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Les enseignants entre l’éthique professionnelle et la démocratisation scolaire

Pour la presse, on le sait, les trains n’arrivent jamais à l’heure. Et pour le formateur de personnels de direction qui, comme moi, travaille à partir de cas réels apportés par les stagiaires, les enseignants témoignent souvent d’éthiques bien singulières !

Un premier, surpris par ses collègues la sacoche bourrée de rouleaux de papier hygiénique, leur déclare qu’il a toujours eu pour principe de « vivre sur la bête ». Un autre, professeur de collège, incite ses élèves à rédiger un tract appelant à se mettre en grève contre la réforme du collège. Un autre encore, professeur de lycée professionnel, refuse d’évaluer des comptes rendus de stage de ses élèves, au motif que les textes ne l’obligent qu’à en « assurer le suivi » mais pas plus. J’arrêterai là les exemples, je n’ai pas la prétention de tirer des lois générales de l’étude des pathologies. Pourtant, cette méthode pourrait se révéler intéressante : n’a-t-elle pas réussi à Freud en son temps ?

Plus sérieusement, la liberté pédagogique reconnue aux enseignants n’est rien d’autre que la possibilité, pour une très grande variété d’éthiques professionnelles (ce que chacun estime bon de faire avec ses élèves), de se déployer librement d’une école à l’autre, voire au sein de la même école d’une classe à l’autre, et, dans l’enseignement secondaire, d’un professeur à l’autre dans la même classe. Bien sûr, il existe des injonctions au travail en équipe, mais il ne s’agit là aussi que de recommandations d’ordre éthique : a-t-on jamais vu un enseignant sanctionné parce qu’il préférait travailler seul ? Cette diversité éthique en matière pédagogique est-elle une bonne ou une mauvaise chose pour la réussite des élèves ? Georges Felouzis, dans son livre sur L’efficacité des enseignants, observe que les professeurs efficaces sont ceux qui enseignent aux élèves tels qu’ils sont (et non tels qu’ils aimeraient qu’ils soient), qui préjugent aussi de leur capacité à réussir (et non qui sont persuadés du caractère inéluctable de leur échec), et qui « ajustent leurs conceptions et leurs pratiques en se centrant sur les élèves plutôt que sur la discipline dans sa forme académique ».

Ce qui fait réussir les élèves, ce ne sont pas des pratiques particulières, mais l’attitude générale de l’enseignant envers eux. Plus que de bonnes pratiques, on devrait donc parler d’une bonne éthique, et y former. Une éthique démocratique qui s’oppose évidemment à celle de l’élitisme, qui n’est efficace que pour une petite minorité d’élèves, ceux qui réussiraient de toute façon ; or, c’est cette éthique élitiste qui est au cœur de notre système éducatif.

Jean-Pierre Obin
Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale, membre du comité de parrainage des Cahiers pédagogiques, il a piloté un rapport présenté par le think tank Terra Nova en septembre 2015, qui demande une refonte de la formation et des ESPÉ pour rééquilibrer la part du professionnel et de l’académique.