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Neurosciences et salle de classe : beaucoup de bruit, peu d’effets

Nous nous sommes intéressées aux domaines éducatifs sur lesquels les neurosciences pouvaient avoir un impact : que se passe-t-il dans le cerveau quand on apprend à lire ? à parler ? Comment fonctionnent les mémoires ? Peut-on apprendre tout au long de la vie ou tout se joue-t-il avant 3 ans ?
Autant de questions qui attisent l’intérêt du grand public, friand d’animations 3D de cerveaux « en train de penser ». Mais derrière ces images, nous avons constaté le rôle des médias dans l’exagération des conclusions de recherche en neurosciences, qui sont en réalité beaucoup plus mesurées. En effet, les techniques actuelles, par ailleurs extrêmement onéreuses, ne permettent pas de suivre entièrement les flux et les structures très complexes des connexions cérébrales et ce domaine de recherche en est à ses premiers balbutiements. Les conclusions hâtives des médias laissent libre cours à des interprétations erronées et de nombreuses idées fausses, appelées neuromythes. Par exemple, nous savons aujourd’hui que le cerveau est plastique (on apprend tout au long de la vie), et qu’il utilise l’ensemble de ses aires cérébrales (et non 10 % comme on entend souvent).

Nos capacités cognitives sont-elles mobiles et évolutives ou bien sont-elles fixées depuis la naissance ?

Marie Gaussel

Marie Gaussel

Les théories neuroscientifiques soutiennent que le développement du cerveau est la conséquence des interactions entre l’organisation cérébrale de base (génétique donc innée) et l’environnement (donc acquis) : on ne peut donc plus opposer ces concepts. La plasticité cérébrale, qui est effective tout au long de la vie, renforce l’idée de l’importance du rôle de l’environnement social et affectif dans la construction complexe de notre cerveau. Quelle signification peut-on alors donner à l’idée d’une intelligence innée et fixe que mesurerait par exemple le QI ? Certains neuroscientifiques préconisent de dépasser ce concept et de considérer que nos capacités cognitives résultent de la construction progressive pendant l’enfance (et au-delà) de réseaux d’interactions entre les aires cérébrales, au contact de l’environnement. Les processus d’apprentissage restent ainsi un vaste champ à explorer.

Et la salle de classe, peut-elle devenir un laboratoire ?
Il n’existe pas à notre connaissance d’expérimentations utilisant directement les neurosciences dans les salles de classe, et pour cause : il faudrait étudier le cerveau de plusieurs élèves en même temps (voire celui de l’enseignant), en tenant compte de l’environnement des élèves et des multiples tâches scolaires qu’ils effectuent. Sans compter que les outils d’imagerie ne sont en général pas transposables en situation. Certaines expérimentations proposent cependant d’utiliser les résultats de recherches pour améliorer les pratiques pédagogiques ou pour faire apprendre les élèves de façon plus efficace. Par exemple, Stanislas Dehaene souhaite montrer comment la seule formation des enseignants aux « principes scientifiques de la lecture » peut améliorer les résultats des élèves dans ce domaine. Les premiers résultats de cette expérience ne semblent guère probants. Une autre de ses recommandations est de généraliser, avant la mise en place d’une réforme en éducation, la comparaison rigoureuse de deux groupes d’enfants « dont l’enseignement ne diffère que sur un seul point », comme s’il s’agissait d’un test sur un nouveau médicament. Ces expériences soulèvent de vifs débats qui dépassent le cadre des neurosciences.

Quels sont donc les problèmes liés à l’implantation des neurosciences à l’école ?

Catherine Reverdy

Catherine Reverdy

Une implantation trop hâtive dans la classe n’est de toute façon pas souhaitable sans avoir au préalable établi un cadre de « coconstruction » entre le champ scientifique des neurosciences et celui de l’éducation, et ce, pour deux raisons : les acteurs du champ de l’enseignement manquent de connaissances en neurosciences cognitives et pourraient être tentés d’appliquer des recommandations dont l’efficacité est encore peu prouvée scientifiquement ; et les chercheurs en neurosciences cognitives sont éloignés des réalités d’une salle de classe et peuvent ne pas percevoir les problèmes auxquels les enseignants sont confrontés, ni leurs attentes en termes d’efficacité pédagogique. Il faut également prendre en compte les points de vigilance soulevés par l’éthique des neurosciences, notamment sur les questions de neuropharmacologie et du mythe d’un élève parfait, discipliné et malléable. En effet, certains chercheurs parlent même d’une « smart pill », ou pilule de l’intelligence, issue des recherches biomédicales à l’origine destinée aux personnes atteintes de troubles cognitifs importants comme la maladie d’Alzheimer. Cette pilule pourrait être utilisée pour accroitre les capacités cognitives, notamment de mémorisation et de concentration, chez des sujets parfaitement sains, et les rendre ainsi très performants. À quand le kit de performance à mettre dans son cartable ?