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Peut-on se former à travailler collectivement ?

Du château fort à …l’offensive collective !

Les établissements fonctionnent comme des châteaux forts : chacun se considère comme une entité isolée, avec une idée très arrêtée de son rôle et de celui du voisin. Les groupes d’acteurs – personnels, parents, élèves- avancent des intérêts divers, voire divergents. Ce cloisonnement, ces stratégies individualistes sont sources de dysfonctionnements, d’incohérences, de souffrances, et aussi d’exclusion, souvent silencieuse, des plus fragiles ou des plus isolés.
Peut-on donner l’envie de s’impliquer dans un travail collectif ? Comment ?
Les résistances sont fortes et chacun perçoit les risques encourus et les dérives possibles ; s’engager dans une telle démarche demande de l’énergie et du temps pour un bénéfice somme toute… hypothétique.
Quelles conditions faciliteront l’élaboration d’une réflexion et d’une action communes ? Quelle organisation permettra de poser des questions et de construire ensemble des réponses ? Mais aussi de dépasser la tentation d’équipes « fusionnelles » ou fortement affectives qui semblent, pour certains, être les seules possibles ?
Voici comment nous avons tenté d’engager la réflexion sur ces points avec les treize participants qui étaient de statuts divers : enseignants en collège, en lycée et en structure de soins, enseignants documentalistes en public et privé, CPE, directrice de SEGPA.
En lisant ce déroulé de formation, on se souviendra qu’il a eu lieu dans les conditions particulières des Rencontres CRAP, avec une résidence de cinq jours et au milieu de nombreux autres temps d’activités communes : un ensemble qui crée une atmosphère de partage toute particulière.

Temps 1, 2h : cherchez la politique…

Après un bref moment pour faire connaissance, les participants formulent par écrit une ou deux choses qu’ils aimeraient faire à la rentrée pour contribuer à construire le collectif dans leur établissement. Chacun lit s’il le souhaite, puis affichage pour mémoire sur un mur de la salle.

Ils répondent ensuite individuellement à ces questions :
Y a-t-il, là où vous êtes, une politique d’établissement ?
Est-elle formelle ou en actes ?
A quoi se voit-elle ?
Si c’est une politique implicite, ou même cachée, pourquoi cette situation ? A quoi percevez-vous cette politique ?

Après ce temps individuel, des groupes de trois se retrouvent pour échanger brièvement.
La mise en commun collective ne récapitule pas toutes ces données, elle propose plutôt de les réorganiser pour faire apparaître, au tableau, ce qui fait tendre une politique d’établissement vers plus de partage et de collectif, et ce qui au contraire renforce ou même crée de l’individualisme. Dans la première catégorie, des moments de construction d’une culture commune, lors de journées de réflexion par exemple – si elles sont bien pilotées ; le souci de garder la mémoire de ce qui s’est dit et fait, pendant l’année et d’une année sur l’autre ; le rôle facilitant du pilote et son souci d’accompagner les actions…
Dans la deuxième, l’absence de discussions politiques, de fond, sur les orientations de l’établissement – à l’occasion par exemple de la création de filières d’excellence dans un collège ; l’absence d’analyse lors d’un événement marquant ; le refus plus ou moins avoué de l’évaluation des actions ; une information mal structurée ; des instances officielles qui se vident de leur sens….

