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Nos élèves descendent dans la rue

Après le 2ème tour

Dans mon lycée de banlieue parisienne plutôt favorisée, c’est le troisième choc de l’année : le 11 septembre puis la guerre en Palestine ont beaucoup fait réagir, les tags antisémites ont fait leur réapparition (il y a une forte communauté juive à Nogent). Le 22, certaines classes se sont massivement mobilisées, d’autres pas du tout. Les élèves se sont rendus aux manifs parisiennes, se sont parfois réunis en AG. Aucune réaction collective de la part des adultes mais des initiatives individuelles plus ou moins raccrochées au cours, en histoire, français, éco : en arrivant le mardi matin, c’est donc l’option que j’ai prise. Et j’ai observé quelques frémissements. Ainsi, les élèves de 1re littéraire (majorité de filles) découvrent l’intérêt de la politique et le loft n’est plus le premier sujet de conversation. Ceux de 1re ES qui doivent depuis un trimestre, à tour de rôle, présenter un article de journal, ont retrouvé un intérêt pour ce moment du cours. Les majeurs ont voté ; les autres, en manifestant, pensent avoir sauvé la démocratie.

Mais que penser de la médiatisation des manifs de jeunes ? C’est toujours « la société du spectacle » que dénonçait Guy Debord il y a vingt ans. Et voilà que tombe cet autre chiffre : les plus de quinze ans passent en moyenne 3 h 17 devant la télévision. Vous avez vu les programmes qu’on nous propose ? Le 1er mai, justement, une seule petite pancarte dans la foule pour dire : « Nous nous réveillons, éteignons la télévision. »

Hélène Eveleigh, professeur de français, lycée de Nogent-sur-Marne (94).


Vu de Belgique

Le royaume de Belgique ; bien qu’il ne soit pas rattaché à la France, est très branché sur les chaînes de TV françaises. Beaucoup de jeunes sont très peu concernés par la politique en général et souvent, ils ne connaissent les hommes politiques que dans la version des guignols.

Des réflexions « Chez nous, ça n’arriverait pas car le vote est obligatoire ! » (et pourtant on a eu un Degrelle en 1933 !) : le vote obligatoire est souvent décrié dans nos cours de citoyenneté et là, il apparaissait comme une planche de salut. Finalement, on reconnaissait la peur qu’on avait entraperçue déjà le 11 septembre : une guerre ou quelque chose de dur peut arriver avec des méchants qui prennent le pouvoir !

Un mouvement lancé par le Conseil de la Jeunesse francophone a fait distribuer des cartes avec le célèbre chat de Geluck : une partie de cette carte servait de pétition où l’on pouvait cocher la case « démocratie ». L’ensemble de ces cartes a été remis officiellement à l’Ambassade de France à Bruxelles. Dans mon école, le mouvement a été bien accueilli par la grande majorité. Évidement, les « autres » n’ont pas trop manifesté leur désaccord sauf par quelques griffonnages et des remarques insidieuses.

Martine Loiseau, Bruxelles.


Un silence frileux

Entre les deux tours, le mouvement des lycéens a surpris par son ampleur et sa spontanéité.

Mais, pendant ce temps-là, qu’a fait le corps enseignant ?

On apprend par la presse nationale que quelques enseignants ont évoqué cette situation dans leurs cours. Certes, ils ont le mérite d’avoir répondu à cette « quête de sens » demandée par les jeunes, mais leur réponse personnelle était-elle la plus appropriée ? Je ne le pense pas.

Notre système éducatif ne semble plus capable d’apporter, quand, comme ici, les libertés fondamentales peuvent être menacées, une réponse collective incluant dans une même participation symbolique élèves, enseignants, personnels, associations de parents d’élèves.

Notre société, fondée sur la réussite individuelle, a généré un système éducatif qui lui ressemble. Si nous acceptons les délégués des élèves et parfois un début de vie associative, cela doit se faire sans mettre en cause la structure globale de notre fonctionnement.

Nous, enseignants, avons donc raté – globalement – un moment historique de notre pays, où notre jeunesse nous demandait de nous positionner et d’affirmer symboliquement, sur le terrain, par notre engagement, les valeurs que nous transmettons.

Gérard Hernandez, collège de Ruffec (16).