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Pas de côté pour toujours apprendre

Un parcours de vie est un parcours d’apprentissages. Vie professionnelle, engagements associatifs, l’itinéraire de Gérard Marquié est l’illustration d’une saine porosité. Les cloisons sont illusions semble t’il souligner. Qu’est ce qui constitue une trajectoire dans l’univers de l’éducation ? Un bac technologique G3 option commerce suivi d’un DUT carrière juridique ne laisse rien présumer mais complété par des activités d’animation en centre de vacances, alors on en pressent les prémices.

Après, il y eut le service militaire avec l’accompagnement d’appelés dans l’acquisition des savoirs de base en lecture et en écriture puis une expérience d’instituteur suppléant dans un hôpital. Ensuite, son CV mentionne un travail à l’Office de l’Immigration pour veiller à ce que les logements soient aptes à recevoir le regroupement familial. Cette ligne est soulignée d’un astérisque, celui d’un engagement associatif complémentaire pour donner des cours d’alphabétisation. «C’était important de faire les deux en parallèle. J’avais une posture de contrôle en visitant les logements. Les contacts étaient enrichissants et j’avais envie de m’investir pour mieux comprendre ».

L’ouverture vers d’autres cultures, il l’a vécue aussi en accompagnant des voyages à l’étranger avec les auberges de jeunesse. Il se souvient de ce circuit-expédition d’un mois en Équateur où il avait remplacé au pied lever un « collègue » sans parler un mot d’espagnol. « C’était une expérience extraordinaire où j’ai appris à m’appuyer sur les potentiels du groupe ». Dans la partie formation, des lignes s’inscrivent  un DEFA (Diplôme d’État aux fonctions d’animateurs) et une maîtrise en sciences de l’éducation: À la rubrique « activités bénévoles », on lit aussi des années passées à animer des associations locales de la FCPE au gré de la scolarité de ses deux garçons, une clé encore à son trousseau pour mieux lire les différentes acceptions du terme éducation.

Alors, depuis 2002 qu’il fraye à l’INJEP, le doux mélange du professionnel et de l’engagement personnel éclaire les observations et les évaluations des politiques publiques qu’il mène. Là encore, le pas de côté pratiqué vis-à-vis de l’école, au sein de l’éducation mais à l’extérieur de la sphère scolaire, amène le recul nécessaire pour garder l’équilibre dans un exercice critique et constructif. L’Institut est un organisme sous la tutelle du ministère chargé de la jeunesse qui conserve toutefois son autonomie avec un conseil d’administration qui lui est propre et un conseil scientifique garant de son indépendance scientifique.

La mission de Gérard Marquié est l’étude et l’évaluation sur des questions traitant de l’information et l’orientation des jeunes et les usages du numérique. La thématique est large et permet de visiter nombre d’axes. Des dernières études qu’il a menées, il cite l’évaluation d’une action dans l’agglomération de La Rochelle autour des rapports entre les jeunes et la justice. Des animateurs des services jeunesse ou centres sociaux locaux interviennent lors de séances de deux heures dans les collèges pour sensibiliser sur ce que sont les lois et amener une prise de conscience sur leur caractère protecteur pour le citoyen. Le protocole choisi concentrait l’évaluation au niveau des impacts sur les jeunes, sur les intervenants et sur les enseignants et acteurs de terrain. Les conclusions ont notamment montré l’utilité de l’action pour transformer la perception contraignante de la loi en une prise de conscience de son but mais aussi des risques pour soi et pour les autres de l’enfreindre.