Temps 2, 3h : réflexions impertinentes pour être déniaisé

Avant d’enfourcher notre cheval de bataille, il faut cependant accepter de ne pas être dans la croyance aveugle. Les partisans de l’individualisme n’ont-ils pas leurs raisons ? Est-il si sûr que le collectif soit efficace ? En travaillant collectivement, que gagne-t-on ? Que risque-t-on ? Un ensemble d’individus de bonne volonté menés par un despote éclairé, ne serait-ce pas la moins mauvaise formule pour un établissement ?
Les participants sont répartis en 4 groupes ; à chacun est attribué un texte différent (voir références). Après un temps de lecture, échange sur le contenu du texte, et ce qu’on en retient pour la problématique de l’atelier.
Puis un temps d’intergroupes : chacun se retrouve avec trois autres personnes qui ont lu des textes différents. Chacun présente son texte, les arguments qu’il donne à propos du travail collectif.
Les participants qui ont ainsi rassemblé une certain nombre d’analyses sont répartis aléatoirement (il faut vraiment que ce soit un tirage au sort) en deux équipes : A va promouvoir le travail collectif, B va en montrer les limites et dangers.
Quand les deux équipes disposent de tout leur corpus d’idées, elles désignent en leur sein trois « débatteurs » et l’animateur de la formation demande aussi qu’un participant joue le rôle de facilitateur (neutre) de la discussion. Pendant ce moment qui dure de 20 à 30 minutes, un débatteur peut à tout moment être remplacé par un autre de son camp, qui fait un signe pour se manifester.

La situation proposée, qui ne doit pas mener à la caricature, est celle d’un groupe d’enseignants à la veille d’une journée de réflexion banalisée pour élaborer des actions à inscrire au projet d’établissement. Ils sont en salle des professeurs et la discussion s’engage sur l’utilité de cette façon de faire.
L’échange est nourri par les textes lus juste avant, par les échanges et par l’expérience personnelle des participants. Il a fait, cette fois-là, apparaître le sérieux des arguments des « contre »…

La séance se termine par un bref bilan écrit personnel et éventuel échange, sur le thème : qu’est-ce que le moment de travail de ce matin a fait bouger dans nos façons de voir ?

Temps 3, 2h : un échec à la loupe

En voulant aller vers plus de collectif, on va sans doute trouver des actions relativement consensuelles (par exemple sur des modalités d’accueil de rentrée) mais aussi rencontrer des points sensibles. En cas de difficulté imprévue, voire de blocage, analyser ce qui se passe et envisager plusieurs champs d’explication qui « font système » est probablement indispensable.
Pour s’y entraîner, nous proposons un temps d’analyse de pratiques : Cette situation de travail commence à être bien connue en formation, avec des bonheurs divers qui tiennent aux participants comme à la façon dont elle est menée. Ici, la proposition de classer, à propos d’une situation précise et singulière, les hypothèses explicatives au fur et à mesure qu’elles sont énoncées, de voir dans quel champ elles se situent, a été nouveau et formateur pour les participants. Elle permet à chacun d’identifier les champs qu’il privilégie et ceux qu’il néglige, et de comprendre comment font système les différents paramètres d’une action.

Temps 4, 4h : il y a en qui réussissent, mais comment ?

Nous avons demandé, à ce moment de l’atelier, le témoignage d’un professeur de collège où le travail collectif est une composante forte de la culture d’établissement. Dans ce collège RAR (réseau ambition réussite) d’une zone très défavorisée de Nantes, une équipe stable s’est donnée, en réorganisant le temps, des temps de concertation hebdomadaire, plusieurs journées de formation communes par an, des temps de travail de fin d’année et de début d’année. On y met au point des modes et outils de travail commun (accueil des élèves, liaison avec les parents, gestion des moments difficiles, part interdisciplinaire des apprentissages…) qui sont régulièrement revus et modifiés. Ce qui s’élabore et se vit collectivement dans l’établissement devient ainsi aussi et peut-être plus important que ce qui se vit dans la classe.
Sans doute loin de cette situation « exemplaire » (mais qui ne se présente nullement comme idyllique), nous connaissons cependant dans nos établissements des dispositifs ou actions collective, ne serait-ce qu’une, modeste ! (à distinguer, à ce moment de notre travail et pour que ce soit plus clair d’actions d’équipes fondées d’abord sur des amitiés ou affinités) : qu’est-ce qui fait vivre et durer cette action ? Qu’est-ce qui risque de la fragiliser, la menace ?

