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«Nous en sommes encore à définir notre vision de l’EMI»

Pourquoi faire un dossier sur l’EMI aujourd’hui ? Cela rencontre-t-il les préoccupations des enseignants et des éducateurs au sens large ?

L’éducation aux médias et à l’information est au cœur des préoccupations de nombreux enseignants en particulier depuis les attentats de 2015, mais c’était heureusement le cas de bon nombre d’entre eux avant, notamment autour des questions de discrimination ou de lignes éditoriales. Mais, le grand nombre de propositions d’articles reçues, qui ont malheureusement parfois dues être refusées malgré leur qualité, me confirme que les enseignants de tous les niveaux se sont emparés de l’EMI. Ceci dit, j’ai aussi bénéficié de l’aide du collectif des Cahiers pédagogiques qui m’a permis de demander des articles spécifiques à certains contributeurs. Les appels à faire de l’EMI de chercheurs et de journalistes vont dans le sens général d’une préoccupation qui n’est pas que celle du ministère. L’intérêt rencontré par la Semaine de la presse et des médias dans l’école en 2017 a connu un relais important lors des Assises du journalisme, qui a rappelé qu’il était important pour les journalistes d’aller à la rencontre des enfants dans les écoles et qu’ils ne pouvaient se contenter des plateformes d’éducation aux médias (mais rarement à l’information) mises en place.

Votre avant propos annonce l’éducation aux médias et à l’information comme « un objet enfin identifié ». Que voulez-vous dire par là ?

Il ne faut pas oublier le point d’interrogation à la fin car en fait, on a identifié certains aspects de l’EMI mais il existe toujours un hiatus entre les demandes institutionnelles (celles de l’inspection générale notamment qui propose trois champs d’expertise[[Que l’on retrouve dans la brochure du Conseil supérieur de l’éducation aux médias : « Les compétences en éducation aux médias. 09/2013 disponible sur http://www.educationauxmedias.eu/outils/brochures/csem/les_competences_en_education_aux_medias_cadre_general]]) et celles des chercheurs qui n’arrivent d’ailleurs pas à se mettre d’accord entre eux sur la ou les littératies à mettre en œuvre. On peut s’en tenir à la translittératie, définie ainsi par Divina Frau-Meigs, « regroupe en son sein la triple maîtrise de l’information, des médias et du numérique et englobe la notion d’éducation (à la française, comme dans “éducation aux médias”) et la notion d’alphabétisation (à l’anglaise, comme dans “media literacy”), rendant compte de la double dimension abstraite et pragmatique du phénomène considéré.[[Divina Frau-Meigs, « La radicalité de la culture de l’information à l’ère cybériste », 2012, sur INA-expert http://www.ina-expert.com/e-dossier-de-l-audiovisuel-l-education-aux-cultures-de-l-information/la-radicalite-de-la-culture-de-l-information-a-l-ere-cyberiste.html]] »

Par ailleurs, de par son histoire, l’EMI en France a longtemps été perçue comme uniquement un travail sur les médias, et encore largement aujourd’hui sur l’info-News. Or, il ne faut pas oublier que sur les vingt-sept compétences constituant le référentiel, vingt-et-une sont de l’information-documentation, donc savoir s’informer, trier l’information etc. Heureusement, la nouvelle circulaire de mission des professeurs documentalistes mentionne que « le professeur documentaliste, enseignant et maître d’œuvre de l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias »[[Texte complet en ligne : http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=114733]]. L’intitulé place d’ailleurs en premier la question de l’information et la situe dans les champs des sciences de l’information et de la communication (SIC).

Ce qui explique mes hésitations sur le fait que l’identification est bien là : nous en sommes encore à définir notre vision de l’EMI. C’est de plus en plus clair, mais ce n’est pas encore suffisamment stable pour que des enseignants, souvent volontaires, mais pas toujours au fait des changements réguliers depuis 2013, puissent s’y retrouver.

Y a-t-il une différence à faire entre l’éducation « aux » médias et l’éducation « par les » médias ?

Oh oui ! L’éducation par les médias utilise les médias, l’information, appelée info-news, qu’on prélève, comme un outil d’apprentissage et non comme l’objet même de cet apprentissage. Quand on pratique l’éducation par les médias[[Jacques Piette, « Médias : Les nouveaux enjeux », Vie pédagogique n°140, septembre-octobre 2006. Et l’article de Marlène Loicq dans l’ouvrage de 2015 coordonné par Jérôme Roudier, Médias et cultures en dialogue, L’Harmattan.]] (comme l’utilisation d’articles de la presse papier pour développer la maîtrise de la lecture), on met le média au service de l’enseignement d’une discipline. L’ÉMI vise à permettre entre autre aux enfants de comprendre le discours médiatique, d’identifier la part de partialité dans l’information, y compris quand ce sont eux les créateurs du biais, s’ils construisent un message informatif. Rendre cet apprentissage régulier permet aux enfants de mieux l’appréhender et développer un esprit critique qui évitera la confusion entre info et « infaux ». C’est bien l’information qui se trouve au cœur de l’apprentissage.

Et est-ce que, au-delà des professionnels, des parents peuvent trouver de quoi aborder ce sujet avec leurs enfants, par exemple ?

Tout dépend si on parle d’infos-news ou de s’informer en général. Il suffit de s’informer ensemble, cela paraît simple mais demande de réfléchir aux informations qu’on reçoit et transmet. Pour commencer, l’article sur la lecture d’album donne une piste très simple sur comment vérifier que ce que l’on croit, a lu etc est vrai et ce dès la maternelle. Ensuite, cela paraît évident, mais il faut accepter de parler des infos-news, y compris les attentats avec ses enfants, car, même si on pense qu’ils sont trop jeunes, ils entendent beaucoup de choses. Surtout, ne rien refuser a priori, y compris les théories complotistes, pour comprendre comment son enfant a trouvé une fake new. J’ajouterai qu’il faut savoir être humble, comme doivent l’être les enseignants, en reconnaissant ne pas savoir ou en admettant qu’on a cru à un fake. Cela permet de décrypter ce qui a provoqué notre crédulité : l’émetteur nous apparaît comme de confiance, ou on n’a pas remonté la source, on était prêt à le croire… C’est en s’entraînant et se questionnant avec ses enfants qu’on peut le mieux faire travailler leur esprit critique. Il existe aussi, j’en parlais plus haut, des plateformes d’éducation aux médias et des sites spécialisés dans la vérification de l’information. Enfin, deux ouvrages sont directement destinés à les aider dans cette éducation, Média éducation sous la direction de Divina Frau-Meigs téléchargeable sur le site de l’Unesco mais déjà ancien (2006), et celui du CLEMI, La famille tout écran, qui vient de paraître et est disponible en téléchargement dans l’espace famille du site. Pour l’information-documentation, on peut lire les sommaires d’ouvrages de pâtisserie pour montrer comment on choisit le gâteau à faire, aller avec eux choisir un livre à la bibliothèque, s’inspirer des enseignants en laissant faire leur expertise pour le plus technique.

Propos recueillis par Cécile Blanchard