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Pas de grand soir pour la rentrée
La circulaire de rentrée : un exercice de style périlleux

La rentrée 2005 s’inscrit dans la loi d’orientation et de programme votée à l’arraché sous Fillon, malgré l’avis défavorable du CSE[[Conseil supérieur de l’éducation.]], l’opposition de la majorité des syndicats et la mobilisation lycéenne. La circulaire de rentrée[[Circulaire n° 2005-67 du 15-04-2005, parue au BO n° 18 du 5 mai 2005.]] en fixe les contours autour de trois grandes orientations que nous parcourrons ici, et dont la troisième nous laisse perplexes… Nous tenterons d’en élucider la portée et le sens !

« Élever le niveau de formation de tous les élèves »

À l’école primaire, priorité absolue est donnée à la maîtrise de la langue. Les nouveaux programmes mis en œuvre depuis 2000 ne sont pas remis en cause : au contraire, il s’agit de les consolider et d’aider les maîtres à mieux se les approprier.

Pas de rupture donc, et pourtant un changement de ton perceptible dans le vocabulaire employé, tout l’art du rédacteur consistant à essayer de concilier les « Anciens » et les « Modernes » : le recours aux « copies et dictées pour garder traces des résumés ou leçons à mémoriser » satisfera les uns tandis que les activités de production de textes, synthèses ou comptes-rendus rassureront les autres… Il en est de même pour la lecture : l’usage de « manuels de lecture […] pour la phase des premiers apprentissages structurés » (qu’en est-il donc des apprentissages seconds ? Auraient-ils vocation à être désorganisés ?) n’exclut pas l’utilisation d’« ouvrages littéraires ou documentaires ainsi que des outils multimédias… » Malice mise à part, une recommandation importante apparaît dont il convient de se féliciter : il s’agit de limiter le recours à la photocopie de documents élaborés par les enseignants, afin de multiplier les moments où l’élève écrit – fût-ce en copiant, tant il est vrai que c’est en forgeant… qu’on acquiert des compétences.

La rénovation de l’enseignement des sciences et de la technologie représente une autre priorité de l’école primaire : on rappelle que l’activité expérimentale de l’élève est la condition d’un réel apprentissage (avec un outil comme le carnet d’expériences qui doit accompagner l’élève tout au long de sa scolarité). L’effort de formation en direction des maîtres doit être poursuivi et développé.

Au collège, la première génération d’élèves ayant bénéficié des nouveaux programmes du primaire entre en 6e : les évaluations diagnostiques ont été renouvelées.
Les réflexions menées autour du collège pour tous ont abouti à la création d’un « nouvelle » 3e à mettre en place dès la rentrée. Elle consiste essentiellement à offrir, à côté des options traditionnelles (latin, grec, langues), une « découverte professionnelle » de trois heures ouverte à tous, dans le cadre d’une carte des options à élaborer. Sur ce dernier point, il conviendra d’être vigilant si l’on veut éviter une géographie sélective : où ira le grec ancien ? Où ira la nouvelle option ?

En outre, un module de découverte professionnelle, de six heures cette fois, sera offert « à des élèves volontaires, scolairement fragiles » dans le cadre d’une carte académique.
Au lycée, un pas intéressant est fait par l’instauration de la nouvelle série sciences et technologies de la gestion (STG) dont le nouveau profil devrait permettre à de plus nombreux élèves de poursuivre des études supérieures (STS, IUT). L’autre changement notable est hélas la suppression en terminale des TPE, alors même qu’ils étaient en passe de transformer, tranquillement mais sûrement, le rapport aux savoirs des élèves et la relation pédagogique entre enseignants et enseignés. La régression est ici manifeste. C’est un des points qui justifient l’opposition de la plupart des acteurs éducatifs. Rappelons ici les milliers de signatures recueillies, en quelques jours à peine, par la pétition que nous avions lancée avec le Café pédagogique…

La voie professionnelle est présentée comme voie de réussite à développer : la voie de l’apprentissage, la mise en place de lycées des métiers, le développement des MGI[[Mission générale d’insertion.]], la validation des acquis de l’expérience, le réseau des GRETA… Tous ces dispositifs sont encouragés dans la perspective d’une formation à continuer toute la vie. Seule question en suspens et que les décrets d’application devront prendre en compte : avec quels moyens ? Les réductions drastiques de postes et de moyens ne semblent pas à la hauteur des ambitions affichées…