Évaluation par l'injep de l'action «13-18 questions de justice» s'adressant à des élèves de 4e dans l'agglomération de La Rochelle

Évaluation par l’injep de l’action «13-18 questions de justice» s’adressant à des élèves de 4e dans l’agglomération de La Rochelle


« Les évaluations des actions montrent l’intérêt de s’appuyer sur les expériences locales, d’en souligner les leviers, pour améliorer les politiques publiques ». Une étude sur un dispositif partagé d’information sur l’orientation pour des jeunes de classes de 3e DP3 et DP6 a montré tout le bénéfice d’un décloisonnement entre école et monde professionnel et du travail collectif qui en découle. Une enquête menée sur les rythmes éducatifs à Paris a mis en relief la richesse des paroles récoltées auprès de tous les acteurs y compris, et surtout, des enfants. Leur lucidité l’a étonné lorsqu’ils s’exprimaient par exemple sur la fatigue en s’interrogeant sur les autres activités complétant leurs semaines ou sur leurs heures de sommeil. « Mais il faut rester prudent avant d’extrapoler » précise t’il. Car, il est attaché au sérieux des évaluations, aux protocoles à observer et aux généralisations dont il faut se garder.

Les méthodes d’études, il les a confortées au contact de ses collègues de l’Injep, au fil des années, en lisant, en écoutant, en explorant les questions qui s’imposaient. L’indépendance et la rigueur sont pour lui des ingrédients indispensables pour une observation utile et exploitable. Alors, aujourd’hui, il s’inquiète un peu des projets qui verraient son Institut intégré au ministère chargé de la jeunesse. Quelle garantie d’autonomie resterait-il pour évaluer les politiques publiques ? Une action comme la sienne et celle de ses collègues est un pendant à des enquêtes financées par certains opérateurs privés intéressés par les résultats, par exemple dans le domaine du numérique.

Les injonctions paradoxales observées dans les politiques publiques sont, par ailleurs, pour lui un des freins principaux pour développer plus largement les pratiques du numérique entre discours officiels encourageants et frilosités locales y compris des hiérarchies intermédiaires. Et pourtant, l’éducation aux médias et au numérique s’impose comme une nécessité face à l’hétérogénéité des pratiques. L’ouvrage « L’information des jeunes sur Internet : observer, accompagner », qu’il a dirigé avec Cécile Delessale, relate sept expérimentations menées en France. Il démontre que les pratiques évoluent rapidement, associant virtuel et physique et qu’il y a nécessité d’accompagner les professionnels pour mieux intégrer ces nouvelles pratiques.

Rencontre entre des lycéennes et un étudiant en maïeutique à l'université Paris V, dans le cadre du programme Pollen de l'Essec, évalué par l'Injep

Rencontre entre des lycéennes et un étudiant en maïeutique à l’université Paris V, dans le cadre du programme Pollen de l’Essec, évalué par l’Injep


Penser les usages nés du numérique amène une nouvelle relation avec les jeunes où l’estime de soi a toute sa place. Gérard Marquié cite l’exemple d’un atelier en lycée professionnel où un élève montrait comment il recherchait des informations à un deuxième tandis qu’un troisième filmait. Raconter pour qu’un autre comprenne sous le regard d’une caméra laissait émerger des compétences jusque là tues ou peu valorisées dans l’enceinte scolaire. Cette émergence des savoirs informels par le numérique, cette estime de soi qui renait par des pratiques portées par les élèves, il les a aussi constatées avec des études sur les usages de Twitter.  « Il y a un réel impact sur les jeunes, sur leur valorisation, leur implication et sur l’ouverture vers l’extérieur. Et cela permet une véritable éducation aux médias ».

Sans doute à l’aulne de son parcours fait d’apprentissages et d’engagements, il rajoute tout ce que les enseignants apprennent dans les salles de prof virtuelles qu’ils se construisent avec le numérique. L’éducation ne cesse de progresser en empruntant des chemins de traverse et c’est peut-être dans ces sinuosités en toute liberté que l’école peut trouver sa véritable rénovation. Ou, au contraire, si elle les ignore échafauder ses propres murailles. Et alors, pour mesurer ces effets opposés, nous aurons besoin de pas de côté pour mieux observer.

Monique Royer