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Oser le travail de groupes ?

« Oser », c’est osé ! Voila un titre qui donne envie, un petit parfum de transgression, un zeste de plaisir interdit, comme une invitation à l’avant-garde. Et oui ! Après tant d’écrits des plus grands pédagogues (l’ouvrage y fait volontiers référence sans pédanterie), tant d’expériences enthousiasmantes (l’ouvrage en regorge des plus ordinaires aux plus exceptionnelles), tant d’injonctions et d’encouragements de l’institution (l’ouvrage distille les passages de rapports de l’inspection générale, des programmes et instructions officielles et du socle commun) le travail de groupe demeure une pratique très minoritaire.
L’ensemble du livre renvoie à la tension qui anime les auteurs comme tous les pédagogues. D’un côté ce sont des révolutionnaires qui considèrent le travail de groupe comme une pédagogie alternative et qui veulent transformer radicalement la classe et le système éducatif. D’un autre côté ce sont des réformistes, ancrés dans le quotidien, qui montrent comment dans des classes ordinaires il est possible d’introduire des moments de travail de groupe pour mettre les élèves au travail, tout simplement. C’est sans doute cette « tentation réformiste » et peut-être quelque obligation éditoriale, qui a conduit les auteurs à choisir pour ce livre un plan très sage.
Jacques Natanson ouvre par un exposé des finalités, il présente le travail de groupe en classe comme l’alternative au modèle autoritaire et, s’appuyant sur le socle commun, il en montre l’urgence et l’actualité pédagogique et sociale.
Dominique Natanson répond ensuite avec rigueur et sobriété à la question « comment ? ». Comment commencer ? Comment constituer les groupes ? Comment choisir le moment ? Comment organiser le travail des élèves et celui de l’enseignant ? Chaque chapitre donne des idées et des exemples qui sont autant de « clés du quotidien » du travail de groupe pour ceux qui voudraient commencer et pour ceux qui, ayant commencé, cherchent à gagner du temps dans leurs tâtonnements pour mieux faire. Et c’est sur le même ton d’évidence et de simplicité qu’il avance des propositions plus osées dans deux directions. D’une part l’association travail de groupe et jeu, formule gagnante pour aborder les questions complexes. D’autre part l’influence du travail de groupe sur l’évaluation : remise en cause de l’évaluation-compétition, introduction d’une évaluation par compétence. Les quatre derniers chapitres de cette partie répondent aux inquiétudes des praticiens face aux « difficultés plus visibles que dans le cours où le silence est la règle ». Là encore se côtoient des recettes pour agir dans l’immédiat et des propositions pour aller un peu plus loin : et si au travail de groupe des élèves se conjuguait le travail de groupe des enseignants ? Et si la formation des enseignants offrait un lieu de construction des compétences d’enseignement par le travail de groupe ?
Dans la seconde partie du livre, intitulée « échos d’une expérience », Isabelle Andriot apporte la dimension vécue, l’illustration des principes énoncés auparavant. Elle montre par exemple à travers une série de beaux portraits monographiques d’élèves comment s’articulent travail de groupe et apprentissage individuel. Et le lecteur est entraîné dans l’aventure !
Que le lecteur ose (à son tour) commencer par la lecture de ces cinquante pages et il sera peut-être inquiet de tant d’incertitudes (sur le travail des élèves, sur ses propres capacités à l’accompagner, sur les effets réels de ce type de travail). Peut-être aussi sera-t-il enthousiasmé par l’exemplarité tranquille qui se dégage de ce récit. C’est bien plus qu’une description de sa façon de faire que nous livre Isabelle Andriot : c’est une plongée dans ses choix et leur motivation. Ce n’est pas le moindre intérêt de ce livre que de montrer que le changement des pratiques, la prise de risque qu’il suppose, sont grandement facilités par un accompagnement qui n’est pas réduit au compagnonnage. C’est un dispositif de formation réflexive, de recherche, d’écriture et de valorisation de l’innovation (dans le cadre du pôle académique de soutien à l’Innovation de l’académie d’Amiens) dans lequel s’est inscrite l’action des auteurs. Osons donc un petit reproche : les lecteurs formateurs d’enseignants auraient aimé que le livre en dise en peu plus sur cette modalité de formation.

Yannick Mével


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