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Lettre à Najat Vallaud-Belkacem

Bienvenue dans votre nouveau poste de ministre de l’Éducation Nationale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.
Vous avez déclaré dans une interview relativement ancienne, où l’on vous demandait de revenir sur vos années de jeunesse, que le moteur de votre engagement était l’indignation et vous disiez aux jeunes qui s’engagent en politique : “Il faut être révolté pour faire de la politique. Je leur conseillerais donc de se concentrer d’abord sur une injustice, une révolte, de défendre des convictions, de porter des projets.” (Interview à l’ Étudiant en 2012)

Indignez-vous !

Photo : crédits Linternaute

Photo : crédits Linternaute

Madame la Ministre, malgré les ors des palais ministériels, malgré le risque des logiques technocratiques, continuez à vous indigner !
Nous sommes des militants pédagogiques et c’est aussi le moteur de notre engagement. Nous sommes toujours indignés par les inégalités à l’œuvre dans l’Éducation Nationale. Le dernier rapport PISA, les travaux des sociologues montrent que la France est un des pays où l’origine sociale joue le plus dans la réussite et l’accès aux diplômes. Plus qu’hier encore, l’École est celle des « Héritiers ». Mais il ne s’agit pas seulement de se préoccuper de restaurer une « école républicaine » mythifiée où la méritocratie fonctionnerait et permettrait à des personnes issues de milieux modestes d’accéder à de hautes fonctions. Votre parcours est symbolique de cela et vous pouvez en être fière. Mais notre indignation porte aussi sur le sort réservé aux vaincus du système. Nous n’acceptons pas que l’on s’accommode du maintien d’un noyau dur d’élèves en échec. Une vraie école républicaine se doit d’être pleinement démocratique, permettant la réussite de tous… Nous ne doutons pas que vous partagiez cette indignation et cette ambition de construire une école plus juste et plus efficace.

Égalité ! Équité ! Efficacité !
Vos actions antérieures ont montré votre attachement aux valeurs d’égalité entre tous. Bien sûr d’abord l’égalité entre les sexes et nous sommes sûrs que vous saurez redonner toute sa place à une éducation qui permette de lutter contre les stéréotypes.
Mais comme nous l’évoquions plus haut, c’est aussi le refus des discriminations selon l’origine ethnique ou sociale ou même géographique qui doit être au cœur de l’action gouvernementale. Et pour que cette égalité se réalise, on ne peut la limiter à un égalitarisme étroit. Il importe de donner plus à ceux qui ont moins. La nécessité de mettre en priorité les moyens là où ils sont nécessaires passe par la rénovation de l’éducation prioritaire. Cela a été entamé par vos prédécesseurs et mérite d’être poursuivi et amplifié.
L’égalitarisme et le jacobinisme conduisent certains à refuser la moindre autonomie des établissements. Or, pour lutter contre les inégalités et répondre au plus près aux besoins, le système éducatif a besoin de plus de souplesse et d’autonomie des acteurs de terrain. Et si vous étiez la ministre qui, enfin, fasse évoluer la gouvernance en faisant confiance aux équipes enseignantes et en faisant vivre l’innovation et l’expérimentation ?

Continuez… et accélérez !
Dans vos premières déclarations, vous avez réaffirmé la fidélité aux engagements formulés durant la campagne présidentielle et votre volonté de mettre en œuvre la loi d’orientation dite de « refondation » votée en juin 2013.
Comme tous les mouvements pédagogiques et les associations complémentaires, nous nous sommes fortement impliqués dans les travaux préparatoires à cette loi qui a suscité beaucoup d’espoirs. Le départ de Vincent Peillon nous a inquiétés sur la volonté gouvernementale de poursuivre l’action entreprise. D’autant plus que la période qui a suivi a été marquée par une volonté d’« apaisement », ce qui n’est pas synonyme de volontarisme, mais souvent au contraire, de recul…
Or, on sait bien que les réformes dans le système éducatif mettent beaucoup de temps avant de s’installer. Les résistances au changement sont fortes. Et il importe d’avoir une volonté politique tout aussi forte pour les maintenir plutôt que de céder à la première critique.
L’École et les enseignants ont besoin de stabilité et de continuité dans l’action. La situation inégalitaire, les résultats de l’École Française exigent plutôt une intensification de la transformation du système éducatif que l’attentisme. Et ce n’est pas qu’une question de moyens mais aussi une question de pédagogie et d’évolution des pratiques.
Nous connaissons votre détermination et votre courage face à l’adversité, aux résistances et aux malveillances de toutes sortes. Nul doute que vous mettrez cette belle énergie au service de la nécessaire transformation de l’École.
Nous sommes, pour notre part, tout aussi déterminés à poursuivre notre action et à accompagner ces évolutions comme nous le faisons depuis près de soixante-dix ans.

Pour le bureau du CRAP-Cahiers Pédagogiques
Philippe Watrelot