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Pires que les élèves !!, le journal de bord d’un prof du Nord

On ne sait trop que penser de ce singulier ouvrage, qui apparemment fait un tabac dans la région Nord et qui se veut une sorte de contrepoint aux trop nombreux livres qui matraquent les élèves « mal élevés, grossiers, violents » et incultes, comme l’indique l’auteur en colère contre ces représentations qu’il estime souvent entendre dans les salles de profs, entre autres. L’ouvrage se présente sous la forme d’un double récit d’un élève fictif Victor, véritable tête de turc à l’école, devenu ensuite prof d’anglais dans plusieurs établissements de la région et qui retrouve alors des situations équivalentes, de l’autre côté de la barrière.

D’un côté, on s’irrite d’un côté sensationnaliste d’anecdotes plus consternantes que savoureuses sur les méfaits de certains professeurs qui aiment « casser » les élèves et n’ont aucune conscience professionnelle, préférant dénigrer systématiquement l’Éducation nationale, ou les parents, ou les jeunes d’aujourd’hui. plutôt que d’examiner leurs responsabilités. Et la répétition de ces aberrations, tout le long du livre, donne une impression de malaise, même si chacun de nous peut témoigner en avoir connu. L’auteur a beau préciser que la proportion de brebis galeuses est faible et que la plupart des enseignants font bien leur métier, l’accumulation d’horreurs présentées (souvent autant de « fautes professionnelles », d’ailleurs) dans ces multiples micro-récits, sans analyse pour mettre de la distance, dresse un tableau bien noir de l’école côté profs, malgré la figure sympathique de certains. On fera crédit à l’auteur qu’il ne s’idéalise pas, dévoile son côté impulsif qui lui vaut de se mettre à dos ses collègues  (faut-il toujours être « franc » ?), surtout quand il semble « faire la morale » à certains. Mais on aurait aimé parfois plus de mesure et surtout donc ces éléments d’analyse qui manquent au livre (qu’on trouve magistralement exposés dans l’ouvrage de Pierre Merle, L’élève humilié). Fallait-il près de 400 pages pour déverser une amertume qu’on peut comprendre, mais qui a ses limites ?

D’un autre côté, on ne peut aussi facilement refermer le livre en le réduisant à un règlement de comptes ou à un libelle facile. Comme le dit l’auteur, pour une fois, ce ne sont pas les élèves ou l’école comme institution qui sont accusés de tous les maux. Certaines attaques crispées contre les pédagogies actives et progressistes, certains comportements d’enseignants, et une certaine omerta vis-à-vis de ceux qui peuvent abuser d’un système qui reste très protecteur, quoi qu’on dise, tout cela pourrait justifier l’existence d’un tel pamphlet qui ne va pas faire des amis à notre collègue.

Faut-il terminer platement ce compte-rendu par le fameux « ni cet excès d’honneur, ni cette indignité » ? A l’image du second point d’exclamation qui accompagne le titre du livre, cette habitude agaçante qui se répand, hélas, on a parfois l’impression d’un livre « facebook » sans doute facile, écrit à l’emporte-pièce, avec un soin éditorial rudimentaire, et qui manque de nuances. On reste dans la polémique et la dénonciation et on risque d’être contre-productif vis-à-vis du milieu enseignant ou d’alimenter une presse anti-fonctionnaires. De plus, il nous parait plus que discutable de laisser penser comme il est dit dans la dédicace de l’ouvrage, qu’il y aurait opposition entre être professeur et « être plus humain ». Il s’agit bien d’accorder dans ce métier sur lequel on noircit tant de pages des dimensions différentes qui peuvent être en tension : humaine, professionnelle, citoyenne.

On souhaite en tout cas que l’auteur ait rencontré dans son nouvel établissement, qu’il évoque à la fin et dont il ne parle pas, des occasions de travailler en équipe, dans un climat serein, avec des collègues qui n’accablent pas les élèves et font honneur à un des plus beaux métiers du monde…

Jean-Michel Zakhartchouk