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Les programmes : quelle importance ?

De programmes, au sens de contenus d’enseignement, il fut finalement peu question. Claude Thélot, avec sa largeur de vue et son expérience du débat organisé en 2003 sur l’avenir de l’école, tint d’entrée à ramener la question à de modestes proportions : les programmes sont pour lui « certes importants, mais pas décisifs ». D’abord parce que personne ne les connait vraiment, même les professeurs s’appuient le plus souvent sur les manuels plutôt que sur les textes officiels pour préparer leurs cours. Ensuite parce que, dans un contexte de baisse des performances de l’école française, l’essentiel des préoccupations doit se tourner d’abord vers le socle commun, ce qui est exigible de tous, alors que les programmes sont l’idéal de ce que l’on voudrait enseigner aux élèves, en sachant bien qu’ils seront toujours « trop lourds » pour que tous les acquièrent vraiment. En forçant un peu le propos, la définition des programmes serait un problème de riches… Enfin parce que ce qui est fondamental pour Claude Thélot, c’est ce qui se passe effectivement dans les classes et les établissements : « tout est dans l’exécution », dit-il en reprenant le mot de « l’Empereur ». En rester à des questions de rédaction des programmes sera vain si l’on ne s’occupe pas de leur traduction dans la pédagogie des enseignants au quotidien. Philippe Claus a insisté sur cette idée, en soulignant les écarts entre les textes et ce que l’on peut constater de leur mise en œuvre dans les classes.

Ces propos liminaires furent manifestement entendus par les intervenants suivants, et la discussion s’orienta vers les activités pédagogiques susceptibles de « motiver les élèves », de « donner du sens aux apprentissages », de travailler les « compétences transversales », de répondre au souci « d’individualisation des parcours ». Un petit tour, le thermomètre Pisa à la main, du côté de la Pologne, de la Finlande, des États-Unis et du Portugal, et le remède fut trouvé : identifions, évaluons et diffusons les « bonnes pratiques » favorisant la « réussite de tous », et le tour est joué. Mais que s’agit-il d’enseigner ? La question s’était un peu perdue en cours de route. On y revint un peu à la fin, demande des parents à l’appui (ou plutôt ce qu’en disait le sondage réalisé pour l’occasion) : « les fondamentaux », bien sûr ! Le mot dit bien ce qu’il veut dire : ce par quoi il faut commencer. Mais encore ? « Les bases ! »

Bon, ne boudons pas notre plaisir : il est précieux que les parents d’élèves, que les parlementaires (trois d’entre eux étaient présents à cette réunion qui se déroulait au Sénat), que la société civile dans son ensemble s’empare des débats sur les méthodes d’enseignement, sur ce qu’on apprend à l’école. Mais le sujet est décidément difficile. L’intitulé du nouveau « conseil supérieur des programmes » ne contribue pas à éclairer les choses, puisque son objet est plus large, plus ambitieux aussi : définir les savoirs, les connaissances, les compétences, la culture qu’il s’agit de transmettre aux nouvelles générations.

On ne va pas bien sûr décider lors de ce genre de réunion s’il est pertinent ou pas d’enseigner le théorème de Pythagore au collège, s’il est préférable de le faire en 4e ou en 3e, s’il faut y consacrer divers dispositifs didactiques élaborés ou bien si une mention à l’occasion d’un cours magistral suffit. Mais il nous faut décidément réfléchir aux critères qui nous font décider si tel ou tel élément est à sa place, avec quelle place, dans ce qui doit être enseigné aux élèves, appris par eux. Il me parait décisif de se poser la question en termes culturels : oui, il faut faire découvrir le théorème de Pythagore aux adolescents, car c’est un monument de la pensée humaine, une formule magique, qui apparaissait d’ailleurs comme telle à ses concepteurs. Ce n’est pas, ou pas seulement, une affaire de technique arithmétique, une base incontournable pour la suite des études en mathématiques ; il faut aborder un tel sujet comme une occasion de faire réfléchir les élèves sur leur rapport au monde au travers de ce langage si particulier qu’est la géométrie, à prétention universelle.

Je me suis permis d’intervenir au cours de cette réunion pour insister sur ce mot : culture. Son insertion par la loi d’orientation votée en juin dernier dans l’expression « socle commun de connaissances, de compétences et de culture » doit être prise très au sérieux : je pense que la réflexion sur ce qui doit être enseigné, tout comme ensuite la façon de l’enseigner, doit être imprégnée du souci de développer la culture de nos élèves, d’enrichir leur rapport à soi, leur rapport aux autres, leur rapport au monde. Vaste programme !

Patrice Bride
Rédacteur en chef des Cahiers pédagogiques