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Sarah Koné : «On écoute la voix des enfants»

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©Stefan Brion pour l’Opéra Comique

Sarah Koné, directrice artistique de la maitrise populaire de l’Opéra-Comique à Paris, nous parle de son parcours et de ses engagements pédagogiques et musicaux.
D’où venez-vous ?

Ma vie est marquée par le métissage, en commençant par celui des deux cultures de mes parents. Mon père est Ivoirien. Ma mère est la fille de Bella Kirman-Malamoud, ancienne déportée d’Auschwitz-Birkenau. Je suis une enfant de la troisième génération de la Shoah. Mon prénom, Sarah, est le fruit de ce métissage ; il essaye de réunir deux familles, l’une musulmane, l’autre juive ashkénaze et communiste. Cette double appartenance m’a donné accès à deux cultures musicales orales importantes dont je suis fière.

Dès l’instant où ma grand-mère est revenue de l’enfer, elle a choisi de témoigner auprès des membres de sa famille, et des enfants et adolescents des écoles. Elle chantait tout le temps, cela faisait partie de ce qui lui a permis de rester en vie. Elle chantait encore la veille de sa mort. Elle m’a engagée dans un cheminement intérieur qui continue maintenant. Il n’y a pas de hasard : elle a mis au monde ma mère, qui s’est intéressée et qui a voué sa vie au monde de l’éducation et de la transmission, qui m’a fait moi, musicienne, chanteuse et transmetteuse. Pour Bella, avoir une descendance qui transmette était une revanche sur les nazis.

Quelle fut votre formation musicale ?

J’ai d’abord suivi à Annecy un enseignement musical basé sur la méthode Dalcroze, une méthode suisse axée sur le corps et le rythme. Très vite, j’ai eu l’impression que la musique n’était que le mouvement, ce qui allait contre le cloisonnement disciplinaire académique français ; on ne danse pas en chantant en chœur ! J’ai ensuite intégré la maitrise de l’opéra de Lyon en 6e, ce qui m’a obligée à quitter ma maison pour vivre loin, avec des horaires contraignants. Après la classe de 3e, je me suis intéressée au chant soliste, j’avais une belle voix. Mais l’enseignement maitrisien ne continuait pas au lycée et l’apprentissage du chant sérieux commence très tardivement en France. Je n’ai eu d’autre solution que d’intégrer le conservatoire de Lausanne. Les Suisses sont, dans cette discipline, ouverts à bien plus de choses que les Français. C’est là que j’ai retrouvé tout ce qui m’avait tant plu quand j’étais enfant. Ce furent trois magnifiques années dans ma vie de jeune musicienne.

Après la terminale, je suis entrée au Conservatoire supérieur de musique de Paris, tout en menant de front des études de lettres modernes. Malheureusement, malgré la relation merveilleuse que j’avais avec ma professeure de chant, je m’ennuyais. Non seulement le monde de l’opéra est sexiste, voire raciste, mais je n’y trouvais pas ce que je cherchais. C’est finalement dans la classe de direction que je me suis épanouie, même si je n’ai jamais envisagé de diriger une formation. Quand j’étais petite, jouer aux Playmobil® était ma passion ! Le Playmobil d’une artiste adulte, c’est monter des spectacles musicaux, construire sur un plateau ! Encore une fois, c’est le métissage, c’est être partout l’enfant qui réunit. Un mémoire de fin d’études m’a fait travailler sur la vulgarisation des pratiques artistiques que j’ai dû expérimenter avec des élèves. La principale du collège Couperin de l’époque, au cœur de Paris, a accueilli mon projet.

Cet établissement était alors le parent pauvre de l’arrondissement, avec un public très hétérogène. Rapidement, mon projet devient militant, se voulant ouvert aux enfants qui n’étaient pas nés dans un chaudron magique. Beaucoup de planètes se sont progressivement alignées en huit années de travail, jusqu’à ce qu’Olivier Mantei me propose de créer la maitrise populaire de l’Opéra-Comique qu’il dirigeait.

Est-ce que le recrutement a changé ?

Olivier était tout à fait d’accord pour conserver ce recrutement populaire. On sélectionne donc sur audition, mais aussi en parcourant tous les ans les classes de REP+ situées aux extrémités des lignes de métro qui passent par Châtelet. On écoute la voix des enfants qui y sont scolarisés, sans regarder leur livret scolaire. Certains découvrent ensuite qu’il y a une ile au cœur de Paris. Ils apprennent dans des lieux qu’ils ne peuvent pas voir ailleurs. Ils font de la danse, des claquettes, de la formation musicale Dalcroze, de la technique vocale, du piano, du chant choral, du théâtre et toutes les disciplines scolaires. L’enseignement se fait par classe mais aussi en groupe multiâge, comme dans l’enseignement mutuel. Ils chantent dans un des plus beaux théâtres d’Europe. Les petits regardent les grands chanter leurs solos avec envie et grandissent très vite.

Comment s’en sortent-ils scolairement ?

J’assiste à tous les conseils de classe ! Pour l’instant, nous n’avons jamais eu d’échec au brevet ou au bac, même si certains enfants partent de loin. Quelques-uns sont à peine lecteurs en 6e, mais ce qu’ils font ici leur donne un gout du travail extraordinaire. S’ils décrochent scolairement, ils viennent tout de même au collège car ils veulent rester à la maitrise, le pot de miel qui les attire ! Ils ne quittent donc jamais l’établissement, on peut les rattraper.

Je travaille maintenant dans une école que j’ai fabriquée, mon rêve de toujours, et je me donne comme mission de prouver au monde entier que le talent de ces enfants est au moins égal à celui de leurs camarades plus avantagés.

Propos recueillis par Jean-Charles Léon


article paru dans notre n°548, Des collectifs enseignants connectés, coordonné par Régis Forgione, Fabien Hobart, et Jean-Philippe Maitre, novembre 2018.

De nombreux champs d’actions du métier enseignant ont été transformés à mesure que l’informatique a envahi les lieux professionnels et personnels des enseignants. Comment définir aujourd’hui ce qu’est un collectif d’enseignants connectés et comment le numérique prend place dans son fonctionnement ?

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/738-des-collectifs-enseignants-connectes.html