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Où en est l’éducation prioritaire ?

Le samedi 2 décembre a eu lieu à Paris le 10e séminaire professionnel de l’OZP (Observatoire des zones prioritaires). Il y a été question des CP à douze élèves, du pilotage des réseaux, d’innovation et de formation.

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Patrick Picard et Marc Douaire

L’Observatoire des zones prioritaires est une association de professionnels œuvrant dans les espaces circonscrits comme prioritaires au sein de l’Éducation nationale, dans un lien organique à la politique d’éducation prioritaire. Depuis le début, elle scrute avec vigilance les évolutions des politiques dans ce domaine, veillant à ce que les décisions prises par le ministère ne dissolvent pas la spécificité des zones prioritaires (à savoir la concentration de la difficulté dans des périmètres où l’infériorité des résultats scolaires est flagrante) dans le tout venant des politiques de gestion du système.

Elle veille aussi à faire connaître les pratiques pédagogiques qui relèvent les défis, faisant de ces zones des laboratoires d’innovation, comme l’avait souhaité le ministre Alain Savary, lorsqu’il donna en 1981 le coup d’envoi de la politique d’éducation prioritaire. Son site internet rend accessible au jour le jour tout ce qui remonte des réseaux.

L’association organise mensuellement des séminaires thématiques autour de conférenciers, et une fois l’an depuis dix ans une journée de séminaire professionnel pour faire le point. Pilotes et coordonnateurs, inspecteurs, responsables syndicaux et bien entendu « simples » enseignants, y sont cordialement invités. Cette année, où le CP à douze élèves a été introduit à brûle-pourpoint à la rentrée, la tenue de la journée était particulièrement attendue. Elle n’a pas déçu.

Le discours politique de l’OZP

Le président de l’association, Marc Douaire, a ouvert la journée en rappelant ce qui constitue pour l’OZP des éléments déterminants pour la réussite de l’éducation prioritaire :

  1. Nécessité d’une labellisation, sans laquelle il ne peut pas y avoir de politique d’éducation prioritaire. C’est une question qui revient régulièrement, et le Cnesco a dernièrement soutenu le contraire.
  2. Exigence de cohérence et continuité éducative et pédagogique au long de la scolarité obligatoire, pour assurer la réussite des élèves.
  3. Transformation des pratiques professionnelles dans la classe et construction d’un cadre professionnel efficient au sein du réseau d’éducation prioritaire. Cette dimension pédagogique a été reconnue par la politique d’éducation prioritaire il y 10 ans, en 2007, avec la relance de Robien[[Voir aussi dans le site de l’OZP le « Nouveau manifeste de l’OZP pour l’éducation prioritaire », janvier 2007.]].
  4. Pour l’OZP, ces changements appellent des exigences envers l’institution : l’accompagnement et la formation des professionnels ; la reconnaissance des fonctions spécifiques, notamment les coordonnateurs (un temps appelés secrétaires de réseaux) ; la prise en compte des autres tâches que le face à face élèves dans le travail enseignant (une première brèche a été ouverte avec les REP +) et, enfin, la construction de partenariats éducatifs locaux.

Deux facteurs conditionnent la réussite :

  1. La sanctuarisation des ressources de l’éducation prioritaire : postes, formation, crédits, considération. Il faut faire en sorte que, dans le fonctionnement quotidien des académies, l’éducation prioritaire soit traitée comme prioritaire.
  2. Le temps : la construction d’un réseau, d’un projet est un processus long, incertain, cela ne s’accommode pas des ruptures de pilotage, du stop and go. Ce qui a été engagé depuis 2013-2014 doit être poursuivi, souligne Marc Douaire.

Où en est l’éducation prioritaire en cette rentrée ?

État des lieux

Quelques indices : il existe 364 REP+, regroupant 7 % des collégiens et écoliers, dont 293 en métropole, avec des concentrations plus fortes dans les académies de Lille, Créteil, Aix-Marseille, et Lyon. 712 REP accueillent 13% des élèves.

Concernant la scolarisation des moins de trois ans, elle concerne 22% de es enfants dans les REP (10% ailleurs), avec un objectif de 50% en 2019-20.

La concentration des élèves défavorisés en éducation prioritaire perdure.

Aujourd’hui, la question reste ouverte de la volonté du nouveau ministre de poursuivre et accentuer cette politique. Montrera-t-il pragmatisme et bienveillance, ou dogmatisme et défiance ? Pour l’OZP, la déconstruction brutale, sans évaluation, sans audit du dispositif « Plus de maîtres que de classes » est un mauvais signal. Cependant, le référentiel de l’éducation prioritaire (instauré en 2014 après un travail de réflexion auquel l’OZP a participé) est en bonne place dans le site de l’Éducation nationale.

Mais des ambiguïtés demeurent, selon l’OZP, sur l’extension du dispositif du CP à douze; sur le versement de la prime de 3000 € aux personnels ; sur la carte de l’éducation prioritaire : le ministre a annoncé une révision en 2019, comme convenu, en partenariat avec politique de la ville, mais de façon « territoriale » (c’est-à-dire échappant à la décision interne) et particularisée.

