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«On a besoin des sciences non pour dicter notre pratique, mais pour l’éclairer un peu plus.»

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– Pourquoi faire un dossier sur ce sujet des neurosciences et de la pédagogie, très controversé ?

Nicole Bouin : Je serais tentée de répondre «Justement parce qu’il y a controverse !» Et nous avons d’ailleurs tenu à ce que des avis divergents figurent dans ce dossier qui est tout sauf consensuel. Quasiment tout y fait débat, du terme «neuroéducation» lui-même au concept de profil cognitif, en passant par les intelligences multiples et même l’utilité que peuvent bien présenter ces recherches pour les enseignants. Il nous a donc paru important de contribuer à la réflexion en fournissant aux praticiens que nous sommes des éclairages multiples, afin qu’ils se fassent leur propre opinion ou qu’ils poursuivent leur réflexion à travers des lectures complémentaires auxquelles nous les invitons.

Par ailleurs, comme l’affirme Eric Gaspar, il est inconcevable qu’un pilote de formule 1 ignore tout du fonctionnement de son moteur, tout comme il est inconcevable que des professionnels des apprentissages ignorent tout du cerveau. De nombreuses recherches montrent actuellement tous les bienfaits que retirent professeurs et élèves de la compréhension de certains processus comme la plasticité cérébrale, l’attention, la mémorisation, le contrôle de la violence…

On nous dit volontiers que les neurosciences n’apportent rien de plus à ce que les pédagogues savent déjà. C’est peut-être vrai mais les preuves scientifiques qu’un climat bienveillant favorise les apprentissages donnent du poids aux valeurs que nous défendons.

Jean-Michel Zakhartchouk : Disons aussi que les neurosciences permettent au moins d’en finir avec des illusions sur la mémoire comme simple enregistreur d’informations ou l’attention limitée à une question d’écoute et d’effort de la part des élèves. Et puis il serait bien prétentieux de la part des pédagogues de penser que l’expérience suffirait pour savoir que faire. On a besoin des sciences non pour dicter notre pratique, mais pour l’éclairer un peu plus.

– Il n’y a donc pas de recette miracle mais y a-t-il des garde-fous contre les neuromythes et les neurocharlatans ?

Nicole Bouin : Certains tentent de tirer parti d’un intérêt grandissant pour la question. Il ne faudrait pas confondre les malhonnêtes qui comptent s’enrichir en vendant des méthodes pour devenir intelligents en dix leçons, les naïfs qui espèrent trouver une solution simple à des problèmes complexes, les expérimentateurs qui cherchent à enrichir leurs compétences et leur pratique… On peut déjà repousser de bon cœur toutes les propositions onéreuses qui se présentent comme miraculeuses. On peut ensuite lire, se documenter et croiser les approches et les points de vue. On peut enfin tester soi-même en se donnant les moyens d’observer des résultats tangibles. Les garde-fous ? L’éthique du métier et l’esprit critique.

Jean-Michel Zakhartchouk : En même temps, il faut une bonne dose de pragmatisme. En pédagogie comme par exemple en médecine, le souci d’efficacité, tempéré par des considérations éthiques, reste essentiel. D’où l’importance d’évaluer les effets d’expérimentations, évaluation difficile car il s’agit d’isoler les effets précis du recours à telle pratique en lien avec les neurosciences du reste (motivation accrue du fait de participer à une expérimentation, etc.).

Nicole Bouin : C’est vrai que quand un enfant souffre de troubles de l’attention, on se sent moins culpabilisé après avoir compris ce qui dysfonctionne chez lui et si cela l’aide à mieux se concentrer et à chercher des moyens de contourner cette difficulté, pourquoi s’en priver ? Si on constate que les préceptes avancés par Steve Masson (l’activation répétée, l’espacement des périodes d’apprentissage, la structuration des contenus, l’entraînement à l’inhibition…) améliorent les résultats, continuons dans cette voie. Sinon passons à autre chose.

– Finalement, est-ce qu’il n’en va pas pour les neurosciences comme pour d’autres domaines de recherche : la difficulté réside surtout dans la diffusion des résultats, de manière à ce que les enseignants puissent les réinvestir dans leurs pratiques pédagogiques ?

Nicole Bouin : En effet, plusieurs contributeurs plaident pour un « maillon » fort entre les chercheurs et les enseignants. Nous avons pu le constater souvent au cours de cette année d’élaboration du dossier, nous ne parlons pas toujours la même langue, les expressions propres aux pratiques des uns n’ont pas de sens pour les autres, ou pas le même sens. Les objectifs, le cadre conceptuel, les références, sont différents. Les uns sont à la recherche d’une vérité scientifique quand les autres visent l’efficacité pédagogique. Journalistes et enseignants, pour des raisons différentes, peuvent être amenés à extrapoler, à généraliser, à caricaturer, à déformer, voire, de fait, à dénaturer les résultats des recherches. On entend parfois dire qu’il ne faut rien mettre en application tant que les recherches ne sont pas terminées. Sauf qu’il me semble que, par définition, les recherches ne sont jamais terminées, elles appellent la controverse et donnent lieu à de nouvelles recherches. Qui sont les pédagogues chercheurs ou les chercheurs pédagogues qui vont permettre un dialogue efficace entre les deux communautés ? Il y a de beaux exemples de ces binômes dans ce dossier, je pense en particulier à Jean-Philippe Lachaux et Thierry Chevallier.

Jean-Michel Zakhartchouk : En règle générale, nous avons eu grand plaisir à dialoguer avec les chercheurs pendant la construction du dossier ; ils ont pour la plupart accepté sans rechigner les coupes dans leurs textes, les reformulations, les suppressions de références bibliographiques trop longues. Un vrai souci de communication les anime, comme en témoignent les vidéos référencées dans l’impressionnante biblio-sito-vidéographie qui est surtout l’œuvre de Nicole dont la culture en matière de neurosciences a été un atout si précieux pour bâtir ce dossier.
Un des prolongements peut en être des formations ou conférences proposées par nous. Rendez-vous par exemple pour les parisiens le 28 mai, en partenariat avec les Savanturiers.
Ce dossier n’est qu’une étape. On n’en a pas fini avec la connaissance de l’acte d’apprendre…

Propos recueillis par Cécile Blanchard