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Pédagogue et républicain : l’impossible synthèse ?

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Les lecteurs des Cahiers connaissent depuis longtemps les billets du mois de l’ami Philippe, ces 2 000 ou 3 000 signes pétillants d’intelligence, qu’apprécient tout autant ceux qui veulent réfléchir sur la pédagogie et l’éducation que les amateurs de textes bien écrits, denses, où rien ne semble inutile. Comment ne pas saluer l’initiative de la collection Pédagogie/Essais de publier un florilège de cinquante de ces billets, préfacé par Daniel Hameline, qui classe avec raison Philippe Lecarme comme un « de nos bons philosophes de l’éducation » – tant pis pour la modestie de l’auteur. On trouvera même des inédits (rares textes refusés). L’auteur en commente certains, parfois avec sévérité, mais toujours en assumant ce qu’il a pu écrire à telle ou telle époque. Ils ont tous leur intérêt, mais j’ai un faible pour certains d’entre eux. Par exemple « Mardi, de 8 à 9, salle 106, cours de vertu », ou « Vous me reconnaissez ? » ou encore « L’intelligence est dans les mains »…

L’ouvrage comprend aussi une seconde partie, qui est censée justifier un titre dont on regrette peut-être le second morceau : P. Lecarme revendique haut et clair les deux étiquettes. Il est fermement républicain et toujours pédagogue. La synthèse n’a rien d’impossible !

Dans une soixantaine de pages, l’auteur livre son point de vue sur les débats actuels, notamment celui qui opposerait universalistes et « démocrates à tendance communautaire ». Après avoir rapidement mis en pièces la rhétorique des néo-conservateurs qui dissimule mal un élitisme profond, Philippe Lecarme défend avec une grande force de conviction une certaine idée de l’école républicaine. Il émet des critiques sévères envers les défenseurs d’un multiculturalisme dont un des porte-drapeaux serait Alain Touraine. Je ne suis pas sûr qu’il ne se laisse pas aller à des amalgames contestables (les défenseurs de l’excision ou les disciples d’un Tobie Nathan n’ont rien à voir avec ceux qui adoptent un point de vue nuancé sur le port du foulard à l’école par exemple et surtout sur la tactique à adopter en face de ce phénomène resté marginal). Le passage où l’auteur pourfend les adversaires de l’universalisme abstrait me paraît des plus contestables. À certains moments, je crois lire un défenseur quasi inconditionnel des Lumières, qui oublierait la part d’ombre de celles-ci. De même, l’intégration dite « à la française » me semble idéalisée par rapport à ce qui existe dans d’autres pays (en tout cas, il me semble qu’on peut remettre en cause certains aspects de ce qui se passe dans notre pays sans pour autant souhaiter la voie anglaise, qui sert de repoussoir).

Bref, sur tous ces points, le débat n’est pas clos. Mais c’est le mérite de ce livre de le proposer de façon nuancée, sans la présence de ces anathèmes qui bloquent toute discussion, tout en s’appuyant sur des références solides, notamment chez les auteurs qui parlent de l’islam aujourd’hui. Peut-être d’ailleurs les divergences qui sont exprimées ici concernent-elles surtout les stratégies à mettre en œuvre ; sur le fond, je partage entièrement le refus des néo-tribalismes et l’apologie du débat démocratique. Et sur la phrase finale, je n’ai pas le moindre désaccord : « Comment réinventer chaque jour un universalisme ouvert qui n’efface pas les singularités de chacun mais lui ouvre la diversité plénière du monde et de l’histoire humaine ? »

Au fait, Philippe, à quand ton prochain billet du mois dans les Cahiers ?

Jean-Michel Zakhartchouk


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