La mise en commun de ces éléments vivifiants ou menaçants est suivie d’un classement au tableau par les animateurs et le groupe. On voit apparaître par exemple que, là où l’on n’est pas sûr que des valeurs communes existent (les collègues ne sont pas d’accord, au fond et sans le dire, pour que le collège unique accueille tous les élèves), le chef d’établissement peut passer, pour faire exister une action collective, par la stratégie de l’intérêt personnel et collectif : si telle action, par exemple des exclusions de cours, permet d’apaiser la situation, tout le monde y trouvera son compte et les idées pourront évoluer.

Temps 5, 3h : le Conseil pédagogique en action

Après avoir vu un extrait du document vidéo « On n’est pas des bouffons »[[On n’est pas des Bouffons, un documentaire de Hubert Brunou, 52′.

Portraits croisés de bons élèves d’un collège « difficile » de la banlieue parisienne. Participer aux cours, répondre au professeur, vouloir réussir, c’est prendre le risque de se faire traiter de « suceur », ou de se faire exploiter par ses camarades. Certains réagissent, d’autres laissent faire et subissent. Voir sur le site : http://www.lahuit.com/catalogue ]], les participants se mettent en deux groupes qui reçoivent la consigne suivante.
En novembre, le CPE apprend qu’un bon élève, frappé à la sortie du collège, est allé s’inscrire ailleurs.
A la faveur des confidences de certains élèves, il découvre que ce cas n’est pas isolé. Le chef d’établissement, informé, décide qu’il s’agit d’une question qui concerne tout l’établissement et réunit le Conseil pédagogique pour lancer l’action collective. Vous êtes ce Conseil. Imaginez tout ce qu’il peut proposer.
Les animateurs regardent travailler les deux « conseils » : Les propositions des deux groupes, lues par le rapporteur, sont mises en commun au tableau sur un axe du temps qui va du mois de novembre de l’année 1 à la prérentrée de l’année suivante, et plus si nécessaire. Au-dessus de l’axe, on inscrit les actions ; au-dessous, les acteurs concernés. La richesse des propositions est grande, et on « voit » aussi les oublis (inévitables dans cette simulation) de la réflexion : les parents ont-ils été impliqués ? L’action de l’année 1 est-elle évaluée à un moment ? A-t-on voulu d’emblée travailler sur tout le collège ou sur un niveau jugé prioritaire ? Un deuxième bilan est ensuite fait, cette fois sur le mode de travail. Les participants eux-mêmes reviennent sur la façon dont ils se sont mis au travail, la difficulté à cerner le sujet et la tâche, la nécessité, après un inévitable temps de flou, de se donner une méthode. On pointe les dérives toujours présentes qu’il faut anticiper : la parole qui part dans tous les sens, la voix minoritaire qui n’est pas entendue, la décision dont personne n’est satisfait… Et tout ce qui fait avancer : l’écoute, la distribution de la parole, la reformulation du problème… et l’acceptation des moments difficiles.

Temps 6, 45 min.

Bilan et perspectives individuelles. Chacun reprend son écrit du tout début de l’atelier et voit ce qu’il envisage maintenant de faire en retrouvant mon établissement. Les participants se mettent à deux pour soumettre leur réflexion au regard d’un autre.

Temps 7 ; 15 min : évaluation de l’atelier

Par écrit, puis par échange oral, les participants disent s’ils le souhaitent leur bilan de ce temps de formation.


Documents utilisés dans l’atelier :
Cahiers Pédagogiques n°367-368, octobre 1998, Apprentissages et socialisation ; article de Michèle Amiel et Dominique Marchand, « Un sacré pari… »
– Extrait de « Dissidence et discordance : lorsqu’une équipe avertie en vaut deux » Monica Gather Thurler, dans : Lettre d’Equipes et Projets, nº 10, janvier 1996.
– Extrait de « Travailler en équipe pédagogique : résistances et enjeux » Philippe Perrenoud, Faculté de psychologie et de sciences de l’éducation, Université de Genève, 1993
– Extrait de Christian Morel, « Vices et vertus de la décision collective, une approche sociologique »,
http://www.journaldunet.com/management/dossiers/050269decision/morel.shtml

Michèle Amiel, proviseur de lycée.
Florence Castincaud, enseignante en collège.