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Peut mieux faire – Mon enfance vue par l’Éducation nationale

Le dictionnaire Le Robert donne plusieurs définitions au mot « auteur ». Je ne retiendrai ici que les premières. « Auteur » désigne d’abord une « personne qui est la première cause (d’une chose), qui est à l’origine (d’une chose) », ensuite si on lui ajoute la préposition « de », « auteur de » (un livre par exemple) désigne « la personne qui a écrit » (ce livre). Dans la première acceptation, Jean-Baptiste Alméras est bien « l’auteur » de ce livre, mais pas dans la seconde, car il n’en est pas le rédacteur, comme il le précise en quatrième de couverture. En effet, grâce à sa mère qui « a eu la bonne idée de récupérer [son] dossier scolaire auprès du Rectorat », il rassemble « sans le moindre commentaire » (p. 42-43) les appréciations rédigées par ses instituteurs et professeurs, publiées dans l’ordre chronologique de leur rédaction. On lit ainsi un ensemble de phrases écrites entre 1973 et 1988 par des auteurs restés anonymes. On suit le parcours scolaire d’un jeune francilien itinérant qui passe successivement sa dernière année de maternelle à Nogent-sur-Marne (94), puis du cours préparatoire à la sixième à Verrières-le-Buisson (91), et de la cinquième à la Terminale à Sceaux (92), où il est « refusé » au baccalauréat. Il l’obtient l’année suivante en candidat libre après une année au lycée de Sèvres (92).

Ce petit livre amuse ou agace selon que le lecteur s’identifie à l’élève ou aux rédacteurs de ces commentaires. Il me semble important de resituer ces commentaires dans le contexte dans lequel ils ont été rédigés. Le parcours scolaire de J.-B. Alméras est relativement classique à l’époque de « la seconde phase d’accélération de la massification »[[F. Dubet et D. Matucelli. (1996). Sociologie de l’expérience Scolaire. Paris : Seuil.]] qui commence à la fin des années 70, et où un jeune sur trois atteignait le niveau du baccalauréat. Les appréciations compilées dans ce livre ont été rédigées par des enseignants dont on sait qu’ils ont été les acteurs de cette évolution bien souvent malgré eux. Les bulletins et les livrets scolaires peuvent être envisagés, dans cette perspective, comme le lieu de l’expression d’une plainte contre des élèves dont une partie de leurs professeurs pensaient qu’ils n’avaient rien à faire au collège ou au lycée puisque ces mêmes élèves n’y auraient pas trouvé leur place quelques années auparavant. Cette contextualisation doit permettre de donner au débat qui entoure la publication de ce livre sa juste mesure : il témoigne de pratiques dans une institution qui est historiquement datée et qui n’existe plus. Le système éducatif a changé et les pratiques pédagogiques aussi. Nous avons souvent déploré le manque d’imagination et le systématisme des appréciations qui peuplent les bulletins scolaires, tout en proposant des outils pour y remédier[[Dubois, A. et Wehrung, M. (2009). Professeur principal. Amiens : Scéren-Cahiers pédagogiques.]]. La mise en place de nouveaux bulletins scolaires au collège au début des années 2000 visait à changer les contenus des commentaires des enseignants en les invitant à ne plus se limiter au seul constat sur l’élève. Les pratiques d’évaluation ont changé dans les collèges et les lycées dans les vingt dernières années, même si les appréciations sur les bulletins prennent encore parfois la forme de défouloir.

A en croire la présentation de l’éditeur sur son site Internet, Jean-Baptiste Alméras « a été un bébé joyeux, un petit enfant espiègle. Puis il a commencé à fréquenter les écoles et c’est là que ses ennuis ont commencé ». La démarche qui a présidé au projet de réalisation de ce livre semble montrer que l’école n’a en rien émoussé son espièglerie ! Les choix de présentation des phrases écrites dans ses bulletins scolaires orientent nettement la lecture. Les passages mis en valeur donnent l’image d’un élève dissipé, bavard, peu travailleur et visent à mettre en avant « la fabrique d’un cancre »[[L. Cunéo. (2013). « ‘’Peut mieux faire’’ : la vengeance d’un cancre ». Publié en ligne sur le site internet du magasine Le Point : http://www.lepoint.fr/societe/peut-mieux-faire-la-vengeance-d-un-cancre-21-02-2013-1630520_23.php…]]. Pourtant, d’autres choix de mise en page auraient donné à voir un tout autre profil : «bon travail dans l’ensemble ; bien en maths ; travail plus régulier, plus soigné ; bon travail surtout en rédaction ». Certains enseignants semblent avoir tenté de l’encourager, en faisant l’effort de repérer des aspects positifs à la fois dans son travail et dans son comportement. Mais après le passage en cinquième, les appréciations deviennent plus systématiques et plus univoques : est-ce lié aux « ravages de l’adolescence » ? A un changement de collège ? Nous n’aurons aucune explication dans ce livre dans lequel l’auteur ne prend pas la parole. On peut d’ailleurs s’étonner de ce silence qui laisse J.-B. Alméras à sa place d’élève, sujet des commentaires des adultes.

L’absence de commentaires sur ce dossier scolaire retranscrit fidèlement constitue à la fois l’intérêt et la limite de ce livre. Il en fait l’intérêt car le lecteur peut s’identifier à l’élève qui fait l’objet des commentaires des professeurs rassemblés dans ce livre, ou aux professeurs qui ont écrit ces lignes. Il en est la limite car il ouvre à un espace de débat infini sur l’école où chacun est convoqué à sa place d’ancien élève. Tout ancien élève est un expert des relations qu’il a entretenues avec ses enseignants et avec l’école dans la mesure où l’expérience scolaire est toujours subjective et singulière, mais il n’est bien souvent l’expert que de cela en matière scolaire. Les formateurs d’enseignants ont classiquement recours aux bulletins d’élèves comme outil de formation, à condition qu’ils fassent l’objet d’un examen critique, c’est je crois ce qui manque à ce livre.

Arnaud Dubois