La préparation de la rentrée prochaine sera un signe fort de l’engagement du ministère, a conclu Marc Douaire, soulignant l’importance de la pédagogie, des gestes professionnels, de la collaboration avec autres métiers et de l’appartenance des acteurs à un collectif professionnel et enfin l’importance de l’engagement de l’encadrement des établissements et des circonscriptions et de l’administration. Il s’agit de faire vivre les dispositifs.

Le pilotage des réseaux, un casse-tête à travailler

La matinée s’est poursuivie par une conférence de Patrick Picard, du Centre Alain-Savary de l’IFÉ (Institut français de l’éducation) sur le pilotage des réseaux, dimension complexe et souvent méconnue de l’éducation prioritaire. On sait que chaque réseau a deux copilotes, le principal du collège et l’IEN. C’est donc toujours un copilotage articulant les deux degrés. De plus, le pilotage articule les niveaux du local au national. Il oblige donc à prendre en charge des directives et des pressions composites.

Le Centre Alain-Savary a conduit sur la question un travail d’observation et de recherche-formation dans quelques académies, avec des ergonomes, dans l’idée de permettre aux pilotes d’identifier les décalages entre ce qui est « prescrit » et ce qui est « réalisé » ; et d’élever le niveau d’efficience de leurs réponses. Le détail des travaux se trouve sur le site du CAS.

Les recherches sur l’organisation du travail ont permis de dégager quelques invariants. D’abord, les comités de pilotage sont rarement les endroits où le travail se fait réellement. Le travail se fait d’ordinaire dans des espaces informels. Ensuite, il y a fréquemment des dilemmes liés à la superposition partielle entre le pilotage des REP et les instances ordinaires école-collège. D’où la proposition d’une « boussole du pilotage », outil synthétique résumant la situation pour que chaque pilote fasse le point dans le cours d’action.

Enjeux

Les travaux ont porté sur les grands enjeux de l’éducation prioritaire, tels que : la mise en place du cycle 3, la cohérence entre les cycles, les orientations pédagogiques du référentiel, la formation et l’accompagnement dans les réseaux, la relation avec familles, les indicateurs du fonctionnement du réseau, le travail avec les partenaires, les missions du réseau (prévenir la délinquance…). Mais il faut savoir déjà prendre du temps pour repérer le problème qui vaut d’être travaillé…

L’observation invite à relativiser et surtout recadrer les « bonnes pratiques ». En effet, ce qui se passe dans la classe ne trouve pas son origine uniquement dans la classe. Entrent en ligne de compte le contexte et les relations systémiques dans lesquelles toute classe est prise, les interactions entre les différents métiers du réseau.

Ce qui compte, c’est la façon dont les acteurs s’engagent, souligne Patrick Picard. Sous cet angle, changer les pratiques n’est pas un préalable pour un pilote. Le préalable est de « comprendre pourquoi les gens font ce qu’ils font ». Il faudrait centrer le pilotage sur le cœur de la classe. Tout un défi, que la nouvelle recherche Narramus, dirigée par Sylvie Cèbe avec l’IFÉ, entend relever.

Mais il faut arrêter la course en avant à l’innovation. Trois termes sont à ordonner dans le pilotage en éducation prioritaire, et plus largement sans doute dans les projets : observatoire, conservatoire, laboratoire. Pour le Centre Alain-Savary, les trois termes sont ordonnés. Observer d’abord ; puis conserver quand cela parait souhaitable ; enfin seulement innover, trouver d’autres façons de faire répondant mieux aux besoins.

Quid des CP à douze ?

Trois ateliers en parallèle ont suivi le temps en plénière : l’un sur le CP à douze élèves, l’autre sur le pilotage et le fonctionnement des réseaux, et le troisième sur la formation.

Le CP à douze élèves est aussi appelé « CP 100% réussite », ou « CP dédoublé ». Dans la pratique, la formule est mise en œuvre avec peu de variantes. Nicolas Leyri, coordonnateur du réseau d’Orly (Val-de-Marne), a fait un point à chaud sur ce qu’il en est en lançant un questionnaire dans son réseau, qui comporte quinze groupes scolaires. Certains CP sont à douze, d’autres sont conduits par des binômes d’enseignants. Globalement les appréciations sont positives, surtout en raison du temps libéré pour l’individualisation des apprentissages, en particulier en lecture orale. Les enseignants soulignent aussi la meilleure qualité du suivi, vraiment individualisé. Il reste des élèves dont les difficultés ne relèvent pas de l’école. Mais il y a moins de discipline à faire, plus de disponibilité.

