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Les paradoxes de l’orientation française… et quelques idées pour en sortir

Vous qui entrez dans ce dossier, nous vous invitons
à prendre quelques instants pour écrire les mots qui vous viennent à l’esprit lorsque vous pensez « orientation »…
Merci.
À la fin de votre lecture, n’hésitez pas à revenir vers
ces quelques mots…

1968 engage l’élaboration d’un nouveau consensus social où l’école est amenée à jouer un rôle essentiel dans la promotion des citoyens. Le système d’orientation actuel date de 1971, période où il convenait d’organiser une industrialisation massive et géographiquement décentralisée, avec son besoin de cadres et de personnel qualifié. Il n’est donc pas étonnant que le premier dossier pédagogique de 1977[[Orientation et carte scolaire, 1977.]], soucieux d’égalité, interroge la mécanique d’ajustement de la carte scolaire. Dix ans après, les données économiques ont changé, la société industrielle glissant déjà vers une société de services. « Apprendre à apprendre » devient primordial, et personne ne doit être privé de cet important viatique que représente la qualification. En 1988, un rapport officiel, constate que l’orientation ne s’arrête plus à la porte de l’école[[André Caroff et Jacky Simon, Orientation des élèves. Problèmes généraux. Rôle des structures et des acteurs de l’orientation. Rapport conjoint IGEN et IGAEN, MENRS, doc. mult., juin 1988.]]. Faut-il alors intégrer pleinement l’orientation dans l’école, en développant une éducation active ? C’est l’objet du dossier de 1989[[Orienter à la voie active. L’orientation, l’affaire de tous. Pascal Derache. Cahiers pédagogiques n° 271, février 1989.]]. Cette même année, la loi déplace le curseur, de la notion de programme vers celle de projet. Le concept de cursus, avec ses repères d’espace et de temps, est en effet déjà en plein bouleversement[[Jean-Pierre Boutinet, Anthropologie du projet, PUF, 1990.]]. En 1995, dans un nouveau dossier[[Le projet personnel de l’élève, Monique Lafont, Cahiers pédagogiques n° 331, février 1995.]] consacré au projet, Bernard Defrance, évoque le fait que « les élèves que nous avons actuellement dans nos classes auront sans doute à affronter et à tenter de résoudre des questions sans précédent dans l’histoire de l’humanité ». En effet, nous sortons alors définitivement d’un espace national administrativement planifié pour entrer dans le xxie siècle, avec ses mutations économiques, ses technologies informationnelles et ses nouveaux paradoxes. Il convient de préparer les élèves à l’affronter par une éducation appropriée dans le cadre d’un nouveau contrat pour l’école.[[Circulaire de 1996 sur l’éducation à l’orientation.]] Mais cette bonne intention reste dans le domaine expérimental. Et il ne faut pas s’étonner que le début du nouveau siècle soit caractérisé, dès 2004[[L’évaluation de l’orientation à la fin du collège et au lycée, rêves et réalités de l’orientation, Henoque-Legrand, mars 2004, est en effet le premier d’une longue série de rapports.]], par plus de dix rapports officiels autour de l’orientation. Qui, de l’école ou de l’économie, structure les sociétés et les trajectoires existentielles, au profit de qui ? Quelle est la marge de liberté de chacune et de chacun sur sa propre vie ? En 2008, sur ces questions, où en sommes-nous ?

L’orientation, un lieu de tensions

Il se trouve que pour des raisons historiques, en France, le terme « orientation » désigne à la fois la manière dont une personne construit son parcours personnel, professionnel, relationnel, citoyen, et la manière dont la société régule les flux d’entrée des jeunes générations dans les activités économiques. C’est que la société, elle, à chaque génération, a besoin que des fonctions économiques, dont toutes ne sont pas également attractives, soient remplies. Car chacune, chacun se doit d’intégrer un travail qui lui garantira l’accès à la vie citoyenne. Vues du point de vue de la gestion, les procédures d’orientation et d’affectation suffisent à garantir l’équité de traitement des propositions d’orientation émises par les familles et les conseils de classe. La liberté individuelle de choix doit s’accommoder d’un classement au mérite dont est chargée une école censée gommer les inégalités de la naissance.
Certes, d’un autre point de vue, les déterminismes sociaux, les hasards, les influences, les performances scolaires, entrent pour chacun dans la construction du parcours de vie. Cependant y participent aussi les rêves, les goûts, les intérêts, les valeurs, les capacités et la compétence à se saisir des opportunités, qui appartiennent à l’ordre du personnel, à condition d’avoir acquis les compétences en la matière. Elles dépassent, parce qu’elles sont porteuses d’avenir, avec d’autres valeurs, le strict point de vue gestionnaire.
Sur le terrain, ces deux acceptions de l’orientation sont en tension et créent du malaise. Malaise pour les élèves sommés tout au long de la scolarité de « faire des projets », et aux échéances de se contenter de « vœux » ; malaise pour les familles qui, exclues des décisions, se sentent dépossédées de l’avenir de leurs enfants ; malaise pour les professeurs enjoints d’aider leurs élèves à construire au quotidien un projet personnel et puis paradoxalement de participer à une décision, parfois très éloigné du projet lentement élaboré.

