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Les disciplines artistiques au collège

De Jack Lang aux derniers rapports officiels, en passant par le récent « grand débat », toutes les voix sont unanimes : la place des arts dans l’éducation des jeunes est essentielle, irremplaçable, et il faut œuvrer pour en renforcer l’impact sur tous les élèves.
L’articulation entre le monde sensible et le monde non sensible, la médiation entre la pensée imaginaire et la pensée cognitive, la relation privilégiée du corps et de l’esprit à l’espace et au temps, sont autant de leviers qui font des matières artistiques des disciplines fondamentales favorisant une structuration de l’individu en agissant sur l’expression, le rapport à la règle, l’équilibre, la symétrie… Ces disciplines participent au travail de la mémoire, permettent un ancrage dans l’histoire humaine, et donnent à chacun une prise sur la réalité, sur soi et ouvrent la possibilité d’un dépassement de soi-même. Nul n’ose contester que sans les arts, la formation de l’être humain serait incomplète.
Et pourtant…
Un rapport du Conseil économique et social, conscient de l’importance de cet aspect de l’éducation semble afficher de bonnes intentions : « Après un demi-siècle de politique culturelle de l’État, la démocratisation reste un objectif impératif puisqu’aucun progrès d’accès à la culture ne peut être recensé. Le peu de place que l’école accorde à l’art dans ses programmes est un reflet du choix d’une société pour qui l’art ne compterait pas beaucoup. (…) La minceur des horaires, le manque de matériel et de locaux adaptés, de même que la pédagogie trop centrée sur les aspects théoriques, ne contribuent pas à conférer à ces disciplines le rang qui devrait être le leur. » Ces propos révèlent une représentation inquiétante de l’éducation artistique. Est-ce que les rédacteurs de ces textes se sont vraiment mis au courant de la profonde mutation qui traverse les disciplines artistiques depuis plusieurs années ? Ils semblent ignorer que l’enseignement des arts repose maintenant sur la pratique et la maîtrise par l’élève des éléments du langage plutôt que sur la théorie. Comme si chacun en était resté à la vision de la classe de son enfance. Or, le corps enseignant, malgré tout ce que l’on peut en dire, évolue assez rapidement. L’éducation musicale, par exemple, a la réputation d’être l’une des plus novatrices dans le domaine des TICE (cf. le numéro spécial du CNDP), elle manifeste une présence dynamique dans la pratique chorale et instrumentale comme dans les parcours transdisciplinaires…
Du côté institutionnel, une conclusion s’était imposée : « Au collège, notre Assemblée souhaite regrouper les deux heures obligatoires dédiées aux enseignements artistiques sur une seule discipline choisie sur un panel plus large incluant, notamment, le théâtre et l’expression orale, art dramatique à côté des arts plastiques/arts visuels et de l’éducation musicale/art du son. Au lycée, notre Assemblée propose de diversifier les filières d’accès à l’enseignement des disciplines artistiques en permettant aux titulaires du Capes ou de l’agrégation de n’importe quelle matière de pouvoir enseigner une discipline artistique en obtenant un certificat complémentaire en musique, danse, arts plastiques. Un système d’équivalence avec les diplômes délivrés par les écoles d’art agréées pourrait être mis en place. »
Pour le collège, cela revient à rendre optionnel l’enseignement des disciplines artistiques jusqu’alors obligatoires. Si l’effet attendu est une re-dynamisation desdits enseignements, il suffit de regarder en aval ce qui se passe au lycée : les options se rétrécissent plutôt comme peau de chagrin et le formidable essor toujours invoqué manque singulièrement d’élan ! Pour le lycée, le fait de remplacer un CAPES par un certificat obtenu en quelques heures ne semble pas de nature à rassurer quant à la façon dont l’avenir de ces enseignements est pensé.
La classe de troisième n’est pas un supermarché de l’art.
Alors que les disciplines concernées sont en phase de transformation plutôt positive (regardons sérieusement le chemin parcouru en dix ans et non nos images d’Épinal sur le cours de « musique » ou « de dessin »), alors que l’on ne cesse de proclamer qu’il faut se centrer sur les apprentissages fondamentaux auxquels la pratique artistique participe, dit-on, pour une part importante, pourquoi cette proposition soudaine de transformer la classe de troisième en un supermarché de l’art ?
Si les disciplines artistiques sont présentées comme interchangeables alors qu’elles s’inscrivent dans des champs tout à fait distincts, et développent des qualités et des compétences très différentes (certains éléments construits par l’éducation musicale : une structuration de la mémoire, une aptitude à l’expression orale… ne sont pas construits par l’art plastique et vice-versa) pourquoi ne pas appliquer la même logique à l’enseignement des langues, des disciplines scientifiques ou littéraires… Et pourquoi pas d’ailleurs ?
Qu’en est-il du processus d’apprentissage ?
Pour faire en sorte que les vertueuses déclarations sur la place des arts dans l’éducation ne restent pas lettre morte, il faudrait d’abord que chacune des disciplines artistiques dispose d’un statut équivalent aux autres matières, au moins du point de vue qualitatif, sinon quantitatif. La place que l’institution accorde à la musique ou aux arts plastiques permettrait alors d’apporter une première réponse aux élèves qui remettent en cause l’intérêt d’un tel enseignement. Au lieu de cela, on court le risque qu’au moment de l’élaboration du projet pédagogique de l’établissement, cette place soit tributaire des hasards locaux ou des passions individuelles qui parfois ne sont que feux de paille. Peut-on accepter qu’un enseignant ou un parent ou un élu local fasse pression auprès du chef d’établissement ou du CA pour remplacer les heures d’éducation musicale ou d’art plastique par deux heures de théâtre en se contentant de mesurer les enjeux d’un tel choix selon l’intensité de ses penchants personnels ? Faudra-t-il recommencer le débat chaque année ?
Or, au lieu d’inscrire l’éducation artistique dans un processus qui consolide son rôle d’élément structurant, l’institution propose une fragilisation. A quand cette « expérimentation » dans les autres niveaux, les autres disciplines ? Quel avenir pour l’EPS ? À quand l’embauche de personnel à contrat local pour les CDI, des options chasse au lycée en concurrence avec l’éducation musicale ?
La construction du sens contre la culture du loisir à l’école.
Nous connaissons par ailleurs la place primordiale que la musique, par exemple, occupe dans la vie quotidienne des élèves. Les adolescents ont leurs représentations, leurs projections et leurs attentes qui ne sont pas forcément en accord avec ce que propose la discipline. Il y a là possibilité de frustration, de malentendus, mais aussi l’occasion de parcourir le chemin nécessaire pour comprendre la différence entre une activité de loisir et une activité centrée sur l’apprentissage.
L’expérience montre que transformer l’enseignement artistique en option renforce le risque que l’on se méprenne sur ses objectifs, la pratique artistique devenant alors une pratique dilettante. On assiste alors à ce paradoxe d’une institution qui annonce à tour de bras la nécessité de se recentrer sur les apprentissages et qui introduit la culture zapping dans les établissements dont il a la responsabilité. Les élèves qui n’ont pas de difficulté continueront à apprendre malgré nous. Les autres iront en apprentissage après avoir cassé deux ou trois caméras.
Ce n’est pas avec des bouts de ficelle que l’on peut construire ce qui correspond au socle d’une éducation dynamique, équilibrée reposant sur des valeurs humanistes. L’art n’est pas un supplément d’âme. Il est un élément vital pour chaque être humain.

Jean-Martial Fouilloux, professeur d’éducation musicale au collège Debussy (ZEP) et formateur à l’IUFM de Nantes.