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Plaidoyer pour un cycle troisième-seconde, sans précipitation !

La sortie de classe de troisième constitue le premier grand moment de l’orientation scolaire. Jusque-là, sauf quelques rares cas particuliers d’élèves orientés vers des classes spéciales à divers paliers antérieurs (ULIS, EREA, SEGPA, classes de troisième préparatoires aux formations professionnelles…, représentant moins de 3 % des effectifs du collège, la scolarité s’est déroulée durant quatre années, sans que la question de l’orientation ne survienne véritablement.

Si on regarde les statistiques d’orientation en fin de troisième, on constate plusieurs tendances :

  • Une nette réduction des taux de redoublement. On est passé de 10 % en 1996 à 3,5 % en 2013.
  • Autre tendance forte, mais moins spectaculaire : l’augmentation des taux d’orientation vers la seconde générale et technologique, qui s’accompagne logiquement d’une diminution des taux d’orientation vers la voie professionnelle (de 56,7 % en 2000 à 62,8 % en 2013).
  • Les sorties du système éducatif se maintiennent hélas à un haut niveau, avec cependant une légère tendance à la réduction depuis 2005 (on est descendu sous la barre des 10 %).

 

Une nécessaire préparation des esprits en amont

Pendant longtemps, on a attendu d’être en classe troisième pour se préoccuper des problèmes d’orientation. C’est aussi bien vrai pour la plupart des familles que pour les professeurs et responsables des collèges. L’idée s’est progressivement installée qu’il convenait de changer la donne et de mettre en place, au sein de chaque collège, une préparation des esprits, dès l’entrée en sixième, au minimum à partir de la classe de cinquième.

De plus, on a trop longtemps raisonné en terme d’orientation principalement scolaire, perdant de vue le fait que pour un bon quart des familles, l’orientation conduisant à la voie professionnelle, il fallait bien s’efforcer d’introduire une dimension professionnelle dans les éléments à analyser. Les élèves de troisième bénéficient certes pour cela du désormais bien installé stage obligatoire en milieu professionnel, mais chacun convient aujourd’hui que c’est largement insuffisant. A cet égard, on s’est trop longtemps (et on continue hélas de le faire très fréquemment) servi de l’orientation vers la voie professionnelle comme un moyen de fixer le sort des élèves dont le bilan scolaire est jugé insuffisant. Et cet aspect des choses a eu tendance à se renforcer du fait que l’on peut de moins en moins le faire en usant du redoublement. Or, compte tenu de ce que sont les contenus des enseignements dispensés au collège, presque uniquement composés d’enseignements généraux, le « bon » élève est défini comme étant celui qui réussit dans les enseignements généraux.

L’idée est donc venue de développer une approche progressive de l’orientation, abordant dès la classe de sixième (cinquième au plus tard) une réflexion qui englobe les dimensions scolaires (découverte des itinéraires de formation) et professionnelles (découverte du monde du travail et des professions) et se déroule tout au long des années collège et lycée. C’est le concept de « parcours d’orientation scolaire et professionnelle » et du dispositif PDMF (Parcours de découverte des métiers et des formations) permettant la découverte des métiers. Se met en place actuellement le désormais nommé « parcours d’avenir », inscrit dans la loi de refondation (sous le terme « parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel » – PIIODMEP).

Vers un cycle troisième/seconde ?

Compte tenu de l’évolution des taux de redoublement en fin de troisième, certains proposent qu’il soit mis fin à la possibilité d’imposer un redoublement à ce niveau de scolarité. Les arguments ne manquent pas : baisse tendancielle forte du redoublement, amélioration des possibilités de soutien tout au long des années lycées (accompagnement personnalisé), inefficacité du redoublement pour une trop forte proportion des élèves, coût du redoublement qui mobilise des moyens qui pourraient être mis au service d’un meilleur accompagnement personnalisé des élèves… Ajoutons que dans son article 37, la loi sur la refondation de l’école du 8 juillet 2013 stipule que « le redoublement ne peut être qu’exceptionnel ».

C’est ce qui a conduit le ministère à lancer, en septembre 2013, une expérimentation concernant près de 180 collèges, autour de l’idée d’une « orientation choisie plutôt que subie ». Il s’agissait de transformer ce qui pouvait être une décision appartenant aux responsables du collège (éventuellement susceptible de recours en commission d’appel) en simple proposition, le choix final revenant à la famille. Bien entendu, cette dernière ayant le choix de la voie d’orientation, l’expérimentation s’est accompagnée d’un renforcement du dialogue, afin de responsabiliser les familles dans leur choix.

