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Lundi, après Charlie

Tout commence par une exclamation. Celle de ma collègue, pendant notre réunion du bureau de l’association, mercredi vers midi : « Il y a eu un attentat à Charlie hebdo ! » Et le bureau, ma famille du jour, cherchant son souffle pour continuer à suivre un ordre du jour de papier au milieu des annonces qui tombent, slalomant d’un atroce à un autre. Charb est mort. Un policier abattu. Cabu. Une main sur mon épaule.

Ma descente dans les derniers mails échangés avec Charb. A chaque préparation de revue, je lui envoyais quelques lignes un peu vives, parfois rigolottes, parfois agacées, qui lui racontaient ce que j’avais vu de l’actualité éducative. Je n’avais pas envie qu’en plus de travailler pour rien, il s’ennuie en me lisant. Alors je mettais des plumes à mon clavier et des cotillons à mon compte rendu. Il remontait une de ces lignes d’actus ou une autre, dans son dessin sans commentaire qu’il m’envoyait. Ou bien il s’excusait de n’avoir pas le temps.

Un mail urgent. J’ai soudain besoin d’écrire à mes enfants, qui sont grands, qui sont loin. Je voudrais les serrer dans mes bras, comme des essentiels retrouvés. « C’était une journée très dure. Faites en sorte de défendre le droit d’expression si vous pouvez. Le devoir de réflexion si vous pouvez. Je vous embrasse. » Je découvre dans les jours qui suivent qu’ils m’ont entendue.

La page d’accueil du site des Cahiers pédagogiques qui se remplit d’articles, de personnages à gros nez, de dessins colorés. L’entretien de Charb : j’étais assise sur mon lit en train de prendre en notes ce qu’il me disait. J’ai oublié le son de sa voix. Ses premières couvertures et ses premiers dessins pour la revue. Notre graphiste en fait remonter soixante-dix. 30 000 personnes viendront s’y recueillir. Le dernier dessin de Charb sera sur l’évaluation.

L’impossibilité de sortir la tête des informations, de prendre longuement du repos, de faire un vrai repas, de travailler en continu, et vivre cette attente sans objet aux côtés de l’équipe de la revue de presse, qui, derrière dix écrans, suit et hésite sur la revue à publier le soir, cherche la phrase, change d’avis. Avec nos dessinateurs qui pendant trois jours trouvent ce qu’il faut dire sans rien dire.

Un visage ne m’a pas quittée. Patrick Pelloux, je le connais pour ses coups de gueule salvateurs et ses chroniques uppercut. Un homme habité. Je me suis dit souvent que ce devait ressembler à une malédiction d’être habité comme ça. Patrick Pelloux nous est apparu, remontant du fond de son impuissance et sa dévastation, à peine plus vivant que les morts, mais décidé à détourner le bras de la haine et de la vengeance. Il est leur volonté parmi nous, figure du héraut à l’étendard en toile de paroles, figure qui redonne pour toujours à croire en l’homme.

Vient le temps du week end, du rassemblement. Ce sera pour moi une marche en province, en silence ou pas loin, au milieu de 40 000 personnes. Je ne savais pas que ça faisait si peu de bruit une foule. Pour seul antienne qui tienne vraiment la barre, des vagues d’applaudissements qui montent de cette marée de paix.

Images de jeunes autour de moi, ce garçon de quinze ans lisant la presse et les images de Paris à l’écran que l’on commente avec les plus petits. Ce soir, chez les grands on s’endormira tard encore, on aura pour une fois quartier libre de messages, de sites, de tweets, pour comprendre, pour faire passer, pour dire son soulagement : pas un incident relevé. L’exploit d’une population. L’exploit d’une conviction.

Comment en avez-vous parlé dans les classes ? Quelle minute de silence avez-vous eue ? Les témoignages d’enseignants de l’association nous arrivent : certains sont rassurés, d’autres choqués. Et lorsque certains doutent, d’autres encouragent. Tous sentent leur responsabilité, tous savent combien ce sera difficile, tous ont envie de croire que c’est possible. Maintenant, plus peut-être qu’avant mercredi.

Christine Vallin, rédactrice en chef des Cahiers pédagogiques