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Pour une évaluation plus juste et plus efficace

Les torts de la note : ce fut l’un des points communs des différentes interventions de ces quatre heures passées à échanger sur l’évaluation, au-delà de la diversité des intervenants. La notation telle qu’elle est ne convient vraiment pas. Moins à cause de l’illusion qu’elle donne de rigueur scientifique de par la magie des chiffres que parce qu’elle ne remplit pas la fonction qui devrait être la sienne, à savoir aider à apprendre.
L’originalité de cet après-midi a été sans doute de démarrer par une passionnante table ronde avec quatre lycéens, interrogés avec finesse par Philippe Pradel. Des lycéens aux parcours pourtant si différents, entre la brillante élève qui a sauté la troisième, celle qui s’est révélée au lycée professionnel après une scolarité très difficile et les deux membres du micro-lycée Ponticelli à Paris pour « décrocheurs ». Tous les quatre avaient bien des choses à dire et à redire sur la notation telle qu’elle est.
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Pour Margaux Colas, les écarts de jugement d’un correcteur à l’autre sont souvent importants et la fiabilité de la note est remise en cause par les lycéens. Cette note qui stigmatise plus les manques qu’elle ne met en avant les réussites. On ne voit pas toujours bien comment se rattraper quand on a « une sale note », et des enseignants vont dans ce sens. Margaux Malaisé affirme, elle, qu’on donne trop d’importance aux notes de toutes façons (« on est formaté »), elle s’est en revanche enthousiasmé pour les tableaux de compétences accompagnant les devoirs qu’elle a découverts au lycée professionnel. Tandis que Margaux Colas se sent tellement plus à l’aise avec les manières d’évaluer du micro-lycée, une vraie renaissance pour elle : beaucoup d’appréciations personnalisées, la possibilité de refaire son travail et de s’améliorer. Olivier Bizet a pu voir dans d’autres pays des prises en compte de talents d’élèves plus variées qu’en France (au Québec notamment) et aimerait que ce soit davantage le cas dans notre système, qui convient très bien à certains, mais pas à tout le monde. D’autres types d’épreuves comme l’oral du TPE sont plébiscités. Et chacun insiste sur le rôle de la relation évaluateur-évalué : on ne doit pas juger des personnes mais seulement le travail effectué.

La seconde table ronde rassemblait Nathalie Mons et Roger-François Gauthier, questionnés par Jean-Michel Zakhartchouk.

Nathalie Mons et Roger-François Gauthier

Nathalie Mons et Roger-François Gauthier


Les deux intervenants ont d’abord dit tout le plaisir qu’ils avaient eu à entendre cette parole lycéenne forte (bien structurée d’ailleurs) qui interpelle l’évaluation telle qu’elle existe. Puis Nathalie Mons nous a donnés quelques aperçus de comparaisons entre systèmes éducatifs concernant l’évaluation. En France, nous manquons de transparence et d’explicitation. Passer de la notation sur 20 à un autre système ne signifie pas remplacer des chiffres par des couleurs, mais établir des référentiels précis de compétences, donner plus d’importance aux critères de réussite. De plus, nous ne sommes pas assez dans le collectif : chacun évalue en solitaire, à sa manière. D’autres systèmes donnent plus d’autonomie aux équipes, mais cela implique d’avoir des normes nationales claires qui laissent cependant beaucoup de marges de manœuvre dans l’application (avec l’introduction de nouveaux outils comme des portfolios). La présidente du conseil national de l’évaluation du système scolaire (le CNESCO) fait aussi remarquer que dans divers pays, il y a parfois des retours en arrière, corrélés en général avec l’arrivée au pouvoir des conservateurs, comme en Suède ou Québec. Une autre observation majeure : dans notre système, nous n’évaluons pas suffisamment la créativité et la capacité à travailler avec les autres.
Roger-François Gauthier, lui, rapporte certains débats qui ont lieu au sein du Conseil supérieur des programmes autour des niveaux d’exigence. Il plaide pour l’établissement d’une distinction entre le niveau satisfaisant (le « minimum » dans le bon sens du terme, ce qui est indispensable au citoyen d’aujourd’hui ou de demain) et un niveau approfondi, remarquable. La question à se poser est de savoir si cela renforce ou diminue les inégalités. Pour Roger-François Gauthier, ne pas établir des distinctions de niveaux à l’intérieur du socle commun risque de décrédibiliser celui-ci et de diminuer son importance, étant entendu que l’objectif reste bien de faire davantage réussir les plus fragiles de notre système. La question de l’acceptabilité par l’opinion publique est d’importance. Les retours de bâton sont toujours à craindre, telle cette votation du canton de Genève aboutissant à un rétablissement de la note chiffrée.
Au cours de l’échange avec la salle, les deux intervenants insistent sur la nécessité de développer l’évaluation formative, au-delà des déclarations affichées, avec des appréciations riches sur le travail de l’élève, l’indication de pistes de progression.