Les quatre autres points abordent des problèmes spécifiques comme celui de l’intégration des élèves présentant des maladies invalidantes ou des handicaps. Il s’agit de faire vivre, dans les faits, la loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Pour les objectifs de formation transversaux, on note l’insistance apportée à l’enseignement des langues. Faut-il y voir une tentative de réponse aux faibles résultats enregistrés par notre système en la matière, lors des évaluations européennes ? À l’école primaire, c’est en définitive au niveau du cycle III que les élèves recevront un enseignement régulier d’une heure trente par semaine de langue vivante : mission est donnée aux IUFM de former les nouveaux maîtres à cet enseignement. Un appel à l’innovation dans l’organisation des classes de langues est à souligner : il s’agira de regrouper les élèves en fonction de leurs compétences par groupes de niveau sans tenir compte du clivage LV1/LV2[[Voir notre dossier 437, « Des langues bien vivantes », à paraître le mois prochain.]]… Les langues anciennes ne sont pas oubliées mais dans un style qui traduit une certaine gêne : hommage est rendu à « l’importance des langues anciennes dans la formation intellectuelle des élèves ». Cela dit, les mesures restent de l’ordre de « l’attention particulière à porter à leur implantation »… ce qui ne mange pas de pain et ne comporte aucun engagement précis en la matière…

« Développer l’éducation à la responsabilité »

Le texte s’ouvre sur une invitation à une « vie lycéenne participative et créative » et s’appuie sur les dispositifs de la loi de 89 : renforcer le CVL[[Conseil des délégués à la vie lycéenne.]], le rôle des délégués élèves, les heures de vie de classe dont l’organisation devrait plus souvent incomber aux lycéens eux-mêmes.

Assez vite cependant, cette dimension démocratique laisse place aux urgences du temps. Éducation à la sécurité routière d’abord : à cette fin un examen sera organisé à partir de 2006 pour l’obtention de l’ASSR 1 et 2[[Attestation scolaire de sécurité routière, comme préalable indispensable à la conduite d’un cyclomoteur (ASSR 1) et à l’apprentissage théorique du permis de conduire (ASSR 2).]].

Éducation à l’environnement pour un développement durable ensuite : il ne s’agit pas d’une nouvelle discipline mais de la prise en compte, à partir des disciplines existantes des enjeux économiques, sociaux et environnementaux liés au développement. Croiser les approches disciplinaires, décloisonner : on retrouve là des orientations positives qui permettent d’ouvrir l’enseignement à la réalité complexe du monde, – comme ce fut et est encore le cas pour l’ECJS[[Éducation civique, juridique et sociale.]], instituée après la consultation Meirieu. On s’interroge cependant : quelle cohérence lorsque, dans le même texte, on supprime un dispositif (les TPE) permettant de croiser les disciplines, ayant fait ses preuves, et ne demandant pas mieux que de croître et embellir ? Quelle confiance accorder à ce qui apparaît alors comme un vœu pieux et dans l’air du temps, spectre du changement climatique oblige, sur fond de crise pétrolière ? La suite du texte montre d’ailleurs que l’essentiel est plutôt dans la lutte contre les déviances : tabagisme, drogue, violence, absentéisme. Sur ces aspects, le texte est précis, longuement développé, B.O., décrets et circulaires à l’appui. « Placer la règle au cœur de l’acte pédagogique » dit le texte : nous sommes bien d’accord[[Lire à ce sujet la brochure des Cahiers pédagogiques coordonnée par Michèle Amiel : La règle… il faudrait peut-être qu’on m’explique.]] sur ce principe. Sans doute n’en tirons-nous pas exactement les mêmes conséquences quant aux pratiques à mettre en œuvre dans les établissements scolaires.

« Consolider le pilotage stratégique de l’action éducatrice »

Cette troisième partie, la plus courte, est entièrement rédigée en novlangue dont les mots-clefs sont : objectifs (précisés par des indicateurs ciblés), plan d’action, rapport annuel et budget opérationnel de programme, stratégie. À noter un intéressant « PAP » (soit programme annuel de performance) qui donne un air guilleret à l’ensemble.
Après plusieurs lectures, j’ai cru comprendre que l’entrée en vigueur au 1er janvier 2006 de la LOLF[[Loi organique relative aux lois de finance.]] allait désormais contraindre l’Éducation nationale à être performante… un réseau complexe de pilotes, contrôleurs et autres aiguilleurs du ciel se chargeant d’assurer la liaison avec le Parlement qui évaluera la distance entre les objectifs annoncés et les objectifs atteints grâce à de nombreux rapports.

Un message en clair est néanmoins à retenir : la totalité des directeurs d’école à cinq classes devra bénéficier d’un quart de décharge de service.

Nous apprenons par ailleurs avec satisfaction que « les autorités académiques développeront la pratique du dialogue annuel de gestion avec les EPLE ». Il fallait que cela fût dit.

Marie-Christine Chycki

Une circulaire complémentaire est parue récemment au B.O. (N°2005-124 DU 26-7-2005). Elle annonce la mise en place d’expérimentations, aux contours encore vagues, dans des collèges ZEP, pour permettre l’acquisition par tous du socle commun et un meilleur accès aux filières d’ « excellence ». Pour les PPRE, elle renvoie au site Éduscol… hélas très pauvre sur ce point.