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Liberté dans un cadre

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Le projet technique fonde l’enseignement de la technologie au collège depuis 1985. Il est l’essence même de cette discipline scolaire qui prend pour référence le monde économique et industriel. Le projet technique apparaît sous la forme de scénarii en classe de 5ème et 4ème puis d’une réalisation complète sur projet en classe de 3ème. Malgré plus de deux décennies, sa mise en œuvre réelle dans des conditions scolaires par les enseignants reste encore aujourd’hui peu connue[[Cet article reprend en partie une recherche menée dans le cadre d’une thèse en didactique de la technologie.]].

Comment vivre la démarche en classe ?

Si pour une réalisation sur projet, les élèves de troisième sollicitent des compétences, notionnelles et instrumentales, acquises au cours des années précédentes, ils vont, en plus, nécessairement acquérir un certains nombre de connaissances et de savoir-faire pour réaliser des objets techniques et des produits. Néanmoins, ce qui est visé par ces moments scolaires ce n’est pas l’acquisition de compétences mais, comme le souligne Jean-Louis Martinand[[Jean-Louis Martinand – 1998 A quoi servent les scénarios ? Education Technologique, 1, 5-8.]], d’acquérir une logique de projet.
Le concept de projet est de plus en plus répandu, que ce soit dans le monde social ou dans le monde éducatif et les acceptions sont variées. Cependant, pour la technologie collège, le projet est qualifié de technique. Pour les élèves, il s’agit de se construire un modèle de démarche de projet technique, projet qu’ils doivent prendre en charge avec ses aspects spécifiques incluant la projection dans le temps, la planification, la conception, la production, la diffusion et les différents moments de prise de décision sous contraintes, pour la réalisation d’un produit. Pour que cette démarche soit acquise, il est indispensable que les élèves la vivent[[Alain Crindal – 2005 A propos du projet. Les cahiers innover et réussir, 9, 5-7]]. Pour les enseignants, cette mise en œuvre, en tenant compte des contraintes scolaires, implique nécessairement une pratique particulière, qui ne peut être confondue avec une pratique de transmission de savoirs. Il faut en effet, en plus des contraintes scolaires (programme d’enseignement avec les horaires imposés, découpage du temps scolaire en séances, prise en charge d’élèves différents dans une même classe), faire en sorte que les élèves remplissent le contrat fixé, tout en leur laissant la liberté de prendre des décisions et d’effectuer des choix ainsi que des tâches de nature technique[[Joël Lebeaume – 1999 Perspectives curriculaires en éducation technologique. Université Paris Sud : Habilitation à diriger des recherches.]]. Comment un enseignant met-il cela en œuvre, en classe ?

Une démarche non linéaire avec des allers-retours

La commande passée par l’enseignant aux élèves est la suivante : « Nous désirons réaliser un nouveau jeu de société, de voyage, basé sur des questions réponses ».

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Des produits d’élèves, aboutissement de la démarche de projet

La réalisation sur projet est composée de quatre grandes parties, comme la prescription spécifiée dans les textes du programme. Pour chacune des parties, un résultat, en terme de réalisation, est attendu. L’ensemble s’étend sur 26h30.
L’étude préalable, en 4h, aboutit à la création du Cahier des charges.
L’étape « Recherche et détermination de solutions » mène en 1h30 à la réalisation du prototype.
Suivent 7 h de production, ou plus si la manipulation avec les matériaux et le matériel est plus importante.

La diffusion , dans le projet observé, prend heures : c’est peu au regard du programme.
La production n’est pas une condition d’antériorité à la diffusion. Production et diffusion peuvent être réalisées en parallèle.

Les quatre étapes ne s’enchaînent pas toutes d’une manière linéaire : il y a des allers-retours. Si l’étape de recherche et détermination de solutions fait logiquement suite à celle de l’étude préalable, ce n’est pas le cas pour les deux suivantes. En effet, après avoir choisi des solutions techniques et réalisé un prototype, les élèves produisent le produit tout en réalisant, par exemple, une publicité dans le cadre de la partie diffusion.
Pendant la production et surtout la recherche et détermination de solutions, l’enseignant permet aux élèves d’effectuer des choix puis de revenir sur ces choix en fonction des difficultés rencontrées ou de l’avancement de la réflexion. Ces allers-retours au cours du processus du projet favorisent la construction intellectuelle, pour les élèves, d’une démarche cyclique de projet technique.
Bien que le projet soit interrompu à la fin de chaque séance disciplinaire, le début des séances ne correspond pas à un « nouveau départ » en terme d’activités. En effet, une même consigne est adressée à un même élève plusieurs fois et au cours de plusieurs séances pour gommer la rupture d’une séance à une autre.

Des consignes variables pour cadrer l’action

L’enseignant donne à différentes reprises des consignes aux élèves leur permettant d’avancer et de les maintenir en projet.
Pour l’« étude préalable » et la « diffusion », le cheminement donné par les consignes est parfaitement identique pour les élèves observés dans cette classe : ce cadrage fort de l’action limite leur liberté de réflexion et d’action en termes de démarche, par exemple : « répondre aux questions pour rechercher le marché potentiel » lors de l’étude préalable.
Pour les deux étapes intermédiaires (« la recherche et détermination de solutions » et la « production ») les consignes allouées aux élèves sont identiques au début et à la fin, mais au cours de l’étape, les interventions de l’enseignant s’avèrent différentes en fonction des difficultés rencontrées ou des besoins de chacun des élèves. Ainsi, un élève reçoit comme consigne de « représenter les flux de pièces dans l’atelier lors de la production » pendant que l’autre est orienté vers, « saisir la règle du jeu ». Cette pratique semble valoriser la logique du projet technique, en favorisant les interactions entre les décisions à prendre et les contraintes. Les deux élèves se construisent un modèle de démarche de projet directement en relation avec ce qu’ils vivent.

Les rôles de l’enseignant

L’enseignant de technologie, dans sa classe, se trouve être un organisateur de projet technique. Il organise les différentes étapes du projet technique entre elles, pour donner de la cohérence au projet et, au cours de chacune des séances, il gère les contraintes scolaires (élèves, séances d’enseignement, le programme) en fonction des contraintes matérielles et des difficultés que chacun des élèves peut rencontrer. Il ne prend donc pas la position d’un transmetteur de savoirs.
Progressivement, ce qui se construit par ses interventions, c’est la mise en place virtuelle d’un cadre à l’intérieur duquel l’action des élèves est susceptible de se dérouler. De plus, par les consignes allouées, l’enseignant gère le temps de mise en projet et canalise l’action des élèves.

Avec le nouveau programme de 6ème (2005), il n’y a plus de préparation à la réalisation sur projet. Mais ce qui est plus inquiétant c’est le risque de disparition des réalisations sur projet (par les scénarii) pour les classes de 5ème 4ème. Ce qui primerait serait la mise en place de démarches d’investigation. Cette transformation didactique interroge la caractérisation de la nouvelle professionnalité des enseignants de technologie.

Olivier GRUGIER, Didactique des sciences et techniques, ENS Cachan, IUFM Orléans-Tours.