Au terme de la première vague d’expérimentation (une seconde expérimentation est en cours de déroulement), un rapport a été rédigé que fort prudemment, le ministère n’a pas diffusé, le constat dressé n’étant pas favorable à une généralisation immédiate de cette formule. Il faut bien reconnaitre que, pour une importante partie des familles, le dialogue n’a guère eu d’effet, le choix d’orientation vers la seconde générale dépassant les 84 % (alors que le taux national moyen est de 62,6 % en 2013). Cela a eu pour effet de détourner de la voie professionnelle une très forte partie des élèves, leurs familles n’ayant opté pour une telle orientation qu’à raison de 15 % d’entre eux. Quant aux propositions des conseils de classe d’opter pour un redoublement volontaire, compte tenu du mauvais bilan scolaire constaté, il n’a été suivi d’effet que pour… 1 % des élèves, cinq fois moins que le nombre de ceux à qui cela était suggéré ! Bref : c’est un échec, ce qui explique sans doute la non publication du rapport, et le fait que le texte de réforme du collège n’évoque pas ce principe.

Rappelons qu’en l’état actuel de l’organisation des diverses voies d’études en lycée, l’orientation vers la voie professionnelle (CAP ou bac pro, sous statut scolaire ou par l’alternance) se décide dès la sortie de troisième, alors que pour la répartition entre filières technologiques et générales, il faut attendre la fin de l’année de seconde. Si on laisse aux familles le soin de décider du choix entre seconde générale et technologique ou seconde professionnelle, il est certain qu’elles opteront très majoritairement pour la seconde générale et technologique, décapitant du coup les flux d’élèves vers l’enseignement professionnel. Pour régler cette difficulté, une mesure simple peut être prise à court terme : il suffit que le choix de l’orientation vers la seconde générale et technologique ou la voie professionnelle continue d’appartenir aux conseils de classe et chefs d’établissements, la famille gardant bien sûr le droit de continuer de pouvoir faire un recours en commission d’appel.

Mais il est possible d’imaginer une autre formule, qui pourrait être mise en œuvre à plus long terme : la constitution d’un cycle « troisième/seconde », avec suppression de la seconde professionnelle (mais pas des CAP en deux ans), et le report à l’entrée en première professionnelle du commencement de la voie professionnelle. Cette formule aurait plusieurs avantages ou conséquences :

  • Mise à parité des trois voies du lycée (générales, technologiques et professionnelles) qui se dérouleraient en deux ans (première et terminale), après une seconde qui deviendrait une « seconde G/T/P », la même pour tous, une certaine dose de différenciation étant permise par des enseignements optionnels d’exploration dont certains pourraient être de nature pré professionnelle, s’ajoutant à ceux d’aujourd’hui, qui sont de nature technologique ou générale.
  • On prolongerait ainsi d’un an le socle commun de connaissances qui irait jusqu’à la seconde incluse.
  • Ce qui présenterait l’énorme avantage de laisser aux familles une année de plus afin de déterminer un éventuel projet d’orientation vers une filière professionnelle (ou autre).
  • Et permettrait de transmettre aux professeurs de seconde le soin d’organiser la répartition des élèves entre les trois voies.
  • Du coup, dans les collèges, on reconstituerait un cycle « cinquième/quatrième ».
  • On assisterait à l’émergence d’un profil professionnel nouveau qui serait celui d’un « professeur référent » ou « préfet des études » ou « adjoint du chef d’établissement », chargé spécifiquement de la liaison 3e/seconde.

Une telle réforme se heurterait cependant à une importante difficulté du côté des lycées professionnels. Ces derniers viennent à peine d’éponger les conséquences très rudes de la réforme du lycée professionnel, passé de quatre à trois années, avec toutes les conséquences que l’on a vécues (et continue souvent de vivre) en termes de gestion des ressources humaines. Voilà pourquoi imposer une nouvelle réforme qui ferait passer la voie professionnelle de trois à deux ans, si peu de temps après celle qui avait conduit à passer de quatre à trois années, serait un choc très important, face auquel les personnels (et notamment les personnels enseignants), pourraient se montrer beaucoup moins dociles que lors de la réforme précédente.

C’est sans doute la raison pour laquelle un tel changement n’est pas inscrit dans le texte de réforme du collège qui vient d’être édicté. Notre sentiment est que cela ne se fera que progressivement, par incitation (expérimentation fondée) plutôt que par obligation. Il suffirait pour cela de s’appuyer sur l’article 34 de la « loi Fillon ». Nous faisons le pari que c’est de cette façon que, progressivement, la mise en place d’un cycle troisième/seconde va se mettre en place dans les établissements du second degré. Dans certains d’entre eux, c’est déjà fait !

Bruno Magliulo
Inspecteur d’académie honoraire

Article rédigé à partir d’une conférence faite dans le cadre d’une journée de réflexion organisée par le Secrétariat général de l’enseignement catholique, sur le thème de « la liaison troisième/seconde ».

Le blog de Bruno Magliulo : http://conseilsdeclasse.letudiant.fr

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