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Porter sa voix – S’affirmer par la parole

Si vous avez vibré d’émotion en regardant le documentaire de Stéphane de Freitas, « A voix haute »[[http://www.allocine.fr/film/fichefilm-253601/telecharger-vod/]], si vous êtes de ceux qui suivent avec intérêt la belle aventure d’Eloquentia, programme de formation et concours d’éloquence né à l’Université Paris 8 de  Seine-Saint-Denis[[http://eloquentia-saintdenis.fr/]],nul doute que vous aurez envie de découvrir Porter sa voix, livre du même Stéphane de Freitas. Un beau titre, un beau projet. D’autant plus intéressant que, comme l’auteur le souligne, les compétences liées à l’oral sont largement sous-développées à l’école où les enseignants sont d’ailleurs peu formés à des pratiques d’oral ayant pour but le développement de la confiance en  soi, l’apprentissage de l’écoute active et d’un rapport apaisé aux autres. Témoin ce propos d’un élève décrocheur : « Il aurait fallu déjà à la base que j’apprenne plein de choses qu’on ne m’a jamais apprises. Déjà au collège dès que je suis rentré en 6ème, j’aurais dû apprendre à pas parler mal aux copains (…), j’aurais aimé apprendre à me comporter, à bien parler, tout ça (…). On a appris le français, on ne m’a jamais appris à bien parler le français…  »[[Le Monde de l’éducation, déc 98.]]

Ainsi  trouve-t-on dans ce livre la philosophie du projet Eloquentia, alliance de parcours individuels fondés sur des histoires et des projets personnels tous différents, et d’une vie de groupe qui seule rend possible l’éducation émotionnelle et sociale visée par cette formation. C’est ce que, pour ma part, j’ai trouvé le plus intéressant : les enjeux d’une prise de parole qui est à la fois rapport à soi et rapport aux autres, avec un plaidoyer argumenté pour que la place soit faite dans le système éducatif à cette formation qui permet à chacun d’exister, la formule n’est pas exagérée, comme en témoigne ce passage du livre de Stéphane Geffroy et Pierre Rosanvallon,[[A l’abattoir, collection « Raconter la vie »,Seuil, 2016, page 68.]] où un ouvrier dit,  à propos d’une expérience syndicale : « Le stage de prise de parole en public a été une révélation pour moi. La facilité à s’exprimer avait toujours été à mes yeux (…) ce qui marquait une sorte de frontière entre deux catégories d’hommes, le monde de ceux qui commandaient et celui de ceux qui exécutaient. Mais pendant ce stage, j’ai appris que je pouvais passer de l’autre côté de la frontière. »

Pour promouvoir la formation à la prise de parole, le livre propose ensuite « un ensemble pédagogique sur l’oral exhaustif et sans précédent », dit pompeusement  le dossier de presse, ce qui m’a laissée un peu sceptique : ces « fiches » sur la respiration, le placement du corps dans l’espace, l’entraînement à la déclamation, à la créativité… ne les trouve-ton pas déjà dans maints ouvrages ? Plus encore, les conseils pour structurer un discours, organiser une argumentation, et même préparer un entretien d’embauche, ne font-ils pas déjà l’objet de nombreux guides pratiques ? Est-ce cela qui manque aux enseignants, ou plutôt des encouragements institutionnels clairs  pour que la place enfin donnée à l’oral dans les programmes de 2015 puisse se traduire réellement par des formations largement développées et des choix pédagogiques affirmés ?

Florence Castincaud