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Les effets miroir de la motivation

Aborder les effets – miroir de la motivation, c’est par exemple, commencer par se poser cette première question, souvent ressassée en salle des professeurs : « Quand les élèves ne sont pas motivés, peut-on les motiver ? »,… et par la suite, en miroir, se poser cette deuxième question : « Quand les élèves ne sont pas motivés, les enseignants peuvent-ils être motivés ? »
Aujourd’hui, l’école, rendue obligatoire, exige de plus en plus que les parents, les enseignants, l’institution fassent en sorte que cette obligation scolaire soit intériorisée par les élèves. Quand la communauté des adultes n’y parvient pas, les élèves démotivés s’installent dans l’apathie ou bien dans la contestation généralisée… Et, en miroir, de nombreux enseignants finissent par vivre, à leur tour, une sorte de marasme, d’abattement, de découragement stagnant, comme autant de modulations de la « démotivation ».
Dans ces effets – miroirs en abîme se relaient institution, enseignants, élèves, parents.

La question serait alors : « Comment faire en sorte d’intérioriser, chez l’enseignant, l’obligation actuelle d’avoir dans sa classe des élèves « démotivés », c’est-à-dire des élèves soit contestataires, soit indifférents… ? ». Une sorte de ritournelle injonctive invite les enseignants à rendre les élèves « acteurs » afin de les motiver. Faire agir pour stimuler… Ritournelle peu réaliste quand les situations sont complexes, surtout quand des difficultés répétées, ainsi qu’une succession d’échecs, mettent en place chez certains enseignants le sentiment déstabilisant dit « d’incontrôlabilité ». Très souvent, quand une multiplicité d’expériences a été défaillante, quand la situation, semble, à première vue, inextricable, émerge chez l’enseignant le sentiment, bien tenace, qu’il ne peut contrôler ce qui se passe. Il n’est plus acteur. Les difficultés des élèves sont-elles le symptôme des difficultés de l’enseignant, ou les difficultés de l’enseignant le symptôme des difficultés des élèves ? Dans ces prismes en abîme, l’effet – miroir touche tout un chacun, « l’homochromie » guette tout un chacun.
La propension de l’enseignant est alors à désigner des causes externes à soi, sur lesquelles il n’a aucune prise : « C’est le groupe des élèves qui est a – scolaire » / « C’est l’institution qui ne fait pas ce qu’il faut faire ; qui ne contrôle pas la situation » / «C’est le recrutement qui nivelle par le bas »… Les actes des élèves sont déchiffrés au travers de leur personnalité (alors que l’échec pédagogique n’est jamais associé par l’enseignant à sa propre personnalité) : « ils n’ont pas le goût de l’effort » ; « ils sont atones » ; les entraves de la situation rendent opaques pour les enseignants les facteurs déterminants rattachés aux choix pédagogique, didactique. Ils mettent donc en place une attribution causale qui leur est externe et qui est liée à la personne – élève, à l’être social – élève. Curieusement, la causalité devient systématiquement interne quand le recrutement très sélectif de l’établissement, assure le succès transmissif. Il est donné aux enseignants une sorte d’assurance inébranlable. Le raisonnement tend à être le suivant : « Si ça marche bien comme ça, c’est bien grâce à moi ».

La motivation agissante chez l’enseignant serait-elle à chercher dans le passage d’une « causalité externe » à une « causalité interne » dont les effets sont bien davantage porteurs de changements et d’efficacité, puisque l’individu se sent alors acteur dans les événements avec lesquels il est en prise ? Les directives invitant à telle ou telle démarche restent sans effet quand les entraves font impasse… En revanche, la mise en place d’une régulière analyse des pratiques professionnelles offre, par la relecture, par le questionnement ouvert du groupe, une avancée dans la compréhension non seulement de soi, mais des autres, des événements… On explore, pour mieux y prendre appui, ses potentialités personnelles, tout en explorant les ressources externes. On se donne d’autres entrées dans le problème. On s’entraîne sur une variation de gammes. De nouvelles perceptions structurelles du monde vont permettre de modifier les visions que le quotidien a bétonnées en soi.
Ainsi, susciter la motivation consisterait à provoquer, chez les différents acteurs du système éducatif (cadres éducatifs, enseignant, élèves), la prise de conscience que les causes essentielles, génératrices d’une situation donnée, peuvent aussi dépendre de l’individu : en d’autres termes, que l’individu peut contrôler la situation, qu’il peut, par son action, améliorer cette situation…
Ce déplacement évolutif, cette attitude réflexive à partir de son propre positionnement, est la pierre angulaire d’une pédagogie qui ne serait pas simple « caisse de résonance » de maux ou de succès des élèves, mais la résonance d’un désir professionnel.

Rolande Hatem, Formatrice AFAREC, Professeur de Français, Collège Saint-Nicolas, Igny.