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Parents et profs d’école – De la défiance à l’alliance

Il y a quelque chose d’essentiel dans ce livre. Au-delà de l’enjeu annoncé par le sous-titre et qui semble ressasser la sempiternelle question de savoir comment juguler la méfiance des parents autrement qu’en maintenant ces derniers à distance de l’école, on se rend compte, dès les premières pages, que ce dont il est question concerne le sens même de l’école et du métier d’enseignant.
Dans une première partie, Dominique Sénore a choisi de relater les pratiques de trois professeurs des écoles dont le point commun est de mettre au premier plan le fait que l’école instruit des élèves qui sont aussi les enfants de leurs parents.
Évidence ? Pas tant que ça.
Le premier témoignage nous est fourni par une jeune stagiaire surprise d’avoir à entrer dans la classe de CM1-CM2 comme dans un « lieu entre parenthèses, recevant les élèves à neuf heures et à treize heures trente et les expulsant à midi et à seize heures trente sans qu’il y ait eu, dans cette temporalité-là, de contact avec le monde extérieur ». Sa préoccupation est alors de travailler sur la relation que l’on peut établir entre l’imbrication de l’enfant dans le lacis des interactions quotidiennes et son état d’élève. Pour y parvenir, cette stagiaire met en place des dispositifs qui n’auraient rien de novateur s’ils se contentaient de canaliser l’énergie des élèves pour les rendre réceptifs aux savoirs scolaires.
Ce que nous montrent ce témoignage et les deux autres, c’est comment le souci permanent de relier les apprentissages à l’environnement social et familial va de pair avec une vision démocratique de la transmission des connaissances. Démocratique parce que capable de faire progresser tous les élèves à partir de ce qu’ils sont et de ce que le milieu dans lequel ils vivent contribue à leur apprendre. Il faut évidemment, pour cela, se rendre attentif à tout ce qui se passe à l’extérieur de l’école et, particulièrement, mettre en place avec les familles une collaboration qui permette à tous de comprendre et de valoriser chaque réussite de l’élève. L’enjeu est d’établir un lien éducatif qui permette à l’enfant-élève de se construire face à des adultes qui se reconnaissent comme des acteurs complémentaires de sa formation. Il s’agit de rompre avec cette conception qui fait des enseignants et des parents des rivaux inégaux ou, tout au plus, les acteurs d’un complot visant à priver de son enfance l’écolier projeté avant l’heure dans un avenir où on le voit déjà perdant ou gagnant.
La relation de ces trois témoignages montre que l’alliance entre l’École et la Famille n’a rien à voir avec une sorte de doctrine volontariste dont l’objectif est finalement de maitriser les forces qui contrôlent le système scolaire. C’est de l’intérieur même des pratiques pédagogiques qu’apparait ici, de façon éblouissante, la nécessité d’un partenariat apaisant, valorisant et efficace.
La seconde partie de l’ouvrage renverse la perspective. Les trois témoignages sont livrés à la réflexion de quelques personnalités du monde éducatif et des fédérations de parents d’élèves. Il faut bien avouer que le discours de ces interlocuteurs autorisés nous est apparu assez pesamment redondant par rapport à la démonstration brillamment mise en forme par Dominique Sénore. À part un aperçu historique esquissé par Philippe Meirieu, on ne voit guère ce qu’apportent ces considérations générales.
En revanche, il faut lire ce que Céline Suzanne, Rémi Castérès et Yannick Joyeux font aujourd’hui dans leurs classes. Il y a là plus qu’un récit de pratiques. C’est le portrait des instituteurs que voulaient être Pestalozzi et Freinet. C’est le portrait de l’école que nous voulons.

Pierre Madiot