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Madame l’orthophoniste, j’ai un élève dysorthographique, que puis-je faire ?

Que puis-je faire ? Voilà ce que me demandent parfois les enseignants que je rencontre ou qui me téléphonent. Chaque cas est particulier et c’est toujours plus simple lorsque l’on peut parler d’un enfant précis pour adapter nos interventions. Je trouve difficile de devoir réduire ce jeune que je connais bien à quelques conseils techniques mais, en même temps, je suis heureuse de savoir que cet enseignant s’intéresse à lui et m’apporte son point de vue : c’est un premier pas vers un travail en commun. Souvent, je ressens cette demande d’aide comme une demande de remède miracle. Je n’en ai pas mais il y a des mesures d’accompagnement qui peuvent porter leurs fruits et contribuer à aider ce jeune.

D’abord un état d’esprit : considérer l’enfant et le handicap

J’ai toujours envie de dire à l’enseignant les souffrances de cet enfant « nul en orthographe » : le temps passé aux devoirs, augmenté par sa lenteur ou ses difficultés graphiques, le temps des séances de rééducation chez l’orthophoniste, le psychomotricien ou le psychologue. Bien souvent il travaille plus que les autres pour arriver à un piètre résultat. Cet enfant se sent inférieur, voire bête et il ressent durement les moindres remarques. Il se sent agressé et non reconnu quand il lit l’appréciation « leçon pas apprise »… alors qu’il y a passé deux heures. Un travail supplémentaire pour l’aider à « rattraper le niveau » est inutile. Il est plus judicieux de lui en donner moins ! Au moment des examens, l’élève très en difficulté bénéficie d’un tiers temps thérapeutique car son besoin de temps est pris en compte. Pour qu’il sache utiliser au mieux ce temps supplémentaire, il n’est donc pas inutile de le lui accorder pendant l’année. Ses « fautes » grammaticales nous choquent car elles nuisent à la cohérence du texte et lui valent des remarques comme : « Oh ! », « Réfléchis ! », « Relis ce que tu écris ! ». En effet, des difficultés importantes en orthographe grammaticale sont souvent associées à des troubles du langage et les difficultés d’automatisation des règles de conversion graphème/phonème sont telles que la mémoire de travail est entièrement mobilisée par la phonétique.
On sait par les témoignages de ces enfants qu’ils sont très sensibles aux compliments et qu’ils apprécient que leur enseignant remarque leurs progrès en signalant « qu’il y avait moins de fautes d’orthographe », « que c’était mieux écrit »…. Mais si aucun de leurs efforts n’est pris en considération, ils se découragent.

Quelques premières pistes plus techniques

L’exercice de dictée est particulièrement critique pour les dysorthographiques. La première chose qui me vient à l’esprit c’est qu’il est essentiel de la leur corriger et de ne pas les laisser seuls face à une copie où les fautes sont seulement soulignées. Sinon, ils se découragent complètement : il y a tellement de fautes que c’est impossible pour eux de tout corriger. Mais surtout, s’ils corrigent, ils vont le faire avec des raisonnements erronés : « valize » sera par exemple corrigé en « falize » à partir de la réflexion suivante : « Souvent, je me trompe entre/f/et/v/; donc, si c’est pas/v/, alors c’est/f/».
Pour que l’épreuve de dictée ne soit pas un calvaire inutile, il est possible d’individualiser ce travail. Voici quelques exemples de pratiques.
– Ne leur faire faire que la moitié de la dictée ou leur faire la dictée en même temps qu’aux autres mais sous forme lacunaire. Les lacunes porteront sur un objectif ciblé (mots invariables, les accords dans les groupes nominaux, l’accord sujet/verbe…) et celui-ci leur aura été signalé au préalable.
– Établir avec eux une progression. Les motiver par l’intermédiaire d’un contrat avec bonification : des points sont attribués pour chaque réussite (par exemple : deux ou trois mots invariables à apprendre à l’avance, l’accord sujet/verbe, la différence participe passé/infinitif…).
– Pour ceux qui ont moins de difficultés : on peut leur donner du temps supplémentaire et les entraîner à des relectures ciblées (une relecture pour la phonétique, une pour l’accord noms/adjectifs, etc.).
Parfois les enseignants trouvent cela injuste par rapport aux autres élèves de la classe. Mais le dysorthographique, pour progresser, a besoin de ses « prothèses » tout comme le myope a besoin de ses lunettes. Celui-là, personne ne trouve injuste qu’il garde ses lunettes ! Même pour les autres enfants, cela peut être rassurant d’avoir un enseignant qui tienne compte des particularités de chacun.

La place de l’orthographe en expression écrite

Il est néfaste de tout axer sur la qualité orthographique car cela se fera au détriment de la richesse expressive. Les enfants dysorthographiques ont tendance à s’autocensurer : « ce mot-là je ne sais pas l’écrire, je ne le mets pas » et leurs phrases s’appauvrissent : ils utilisent peu d’adjectifs, peu de compléments circonstanciels. Pour eux, il est particulièrement important de travailler collectivement l’expression par l’oral avant de passer à l’écrit. On peut en profiter éventuellement pour faire des liens avec la grammaire, on peut discuter de : « pourquoi on écrira comme cela », « est-ce que le sens change si on ne met pas de [s] »… Au moment du travail écrit, il faut les autoriser à demander l’orthographe des mots.
Dans les autres disciplines, il est inutile de les pénaliser pour l’orthographe. Si chaque réponse mal orthographiée est comptée fausse, le dysorthographique finira par ne plus apprendre ses leçons, puisqu’il ne peut avoir une note correcte. Il serait tout à fait judicieux de leur donner une photocopie à chaque cours du plan de la leçon, en histoire-géographie notamment, de leur donner une fiche avec les mots de vocabulaire importants (parallèle, sécante, hydrophile, monothéiste…) et les noms propres afin qu’ils puissent corriger les erreurs dans leurs cahiers. Ils ont d’importantes difficultés de copie liées à un déficit d’attention ou une mauvaise mémoire de travail et leur lenteur peut être renforcée par des problèmes de dysgraphie. N’oublions pas que ce n’est pas par mauvaise volonté, ni par manque de motivation qu’ils font des fautes !
Enfin, les enseignants me demandent souvent des critères pour identifier leurs élèves dysorthographiques. Quand il y a un doute, le mieux est d’adresser cet enfant à un professionnel qui pourra poser un diagnostic.

Sylvie Mével, orthophoniste.