Quelles sont les difficultés éventuelles liées à la formule ? Sont évoqués, pêle-mêle, les écarts qui se creusent entre très bons élèves et ceux en difficulté, le risque de sur-étayage des élèves en difficulté, l’impact accru dans le groupe-classe des élèves en difficulté et le risque de culpabilité de l’enseignant, ou encore les difficultés d’échange avec le binôme (qui n’est pas toujours choisi) et le manque de communication avec les autres enseignants qui continuent à vingt-quatre…

Les effets repérés sur les élèves sont positifs : malentendus sociocognitifs plus vite repérés, participation active à l’oral, plus d’espace de parole pour « les petits parleurs », plus de confiance en eux, climat plus serein.

La formule semble avoir un effet décrispant sur les pratiques. Sont mentionnés : plus de différenciation, activités plus ludiques grâce à l’assouplissement de la gestion du temps, plus de libertés conférées aux élèves, un système d’évaluation-remédiation plus personnalisé.

Au total, à la question « Quelle réussite à communiquer à l’extérieur ? », la réponse dominante est que la formule permet un vrai travail de fond avec tous les élèves.

La discussion a porté notamment sur les marges de liberté dans l’organisation des groupes. Les DASEN ont semble-t-il rejeté les alternatives possibles aux groupes de douze. Mais un aménagement ponctuel consistant à libérer pour un temps un des enseignants (dans un contexte où il y avait trois classes à douze) pour observer les autres maitres ou les élèves a pu être autorisé.

Il s’est dit dans l’atelier qu’il serait bien que les maitres des autres classes puissent venir voir comment fonctionnent les CP à douze.

Accompagner pour former, former en accompagnant

Quand j’arrive à l’atelier sur la formation, il a commencé depuis une bonne heure, je vois qu’il il a pour maitre-mot l’accompagnement. Dans toutes les académies existent des formateurs académiques qui peuvent intervenir sur demande ou proposer des actions pour améliorer la réflexivité des professionnels au plus près de leurs pratiques, en complément à et en articulation avec les ressources déjà présentes sur le terrain. On parle de changement de paradigme à cet égard. Il s’agit de partir des réelles questions de terrain, et de « mettre en élan » les acteurs. Les CP à douze sont accompagnés en formation, les équipes des réseaux également. La formation par accompagnement est une des lignes de force de la nouvelle politique d’éducation prioritaire.

Une formatrice académique prend acte des acquis des nouvelles modalités d’intervention : « on fait évoluer les représentations », « on a cherché à construire une ressource à l’échelle de l’académie ». Mais la discussion soulève la question des échelles de l’intervention : « On est aux limites de ce qu’on peut faire pour l’animation à l’échelle de la classe. » Elle ne voit pas à son niveau de possibilité de réguler l’interaction pédagogique elle-même, qui est au cœur du problème. On retrouve ici le même constat que pour le pilotage des réseaux : les formateurs comme les pilotes ont en vue l’agir pédagogique. C’est lui qu’il faut accompagner, mais il demeure caché aux formateurs comme aux pilotes. « La seule ressource (directe) est la coordinatrice de réseau, cette dimension l’intéresse, mais elle manque de temps. ».

Comment organiser l’accompagnement au plus près des professeurs dans le changement de leurs pratiques ? Lorsqu’on travaille en formation sur la classe sans notes et l’évaluation des acquis des élèves, même si les temps de formation ont permis que ces sujets soient dans la tête des enseignants, comment suivre ? Les obstacles sont l’inexistence ou la rareté de l’accompagnement pédagogique au second degré, et les fractures du collectif professionnel : « une partie de la salle des profs encourage, et l’autre attend au tournant  », dit quelqu’un. Ce n’est pas toujours le cas cependant. Un autre participant cite un lycée hors REP, où toutes les classes de seconde sont sans notes. Il y a un accompagnement en formation. C’est l’équipe de sciences (SVT) qui pilote. Ils ont fait un travail d’élaboration des référentiels, « même dans les disciplines dont les cultures sont assez éloignées des référentiels ».

Motivation et autonomie

Si l’on veut que les équipes soient des collectifs de travail, même sans accompagnateur, « il faut qu’elles soient autonomes dans leurs initiatives », dit quelqu’un. C’est ainsi que certaines équipes demandent à être outillées pour s’observer. Une formatrice raconte avoir aidé à faire émerger un protocole d’inter-observation. La question touche à l’évaluation des enseignants, serpent de mer sur lequel l’institution achoppe depuis des années. Du coup, la question se pose de savoir « comment tutorer davantage cette nouvelle culture des profs, notamment à l’université ». Aux ESPE de s’emparer du problème, par conséquent.

En attendant, le travail ainsi engagé en éducation prioritaire « percute les représentations répandues dans l’institution », sur beaucoup de choses y compris sur ce qu’est l’éducation prioritaire !

Obligée de quitter la journée, je ne suivrai pas les débats de l’après-midi, si bien engagés dans la matinée. Ils auront été conclus par les réflexions de Marie-Laure Le Petit, Inspectrice générale, grand témoin de la journée.

Françoise Lorcerie
Directrice de recherches au CNRS (IREMAM), Aix-en-Provence

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