progresse, en mathématiques comme dans la vie. Savoir formuler un problème, conjecturer, modéliser une situation, choisir une méthode de résolution parmi d’autres, tâtonner, cheminer par essais-erreurs, mener une démarche expérimentale, tout cela n’est pas évident : cela s’apprend, et donc cela s’enseigne… Là encore, toutes les disciplines sont concernées ; chacune a son lot de problèmes spécifiques, « internes à la discipline », mais il n’est pas sûr que les élèves arrivent à saisir ce qu’il y a de commun à leur résolution ! Et pourtant, c’est grâce à la multiplication des expériences, reliées entre elles, qu’on peut dégager des constantes et les formaliser ; les acquis construits étant alors réinvestis dans de nouvelles situations…

Comme pour les deux pôles précédents, une assez grande liberté pourrait être laissée aux enseignants quant au choix des situations (pourquoi serait-il obligatoire que tous les élèves de France traitent les mêmes problèmes ?).
On peut risquer le pari qu’une telle réorganisation des programmes inciterait également les professeurs à concevoir différemment leur rôle : moins « transmetteur de connaissances », et davantage « formateur » (développer des compétences chez les élèves, former les esprits…).

On peut aussi penser qu’elle entraînerait des dérives (par exemple : une semaine de pôle 1, une semaine de pôle 2, etc.) ; par ailleurs, elle impliquerait d’autres pratiques et critères d’évaluation (y compris pour les examens), et une formation des enseignants adaptée. Mais l’enjeu me semble devoir justifier cette (r)évolution.

Rémi Duvert
IUFM de l’académie d’Amiens