La parole ensuite aux praticiens.

Annie di Martino, Marc Berthou et Jérôme Musseau

Annie di Martino, Marc Berthou et Jérôme Musseau


Trois expériences, dans des établissements bien différents, avec un engagement collectif plus ou moins grand, mais avec de nombreux points communs : confiance dans l’élève, volonté de transparence, utilisation d’outils simples et compréhensibles par les familles, travail pour élargir le groupe de pionniers de départ au plus grand nombre possible de collègues, et constat d’une amélioration considérable du climat dans les classes (« les yeux qui brillent des élèves » Annie di Martino). L’évaluation doit être un dialogue avec les élèves, affirme Jérome Musseau, du collège Guillaume Budé en REP à Paris. Là est l’essentiel, et il faut dégager du temps pour cela, pour d’autres fonctionnements de conseils de classe, et Marc Berthou du collège de Charly plaide pour un allègement du travail des enseignants quand il n’est pas utile (par exemple en développant l’auto-évaluation, en renonçant à « tout évaluer » et en se centrant sur quelques compétences essentielles.)

michel_lussaut200.jpgRevigoré à son tour par ces récits d’expériences positives, Michel Lussault a conclu la journée de manière dynamique, sans la moindre langue de bois. Le président du Conseil supérieur des programmes commente les 9 principes pour l’évaluation qui ont été proposées à la ministre. Retenons quelques formules utilisées lors de cette intervention roborative :
« Les pratiques d’évaluation, ce n’est pas l’essentiel, mais c’est un bon moyen de faire bouger l’ensemble des pratiques. »

« Il faut lutter contre le fétichisme de l’évaluation. Trop souvent on évalue ce qu’on n’a pas eu le temps d’apprendre ».

« L’évaluation doit être qualitative, sinon elle n’a guère d’intérêt. »

« Les moyennes sont des objets bizarres, et les moyennes de moyennes ne sont guère comprises à l’étranger. Il faut appliquer la non-compensation, mais c’est un principe exigeant »

«  Croit-on vraiment à l’école de la réussite de tous ? Je m’aperçois que, par exemple, dans le milieu universitaire on apparait comme un doux rêveur lorsqu’on l’affirme. »

« Il faut en finir avec la course aux armements évaluatifs. D’où l’idée d’abandonner le LPC. S’il faut garder par compromis une épreuve écrite pour le brevet, il faut que celle-ci soit multidisciplinaire et ne compte que pour une partie, l’essentiel étant l’obtention de la validation du socle commun, qui passe aussi par une épreuve d’oral interdisciplinaire. »

« Il y a des questions redoutables qu’il nous faut aborder : quels droits donne la validation du socle (conséquences sur l’orientation), que fait-on quand le socle n’a pas été entièrement validé (poursuivre le travail en lycée…) »
Jean-Michel Zakhartchouk

Photos : Nicole Priou