Un décalage mal vécu

Ainsi conçue, l’orientation, même si elle repose sur une certaine justice, ne satisfait actuellement qu’une partie des personnes. D’une part, l’État, via ses agents, « oriente », et, ce faisant, s’immisce dans ce que beaucoup perçoivent comme leur sphère personnelle. Mais surtout, elle ne paraît plus garantir une insertion professionnelle et l’inclusion sociale attendue.
Les élèves et les familles perçoivent de plus en plus une distorsion entre la formation suivie, des discours invitant, dans le contexte européen et mondial, à innover, à entreprendre, à se former et à s’orienter tout au long de la vie, et un système scolaire qui semble rendre les trajectoires le plus souvent irréversibles et, ce faisant, ne prépare pas vraiment à construire des parcours personnels dans un environnement économique en mutation.
Les signes de ce décalage nous semblent, pêle-mêle : la demande réitérée des collégiens et des lycéens de trouver du sens aux disciplines, l’important décrochage en lycée professionnel, l’étonnante évaporation des bacheliers qu’on ne retrouve dans aucune filière de l’enseignement supérieur, le désarroi de certains élèves de prépa qui avaient pourtant « tout réussi » ; le fait que plus de 50 % des trentenaires n’exercent pas dans le domaine pour lequel ils sont diplômés, et aussi la croissance constante de la demande de « coaching » scolaire et d’orientation. Le compromis social établi dans les années 1970 paraît donc remis en cause.

De nouvelles attentes

Nous faisons l’hypothèse que le système apparent ne correspond plus au système réel, c’est-à-dire que la plupart de nos concitoyens, quel que soit leur âge, veulent désormais « s’orienter par eux-mêmes », faire leurs propres choix de vie et les assumer. D’où, peut-être, l’indifférence (ou le soulagement) avec lequel la quasi-suppression de la carte scolaire a été accueillie à la rentrée 2007.
Pour « s’orienter » les jeunes, scolaires ou étudiants, demandent à leurs parents et aux professionnels du système éducatif, de leur donner l’occasion pendant leurs études, de se faire une idée la plus juste possible du monde qui les attend. D’où le succès des visites d’entreprises, des stages, des salons… et de tout ce qui permet de « sortir ». Mais ils attendent aussi de l’accompagnement individualisé, et parfois du conseil pour : trier l’information, évaluer leurs performances (à l’école et en dehors), analyser leurs expériences, peu à peu se construire et, aux échéances, prendre des décisions en connaissance de cause. Ils attendent que des ponts soient bâtis entre les connaissances disciplinaires et les compétences utiles. Ils demandent en fait à l’école de devenir un milieu porteur pour leurs projets. Cela nécessite bien entendu que la communauté éducative elle-même soit « en projet » car c’est à cette condition, qu’elle peut « être orientante ».

Avons-nous vraiment une approche orientante ?

La première partie du dossier permet de se faire une idée de l’état de l’orientation en rapport avec ses environnements. Pour réduire le sentiment de décalage, la notion de parcours, autonomes et diversifiés, semble se substituer à celle de filières. Mais aussi, dans un contexte d’économie mondialisée, se recompose l’idée d’une nouvelle cohérence de territoire qui interroge la gouvernance du système de gestion.
La seconde partie éclaire la façon dont les acteurs de l’orientation se mobilisent pour maintenir une cohérence de sens, essentielle à leur propre motivation, mais aussi à celle des personnes dont ils ont la charge. Et, dans cette mobilisation, les personnels d’orientation représentent « une véritable richesse pour le pilotage et le changement ». Les contributions montrent que la variable d’ajustement entre le monde de l’école et le monde « actif » peut se réduire, si l’orientation devient « l’affaire de tous » et surtout celle de la réussite de chaque élève, à condition que les moyens adéquats suivent les discours d’intentions.
La troisième partie illustre les prémisses de ce qui pourrait constituer une réponse aux défis de cette nouvelle orientation. Au regard des témoignages rassemblés, elle pose alors humblement la question : de la place que nous occupons, avons-nous l’impression, au jour le jour, au contact permanent avec chaque élève, d’être un tant soit peu efficace en termes d’orientation. Bref, avons-nous l’impression de développer une approche orientante ?
Le but de ce quatrième dossier est de contribuer à éclairer le champ multiréférentiel de l’orientation (psychologie, sociologie, économie, pédagogie), de contribuer à montrer les enjeux pour les personnes et pour la société (entrer ou non de plain-pied dans la société de la connaissance et de l’apprenance), de pointer les tentatives institutionnelles ou individuelles qui vont dans ce sens, de façon à permettre à chaque lecteur- acteur de mieux percevoir le rôle qu’il joue, d’y réfléchir, et éventuellement de le faire évoluer.

Jean-Marie Quiesse, Association Apprendre et s’orienter.
Danielle Ferré, Conseillère d’orientation-psychologue,
présidente de l’association Apprendre et s’orienter
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Consulter le site de Apprendre et s’orienter