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Pour que l’égalité ne soit pas qu’un slogan

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Appelons-le Fofana. Après un BTS (brevet de technicien supérieur), il prépare cette année une licence professionnelle génie de l’assainissement et des systèmes de traitement des eaux. Son parrain républicain me raconte toutes les étapes, depuis la classe d’accueil jusqu’à aujourd’hui, avec en sus le saut d’obstacles pour avoir des papiers. Cette success story pourrait être une « défense et illustration » de l’Éducation nationale, capable de faire d’élèves étrangers des membres à part entière de la société française, professionnellement, socialement, culturellement insérés.

Mais pour Mounir (rebaptisé lui aussi, si l’on peut dire), c’est différent. Il est pourtant arrivé avec un bagage de connaissances supérieur au premier. Il veut tout savoir sur l’électricité, dévore des ouvrages de vulgarisation, puis un manuel de physique. N’empêche qu’il est interdit d’école : quand il est passé, durant quelques minutes, dans l’antenne de tri qui reconnaît ou dénie la minorité, il n’a pas été accepté ; il a entamé un recours judiciaire, mais c’est très long, et en attendant, le rectorat refuse de lui faire passer des tests de niveau, sans parler d’affectation. Ces jeunes refusés d’école sont voués à l’errance, avec tout ce que cela signifie.

Ces deux vignettes balisent l’éventail des situations des jeunes migrants devant l’école, entre prouesses d’enseignants inventifs et engagés (très nombreux à l’être dans les UPE2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivants), un des fleurons de l’Éducation nationale malgré leur appellation peu engageante), et refus d’une administration trop souvent obéissante aux consignes de méfiance et de tri. Le besoin et le désir d’école de ces jeunes venus d’ailleurs sont le point de départ. La première partie du dossier donne des exemples de cette soif et des premiers obstacles. Ce contexte posé, nous avons d’abord voulu illustrer la belle réalité trop peu connue des UPE2A (unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants), un des fleurons de l’Éducation nationale malgré leur appellation peu engageante. Absorbés dans la tâche, les enseignants n’ont pas toujours eu le temps de parler de leur travail : nous sommes heureux d’avoir pu leur en fournir l’occasion.

Ce dossier détaille ensuite le tableau complexe de l’inclusion scolaire des jeunes migrants, c’est-à-dire leur participation aux classes ordinaires auxquelles ils sont affectés en fonction de leur niveau général. Ils vont y suivre des matières qui ont moins recours au langage naturel, math, arts. Cette inclusion n’est pas simple non plus, tant pour les jeunes arrivants que pour les autres élèves et les enseignants ordinaires. Elle peut même être parfois vécue dans le malaise, car les enseignants concernés par l’inclusion n’ont pas été formés et ne sont pas spécialement volontaires. C’est ce que racontent, chacun pour son domaine, à tous les étages de l’institution scolaire, de la maternelle au lycée, dans le privé comme dans le public, les enseignants impliqués. Aucun d’entre eux n’est dans le conte de fées. Les difficultés sont précisément décrites : c’est qu’il s’agit d’y travailler, de les surmonter, dans une attitude essentiellement pragmatique, guidée par quelques principes d’efficacité. À nous de faire connaitre ces transitions et ces passerelles, si l’on veut que la peur de l’autre, celle des deux tiers de l’opinion publique selon les sondages, s’arrête aux portes de l’école, pour faire place à l’ouverture, sans naïveté mais avec un parti pris de fraternité.

Qu’un chercheur reconnu et engagé, étranger (il goutera le terme) à l’Éducation nationale accepte de conclure ce dossier nous permet de décoller du scolaire, mais pour mieux y revenir. Car l’intelligente hospitalité qu’il prône, si elle peut bénéficier aux élèves étrangers (et, nous le souhaitons, à tous, sans en refuser certains sous de mauvais prétextes), bénéficie aussi à tous les élèves. L’inventivité pédagogique, la prise en compte de la particularité pour en faire du commun, la diversification des réponses, ces qualités répondent aux besoins de tous. Les élèves venus d’ailleurs ne sont pas plus une solution qu’un problème. Faisons le pari qu’ils sont, ou peuvent être, des ferments du processus d’amélioration de l’éducation scolaire.

Jean-Pierre Fournier
Intervenant aux côtés des jeunes migrants

Françoise Lorcerie
CNRS-Université d’Aix-Marseille